Matthieu Dussouillez : « Transformer les contraintes en opportunités »
En février, vous expliquiez dans notre article sur le marasme financier du secteur que votre maison était particulièrement touchée, ce qui vous obligeait notamment à transformer Idoménée en version concertante avec deux dates au lieu de quatre : comment la situation a-t-elle évolué depuis ?
Tous les choix que nous avons effectués ont eu vocation à transformer ces contraintes en opportunités. Plutôt qu’en version de concert, Idoménée sera ainsi mis en espace, et même proche d’une version scénique, car Lorenzo Ponte, le metteur en scène que j’ai découvert dans un concours à Copenhague, a souhaité proposer un concept total uniquement avec les moyens de la maison : les stocks et les artisans de notre théâtre, sans budget de création. Sa vision est passionnante : elle utilise l’apport dramaturgique constitué par la femme d’Idoménée, Meda, qui est donc la mère d’Idamante et qui a été assassinée pour trahison. La dramaturgie qu’il a tissée autour de cette idée permet un recentrage sur le jeu théâtral. Nous ne prévoyons toutefois bien que deux représentations, avec la possibilité d’en faire une troisième si les ventes sont bonnes. Cela restera un projet emblématique de notre saison, avec la découverte d’un metteur en scène italien de talent. Nous avons opéré d’autres choix de programmation. Ainsi, nous avons remplacé une œuvre nécessitant de nombreux supplémentaires [les musiciens et choristes spécialement embauchés pour une production en plus des forces permanentes, ndlr] par une autre, Les Capulet et les Montaigu, nécessitant un effectif plus en adéquation avec notre équipe permanente. Nous essaierons de reprogrammer la production initiale plus tard, lorsque nous pourrons trouver le bon équilibre budgétaire pour le faire. Pour le reste, nous passons de sept concerts symphoniques habituellement à cinq. De même nous aurions pu faire plus de projets transversaux. Ces restrictions nous empêchent d’aller à la rencontre de certains publics, mais il nous faut bien trouver des solutions pour présenter une saison cohérente dans notre budget.
Comment se porte la fréquentation (qui se montait à 70% l’an dernier) ?
La fréquentation est très bonne sur cette saison. Même Manru, œuvre inconnue, a généré beaucoup de curiosité, et les 3.500 spectateurs sur les quatre dates [soit un taux de remplissage de 83%, ndlr] ont été ravis de cette découverte.
Il n’y a pas de thème dans votre saison, mais un fil tissé a posteriori : celui de l’héritage. Quel héritage souhaiteriez-vous léguer à l’Opéra de Nancy le jour où vous le quitterez ?
J’espère que j’aurai la possibilité, avec les équipes qui m’entourent, de montrer que l’opéra n’est pas un art destiné à un sérail économique et intellectuel. Je voudrais laisser un opéra citoyen, qui parle à tout le monde. Un opéra vivant, c’est-à-dire qui continue à interroger, à oser prendre des risques, à créer, à la fois par des mises en scène et de nouvelles partitions, avec l’éternel défi de réconcilier La Création avec l’engouement populaire. Je souhaite en tous cas développer un projet citoyen qui questionne les trois mutations que traverse notre société : environnementale, numérique et sociétale. Si l’opéra veut être dans le XXIème siècle, il doit porter des réflexions et apporter des réponses à ces trois évolutions.
Comment avez-vous pensé cette saison ?
Cette saison est le résultat de beaucoup de contraintes, mais qui conserve les axes forts de mon projet : présenter des répertoires divers, faire émerger des artistes, attiser la curiosité, porter une programmation et une action citoyenne, questionner notre époque (avec des artistes comme Pınar Karabulut et Ersan Mondtag sur les questions sociétales ou encore Kevin Barz sur le numérique). La question de l’héritage est quant à elle évidente dans Don Pasquale et Idoménée, mais aussi avec David et Jonathas dans lequel David hérite du trône de Saül après que son ami est mort dans ses bras. Nous héritons aussi de nos religions, de notre histoire scientifique (ce qui sera traité dans La Création), du poids de l’histoire, notamment face au populisme (thème du Lac d’argent) et à la haine (Roméo et Juliette héritent des querelles de leurs familles).
