De derrière le rideau : L’Haka scelle les airs !
S’il est un sport roi en ces temps automnaux, c’est bien le rugby. Le monde entier, et en tout premier lieu l’hémisphère sud, s’est mis à l’heure de l’ovalie. Une trentaine de gaillards dépassant à peu près tous le quintal se disputent un ballon à la forme improbable et aux rebonds imprévisibles en essayant de respecter des règles dont la complexité n’a d’égale que l’imagination de ceux qui les ont inventées. Il ne vous aura pas échappé que l’arbitre, qui n’y comprend goutte, préfère écouter de l’opéra dans ses écouteurs, plutôt que de se rendre complice de brutalités assumées !
Tout cela occuperait gentiment son monde, si cela n’avait évolué d’une confrontation certes sportive mais malgré tout bienveillante en un combat quasi guerrier. On sent généralement, à les regarder, qu’une certaine forme de camaraderie les anime. D’ailleurs, à la fin de la partie, chacune des deux équipes fait une haie d’honneur à l’autre, le vaincu saluant son vainqueur et réciproquement. Pas mal tout de même ! Mais ceci faisait sens jusqu’à ce qu’une équipe décide d’impressionner ses adversaires d’un jour par une sorte de cri de guerre poussé avant le coup d’envoi. Cette tradition Maori a, à bien y regarder, de quoi faire peur : les cris, les grimaces, les gestes, les regards sous les hurlements d’un leader, n’ont pas d’autre objectif que de faire perdre ses moyens à une équipe, pourtant déjà impressionnée et déstabilisée par le palmarès de la première. On a beau nous expliquer qu’il s’agit d’une danse rituelle « chantée » qui fait partie du patrimoine culturel de la Nouvelle Zélande, sa vraie définition n’est en fait qu’un cri de guerre. Le mot est prononcé !
Loin de moi l’idée de suggérer que le rugby est un sport guerrier, bien au contraire, puisque ses règles le nantissent de valeurs humanistes, éducatives, sociales et sportives au vrai sens du terme. Mais tout de même. Vous les avez vus défiant l’équipe d’en face ? On est content de ne pas être sur la pelouse ! L’Haka scelle les airs, si, si ! Regardez Léon Tolstoï, il nous a donné son immortel Guerre et Paix. Un cri de guerre et un cri de paix. Il aura fallu tout le talent de Serguei Prokofiev pour mettre des notes sur ces cris, et nous donner un inoubliable opéra. Dans ce Guerre et Paix, la Paix ouvre l’œuvre et donne l’occasion de présenter les personnages principaux. La Paix ! Puis c’est au tour de la Guerre d’entrer en scène et là c’est toute la troupe qui est sollicitée. Le cri de la guerre résonne plus fort que celui de la paix. On devrait donc dire Paix et Guerre mais c’est l’inverse qui nous est donné. Une sorte de Haka qui va pousser les hommes vers leurs plus sinistres comportements et semer la mort. Notre haka du sud de l’ovalie ne provoquera que des comportements sanctionnés au final par un unique score, un vainqueur et un vaincu. Merci pour ce moment, messieurs les rugbymen ! Mais Tolstoï et Prokofiev, ces génies du cri de guerre épais, ont non seulement réussi leur essai, mais eux, ils l’ont à jamais transformé.
Retrouvez la précédente chronique de Philippe Marigny : Une chemise comme un drapeau blanc !