De derrière le rideau : des chiffres et des lettres
A l’heure où nous affrontons l’eau et le soleil, pour les plus chanceux, et où donc nous sortons maillots et serviettes, remisés avec précaution à la fin de l’été dernier, nous faisons semblant de nous intéresser aux ravages de la pollution. Nul n’est besoin d’être Vert, surtout avec des coups de soleil, pour porter attention à la qualité du sable sur lequel nous nous prélassons. Toute cette pollution, Messieurs les Pétroliers, ces taches noires sur nos plus beaux rivages, quelle honte ! Quand deviendrez-vous enfin citoyens, comme nous, nous essayons de l’être ? Je ne vise, bien sûr, personne en particulier, mais comme j’aimerais que cet avertissement, toute modestie mise à part, serve enfin de leçon !
Et pourtant, de notre côté, il nous faut essayer de ne pas faire d’amalgame et de ne pas les condamner chaque fois qu’ils font parler d’eux. En effet, parfois, mais si je vous assure, ils essaient de se racheter en donnant quelques subsides dédiés à une diffusion de la culture au plus grand nombre. Et pas n’importe quelle culture. D’où cette polémique qui a éclaté au pays de la fière Albion, au motif que les deux lettres B et P étaient accolées à celles du Royal Opera House de Londres, pour une diffusion du Don Giovanni de Mozart sur des écrans géants à travers tout le Royaume de Sa Majesté. Shocking !
On dit que l’argent n’a pas d’odeur. Dans le cas qui nous préoccupe, je vous concède que cette expression n’est probablement pas la plus appropriée ! Néanmoins, cet opéra est décrit comme le plus noir et le plus désespéré de Mozart. Un tel sponsor ne pouvait choisir couleur plus délicate et reflet du produit qu’il transforme en service dans ces stations tout sauf balnéaires, où nous sommes reçus en grande pompe, prêts à manier le pistolet ! Nous connaissons tous l’histoire de ce Don Giovanni, où se mêlent à travers des airs immortels le haut et le bas de la nature humaine, les élans spirituels et les plaisirs de la chair d’un Maître qui rendra, à force de cyniques excès, sa chute inéluctable et son châtiment foudroyant. Le choix d’adosser ces deux lettres B et P à cet opéra ne peut être le fruit du hasard. Il n’aura pas échappé aux grands responsables de la communication chargés de la promotion de ces deux lettres, que Wagner l’avait décrit comme « l’opéra des opéras » et donc un « must » pour nos amis anglais.
La fin de cet opéra est un peu laissée ouverte par le librettiste, ce qui nous permet d’imaginer que les deux lettres en questions, au lieu d’être jetées aux gémonies comme le héros de Mozart, remonteraient, contre toute attente, de l’enfer et monteraient vers le ciel éclairer ces écrans géants où l’on verrait Don Giovanni, dans une version re-colorisée, condamné aux travaux forcés, à savoir à supprimer toute noirceur de cette histoire sous le regard intransigeant d’une Donna Anna et d’un Commandeur alors ressuscités. Ces deux lettres qui deviendraient ainsi les initiales d’une Belle Performance connaitraient une rédemption qui ne les exonérerait pas de leurs responsabilités mais les verraient devenir brillantes et lumineuses au firmament du Royal Opera House. Finie alors la polémique, prouvant une fois de plus que quand on n’a pas de pétrole, il faut avoir des idées !
Retrouvez la précédente chronique de Philippe Marigny en cliquant ici.