La saison démarrera donc fin septembre avec Idoménée. Comment avez-vous construit la distribution ?
Je l’ai construite comme toujours : avec mes coups de cœur vocaux, tout en assurant un équilibre budgétaire et en tenant compte de la question de l’emploi des chanteurs. Je suis meurtri, comme les autres directeurs d’opéras, par le fait d’avoir moins d’opportunités à leur proposer. Dans cette distribution, nous aurons Atalla Ayan dans le rôle-titre : c’est un ténor brésilien qui fait partie de l’ensemble de l’Opéra de Stuttgart, et qui souhaitait effectuer sa prise du rôle. J’ai confié le rôle d’Idamante à Héloïse Mas, que j’avais beaucoup appréciée en Sélysette dans Ariane et Barbe-Bleue l’an dernier : elle a l’opulence de la voix et l’agilité pour ce rôle. Léo Vermot-Desroches, qui chantait Truffaldino dans L'Amour des trois oranges, interprètera Arbace : il n’a que deux airs, mais ils sont difficiles et magnifiques. Enfin, j’ai un coup de cœur depuis longtemps pour Siobhan Stagg qui chantera Ilia. Amanda Woodbury est une soprano américaine qui vit en Europe : elle devrait être une belle découverte en Electre électrisante.
Marta Gardolińska dirigera la production : qu’apporte-t-elle en tant que Directrice musicale ?
Elle apporte ce qu’elle véhicule : une artiste européenne de talent, connectée avec de nombreux musiciens. Elle est inspirante par sa générosité, par ce qu’elle incarne en tant que femme, par sa capacité à fédérer les musiciens autour d’idées d’interprétation. Tout cela est précieux dans le travail que nous menons avec nos forces artistiques et dans leur progression.
Comment décidez-vous des opus qu’elle dirige ?
En rythme de croisière, elle dirigera deux opéras chaque saison (mais n’en fera parfois qu’un), en plus de cinq concerts symphoniques. Nous discutons ensemble de ce qu’elle souhaite diriger, parmi les titres que je programme. Parfois, elle est force de proposition, comme ce fut le cas pour Manru.
Que dirigera-t-elle dans la saison de concerts ?
En octobre, elle dirigera un concert intitulé De Vienne à Varsovie, mettant en avant deux compositeurs polonais ainsi que Beethoven. Dans Poésie céleste, nous découvrirons le compositeur ukrainien Théodore Akimenko, qui a écrit un poème symphonique qui s’appelle Ange. Hélène Carpentier se joindra à l’orchestre pour y interpréter la voix presque magique de la Symphonie n°4 de Mahler. Quitte à inviter une soprano, nous avons décidé de compléter le programme avec les Fünf Gesänge d’Alma Mahler, dans un très bel arrangement pour orchestre. Ces Lieder sont très beaux et font regretter que son époque ne lui ait pas permis de poursuivre son parcours de compositrice. En lien avec le Lac d’argent, elle proposera une réflexion sur La Création des compositeurs en temps de guerre, qui s’appellera Résistance. Le public entendra ainsi une œuvre contemporaine de Victoria Polevá, Null, qui est liée à la guerre en Ukraine et est d’une grande force. Il y aura aussi des compositeurs ayant vécu les grands conflits du XXème siècle : Edward Elgar dont la musique est très expressive, très nourrie, Pavel Haas qui compose dans un camp de concentration avant de périr à Auschwitz, et Francis Poulenc qui décide de réagir avec une écriture plus légère, mais avec toute la subtilité de son harmonie. Marta Gardolińska dirigera également La Mer de Debussy car elle souhaite aborder les grandes pièces du répertoire français dans lequel notre orchestre est reconnu. La Mer sera associée à l’injouable Concerto pour hautbois de Strauss qu’Alexandre Gattet jouera sans doute sublimement. Ce dernier fera également travailler nos vents autour de la Sérénade pour instruments à vent de Strauss : ce sera joué sans chef d’orchestre afin que chaque musicien endosse un rôle de meneur. Et puis, parce que Marta Gardolińska est est la première cheffe invitée de l’Orchestre de Barcelone, nous proposerons un festival espagnol intitulé ¡ España !, avec des compositeurs espagnols comme de Falla et Rodrigo, ou influencés par l’Espagne, comme Ravel et Rimski-Korsakov.
