De derrière le rideau : Le lac des cygnes
Agresser l’autre seulement parce qu’il est différent nourrit l’intrigue de nombre d’opéras : on se jalouse, on se hait, on ne se reconnait pas dans l’autre et c’est insupportable, on se considère supérieur et donc l’autre ne peut être qu’inférieur, l’a priori bien installé empêchant toute relation. On pourrait garder tout cela à l’intérieur de soi et le monde serait peuplé d’ombres éclairées à tour de rôle par un soleil qui s’effacerait au rythme du temps et laisserait à chacun une place dans la lumière, à son tour. Bien sûr, on se croiserait sans se voir et la vie serait dé sociabilisée, sans heurts, sans passions apparentes, laissant nos différences au Mont de Piété. Mais le monde ne tourne pas ainsi. Et c’est tant mieux.
Alors bien sûr on se fait la guerre, avec des armes qui ne sont pas toutes chargées de poudre, mais souvent d’intentions psychologiques maléfiques, pour sûr aussi mortelles que les premières. Mais au moins on vit. On vit des rencontres et des différences qui en font la richesse. Les intérêts des uns et des autres se confrontent dans une réalité que nous acceptons grâce à notre éducation, à notre culture, ou que nous rejetons pour les mêmes raisons. L’Homme reste l’Homme avec ses qualités et ses travers, mais libre le plus souvent de franchir la frontière entre l’acceptation et le refus. Naturellement, nombre de facteurs plus ou moins aggravants viennent paver ce chemin de pierres et de cailloux plus ou moins agressifs. Et l’on souhaite goûter l’herbe, en apparence plus verte du voisin pas forcément consentant, sans pour autant accepter que ce dernier vienne goûter la nôtre !
Et se pose la question des migrants qui ne supportent plus leurs conditions de vie et sont à la recherche bien souvent d’un illusoire eldorado. Esclaves prisonniers d’un univers dont ils se sentent exclus et rejetés par un monde qui ne veut pas d’eux. A qui appartient la terre ? Va pensiero, comme l’a si bien traduit Verdi, la liberté est au bout du chemin ! Quel qu’en soit le prix. Ce mélange des peuples doit contribuer, s’il n’est pas anarchique, à une acceptation des différentes source d’une richesse à laquelle nous aspirons tous.
Et puis soudain le spectacle est fini et la dure réalité reprend le dessus. Le rideau du Théâtre Massimo de Palerme se referme sur un Carmina Burana de Carl Orff aux accents poétiques emprunts d’érotisme, de beauté, des plaisirs de la vie. Cette œuvre qui célèbre la Roue de la fortune, O fortuna, que nous savons tous fredonner, a vu son chant du cygne, le bien nommé, interprété par le magnifique contre ténor congolais, à la peau de pur ébène et à la voix de cristal, Serge Kakudji. Ce dernier a fait l’objet, le lendemain, d’une agression raciste d’une extrême violence, en cette terre sicilienne accueillante de tous temps, montrant que la musique ne parvient pas à adoucir les mœurs de tous. Et si tous ceux qui consacrent leur intelligence aux manipulations génétiques faisaient naître des cygnes de toutes les couleurs, les lacs deviendraient la scène d’un opéra universel dédié à la Mélodie du bonheur. La violence ? Du ballet !
Retrouvez la précédente chronique de Philippe Marigny : il ne manque pas d’air !