En décembre, vous présenterez une nouvelle production de Don Pasquale : comment le choix du titre s’est-il fait ?
D’abord, nous avons toujours un ouvrage festif en décembre. Or, l’œuvre n’a jamais été jouée à Nancy (en tout cas pas depuis les années 1960). C’est aussi une œuvre assez pratique d’un point de vue budgétaire car il n’y a que quatre solistes (la faiblesse de notre marge artistique est un problème qui ne date pas de ces derniers mois !). Enfin, j’avais l’idée de confier un Donizetti à un metteur en scène de Comédie musicale, Timothy Sheader.
À quoi ressemblera sa mise en scène ?
Elle sera très ancrée dans la période où nous jouerons puisqu’il placera l’intrigue sur la période de Noël, en s’inspirant d’une série à succès, Succession, qui se passe dans un trust de milliardaires. Le décor sera donc très luxueux et raffiné. Norina sera issue du personnel d’entretien vivant dans la précarité new yorkaise. Quand Don Pasquale voudra l’épouser, elle redécorera son appartement de manière outrancière, avec des sapins violets, un train qui fera le tour de l’appartement, etc.
La production sera dirigée par Giulio Cilona, Kapellmeister à l’Opéra de Hanovre qui a remporté le second prix du Concours International de Chefs d’Orchestre d’Opéra à l’Opéra de Liège : pourquoi l’avez-vous choisi pour ce titre ?
Il vient également d’être nommé Kapellmeister de l’Opéra allemand de Berlin. Je l’ai entendu diriger un Barbier de Séville à Hanovre : c’est un répertoire qu’il maîtrise très bien. Ce rôle de Kapellmeister est une super formation car ils dirigent beaucoup de titres. Il est américain et européen : il apportera cette culture à ce répertoire. De plus, il a une sacrée énergie.
Comment avez-vous conçu la distribution ?
Lucio Gallo, qui chantera le rôle-titre, est un habitué de ce type de rôles qu’il chante sur les plus grandes scènes (il l’a récemment chanté à Covent Garden). Je suis très heureux de présenter pour la première fois au public français la soprano sud-africaine Vuvu Mpofu, qui a une voix absolument sublime et beaucoup de virtuosité. Elle sera parfaite dans le concept de mise en scène grâce à sa fraicheur et son énergie. Le ténor Anicio Zorzi Giustiniani sera Ernesto et Germán Olvera, très bon acteur-chanteur, sera Malatesta.
Vous présenterez en janvier une production caennaise de David et Jonathas de Charpentier : ce projet est-il lié à la résidence de l'Ensemble Correspondances à Caen ?
Tout à fait, mais aussi au compagnonnage que j’ai annoncé : nous inviterons chaque année en alternance Correspondances ou Cappella Mediterranea. Nous devions d’ailleurs jouer Le Ballet royal de la nuit, mais la production a été annulée deux fois. Au lieu de présenter Sébastien Daucé au public nancéen en 2020, je ne le ferai donc qu’en 2024.
Quelle sera la vision du metteur en scène Jean Bellorini ?
Ce sera un univers très esthétique, très fort. David et Jonathas a été créé dans la cour du lycée Louis Legrand : il s’agissait d’une alternance de théâtre et de musique. La pièce de théâtre ayant été perdue, un texte a été commandé à Wilfried N’Sondé pour apporter de la matière dramatique, afin d’éclairer l’action, notamment la figure de Saül.
La distribution sera-t-elle la même sur toute la tournée ?
Tout à fait : nous avons fait des auditions sur plusieurs jours, menées par Sébastien Daucé, avec Patrick Foll [le Directeur du théâtre de Caen, ndlr] et moi. Nous avons choisi une équipe de chanteurs à la hauteur de cette magnifique musique et adaptée à ce répertoire français. Il y aura donc Lucile Richardot, Étienne Bazola, Alex Rosen ou encore Gwendoline Blondeel. Petr Nekoranec, qui chantera David, a vraiment la couleur et la capacité de haute-contre, capable de chanter en voix pleine dans l’aigu, que nécessite le rôle. Ce sera une grande tournée : je suis très content pour le théâtre de Caen qui fait un travail remarquable sur le répertoire baroque.
Autre coproduction, avec le Théâtre des Champs-Élysées, La Création en version mise en scène, sera présentée en février. La production sera créée chez vous et pas au TCE : comment avez-vous fait ?
C’est un projet que nous avons monté avec Baptiste Charroing, qui est très intéressé par le concept de mise en scène. Mais il ne prendra ses fonctions qu’en 2025 : le projet ne pouvait pas y être présenté avant un long moment. C’est d’ailleurs intéressant car le dispositif technique aura sans doute le temps d’évoluer encore d’ici là.
Justement, pourquoi avoir confié une mise en scène à Kevin Barz ?
La Création est un oratorio de Haydn. Or, les oratorios sont au départ composés pour être présentés sans mise en scène. Mais le monde de l’opéra, depuis un moment déjà, propose des versions scéniques d’oratorios car leur matière dramaturgique offre un espace de liberté permettant aux metteurs en scène d’être dans l’abstraction. Ainsi, Nancy avait présenté Le Messie de Haendel mis en scène par Claus Guth en 2008, et il y a bien d’autres exemples. Je trouve ces expériences passionnantes. Marta Gardolińska souhaitait diriger cette œuvre et j’ai proposé à Kevin Barz de la mettre en scène : j’avais admiré son travail sur notre NOX#1 : Êtes-vous amoureux ?, pendant le confinement. Il avait réussi à faire d’une faiblesse une force en créant le dispositif vidéo que nous avons pu présenter. Ce qui l’a interpelé dans La Création, c’est une statistique : selon un sondage récent, 38% des américains pensent que Dieu a créé la Terre avec de l’argile. Beaucoup de gens ont la même croyance en Europe. Bien sûr, chacun doit rester libre de sa foi, et ce n’est pas notre objectif d’entrer dans ces questions. Mais il est intéressant de mettre en dialogue cette vision de la genèse, telle qu’elle est racontée dans l’Ancien testament et chantée dans cet oratorio, avec la connaissance scientifique contemporaine.
Quel est le concept de cette mise en scène ?
Pour mettre en place cette dialectique, Kevin Barz a choisi d’utiliser la lumière, si présente dans l’œuvre et qui évoque le Siècle des Lumières qui a éclairé l’esprit de nos sociétés. Il a donc souhaité convoquer la lumière sous toutes ses formes, ainsi que la science, sur scène. L’idée n’est pas de grimer les choristes pour les faire ressembler à des scientifiques connus, mais d’utiliser les nouvelles technologies : il y aura de la vidéo live sur scène, qui transformera de manière numérique des choristes en Albert Einstein ou en Lucien Cuénot, grand théoricien de l’évolution nancéen, et qui est le fondateur du Muséum-Aquarium de Nancy. Nous ferons ainsi dialoguer la science avec l’art, et chercherons à fédérer une communauté scientifique ou d’étudiants en science autour de ce projet.
L’autre enjeu de cette production est le développement d’une application dans le cadre du projet européen ‘Opera in transition’, qui fédère de nombreux opéras et a pour but de développer une application pour offrir une expérience augmentée au public. Une fois n’est pas coutume, les spectateurs seront invités à se connecter avec leur portable à une application qui leur enverra des informations au fur et à mesure du spectacle. Ainsi, lorsque Lucien Cuenot apparaîtra sur scène, ils auront des données biographiques permettant de mieux comprendre qui il est, et donc quelle est sa place dans le spectacle. Les spectateurs pourront également y faire des retours sur le spectacle en direct. Ce sera une expérience artistique sur le rapport de l’art au numérique. Ce n’est pas un concept d’un artiste qui utilise une idée gadget pour un spectacle : le numérique est au cœur du travail de Kevin Barz depuis des années. Il utilise le numérique dans toutes ses créations, en lien avec une réflexion philosophique sur le sujet.
En amont du spectacle, nous proposerons un ‘Sing along’ : nous inviterons à la Salle Poirel les chorales amateures du territoire à chanter avec notre orchestre et notre chœur, dans une expérience collective. Puis, dans un second temps, nous développerons un projet de réalité virtuelle qui permettra à des publics éloignés (parce qu’ils sont privés de liberté ou dans l’impossibilité de se mouvoir pour des raisons de santé, ou même pour des raisons socio-économiques) de mettre un casque les plongeant dans un bout de ce spectacle, notamment la transformation du chaos à la lumière. Cet univers virtuel sera développé directement numériquement : ce ne sera pas une transformation d’un univers 2D en univers 3D, ce qui donne souvent mal à la tête.
Que pouvez-vous dire des trois chanteurs qui assureront les parties vocales ?
Déjà, je suis très content que Marta Gardolińska dirige cette production, entourée des forces artistiques de notre maison. Julie Roset chantera la partie de soprano, aux côtés de Jonas Hacker, magnifique ténor découvert dans l’ensemble de l’Opéra de Bavière, une voix très sûre notamment dans ce répertoire et la prosodie germanique. Enfin, Sam Carl est une magnifique basse, très chantante et très juste du point de vue du texte.
En avril, vous ferez découvrir au public Le Lac d’argent de Kurt Weill : comment vous êtes-vous retrouvé associé à ce projet ?
Jan Vandenhouwe, le Directeur de l’Opéra Ballet de Flandre, m’a parlé de son projet et de cette œuvre que j’ai trouvée fascinante, avec cet étonnant chœur final.
Comment présenteriez-vous cet ouvrage ?
C’est comme toujours avec Weill un mélange subtil et brillant de différents styles, de la cantate, de l’oratorio, de la chanson populaire des années 30, du jazz, de l’opéra, du théâtre. L’intrigue allie des ressorts comiques et un espace dramaturgique important car il y a beaucoup de texte qui laisse des possibilités de réécriture. Il y a aussi la force de ce que l’œuvre dénonce : la montée d’un pouvoir autoritaire, et dans le contexte de création en 1933, la montée du pouvoir autoritaire d’Hitler. L’œuvre n’est jouée que 17 fois avant d’être interdite et classée parmi l'Entartete Kunst [les arts désignés par le parti nazi comme "dégénérés", et interdits, ndlr], obligeant Weill à fuir aux États-Unis.
Pourquoi avoir pensé à Ersan Mondtag à la mise en scène ?
C’est une coqueluche du monde du théâtre, et désormais de l’opéra : on le retrouve aujourd’hui sur les plus grandes scènes internationales, et notamment les scènes les plus créatives. Je suis content que ses débuts à l’opéra en France se fassent à Nancy, dans le cadre de cette coproduction. C’est un artiste au militantisme sociétal, notamment en rapport à la scène queer et aux engagements LGBTQIA+.
Qu’aviez-vous pensé de sa mise en scène lors de sa création à Gand en 2021 ?
L’œuvre ayant été créée en 1933, Ersan Mondtag a décidé de placer l’intrigue en 2033. Cela permet de soulever de nombreux sujets qui traversent la société. C’est une production déjantée, parfois désinvolte, mais l’œuvre s’y prête. Lorsque je l’ai vue, j’étais déconcerté. Il y a un mélange de langages sur scène, avec une contextualisation politique spécifique à la Belgique que je ne comprenais pas. Chez nous, ces éléments seront bien sûr contextualisés par rapport à l’actualité politique française. Il y a tellement d’informations, de choses à regarder, à voir, à comprendre, qu’il faut du temps pour le digérer. Mais c’est un spectacle qui continue de me marquer et de me questionner deux ans après. Lorsque je regarde le teaser de la production, j’ai hâte de la revoir cette production. En plus, ce n’est jamais le même spectacle car il y a beaucoup d’improvisation.
Qui est Gaetano Lo Coco, qui dirigera l’œuvre ?
C’est une grande baguette : il parle de nombreuses langues à même pas 30 ans, est un musicien hors pair, un vrai fédérateur. Ce n’est plus la figure dominatrice d’hier, mais un chef qui fait équipe avec les musiciens, à l’image de Marta Gardolińska.
Autre coproduction avec l’Opéra de Flandre : Les Capulet et les Montaigu de Bellini, que vous présenterez en juin. Pourquoi ce titre ?
Du fait des problèmes financiers, il m’était impossible de programmer un grand titre de la fin du XIXème, qui était initialement prévu, car il réclamait des moyens trop conséquents. Je me suis donc tourné vers Les Capulet et les Montaigu, qui est une œuvre sublime, qui n’a pas été jouée à Nancy depuis au moins 30 ans. C’était aussi une belle porte d’entrée à proposer à Pınar Karabulut, avec qui j’étais en discussion depuis plusieurs années et qui fera l’ouverture de saison de l’Opéra allemand de Berlin avec le Triptyque de Puccini. Elle partage avec Ersan Mondtag sa nationalité mais aussi son engagement LGBTQIA+: comme ce sont deux interprètes féminines qui chantent Juliette et Roméo, elle a décidé de ne pas travestir Roméo afin de conter l’histoire d’amour de deux femmes. Cela me plait beaucoup car nous sommes sur des préoccupations sociétales et universelles. Cela renforce même les raisons de cet amour interdit : aux rivalités de familles peut s’ajouter une position réactionnaire.
Comment avez-vous choisi la distribution ?
Je veux souligner la présence de Julie Boulianne qu’on adore à Nancy tant elle est bonne comédienne, est juste dans le style, tout en alliant la souplesse et cette touche bel canto très aisée. Yaritza Véliz est une incroyable voix, qui m’émeut beaucoup. C’est une grande chanteuse internationale, qui fera là ses débuts en France.
La Petite Messe Solennelle de Rossini dirigée par Guillaume Fauchère avec des Solistes du Chœur de l'Opéra national de Lorraine complète la programmation lyrique : pourquoi ce concert ?
Il vient répondre à notre souhait de mettre en avant nos artistes permanents, de les exposer à des répertoires non-opératiques, et leur permet d’avoir des rôles solistes. Le public adore voir ces artistes se mettre en première ligne et pas seulement fondus dans un collectif.
À côté de cette programmation lyrique principale, vous proposez également des Fantaisies, plutôt destinées à un public familial : lesquelles souhaitez-vous particulièrement mettre en avant ?
Je voudrais citer le trio Musica Humana : ce sont trois chanteurs français d’un grand talent, avec beaucoup d’énergie. Il proposera un Loto lyrique et symphonique. C’est un concept qu’ils ont déjà joué au festival Off d’Avignon, mais sur un répertoire pop et de chanson, avec déjà de la musique Renaissance dont ils sont spécialistes. Cette fois, ils adapteront le spectacle avec orchestre et du répertoire lyrique et symphonique. Les spectateurs entreront dans la salle avec une grille de loto. Le gagnant du gros lot recevra des surprises musicales.
Je peux parler aussi du Voyage sans fin avec Jean-Christophe Lanièce sous la direction de Marc Leroy-Calatayud, deux grands talents français. Je voudrais souligner aussi la présence pour les plus jeunes du chien Paco, connu pour les livres musicaux destinés aux enfants : nous avons réussi à obtenir l’autorisation de Magali Le Huche qui est une vedette de la littérature jeunesse. J’ai découvert cet univers avec ma fille et j’ai voulu en faire une adaptation. Nous avons confié ce projet à Julien Fišera, adaptateur et metteur en scène de talent. Enfin, ce sera la troisième saison d’Opéra Berceau, qui connait un très grand succès : les parents s’arrachent les places de ces spectacles, qui sont portés par le magnifique duo composé de Charlie Guillemin et Majdouline Zerari, avec nos musiciens qui s’impliquent beaucoup dans ces spectacles. Ce sont de vrais spectacles lyriques pour les enfants, et pas simplement de l’éveil musical.
Nous aurons aussi deux projets avec des non professionnels. C’est la partie la plus visible de l’expression de notre projet « Nancy Opéra citoyen 2025 » qui se ramifie dans toutes nos démarches et réflexions. Nous n’irons pas à l’Opéra, qui sera conduit avec des jeunes sans aucune pratique musicale (ce ne seront pas des maîtrisiens). C’est un opéra intelligent d’un point de vue pédagogique. Où allez-vous comme ça ? est un travail d’une année mené par nos artistes de la maison avec des gens qui ont pratiqué le chant ou le théâtre, et qui sont en situation de handicap. Ce sera mené par Chloé Kobuta, qui va se nourrir de leurs histoires pour écrire une dramaturgie. Elle partira de ce que sont ces personnes au-delà de leur handicap : leurs amours, leurs passions, leurs émotions, leurs victoires. Danielle Gabou signera la mise en mouvement de ces nouveaux interprètes.