La Monnaie - Opéra de Bruxelles trace son destin pour 2023/2024
La maison lyrique bruxelloise connue pour aborder directement dans sa programmation les enjeux de la société, les fera à nouveau résonner dans sa prochaine saison (elle l’a d’ores et déjà fait dans sa présentation de saison, toujours plus connectée, utilisant des outils d’intelligence artificielle).
“Est-il légitime de postuler que nos vies sont prédéterminées par la fatalité ? Nous autres, êtres humains, sommes-nous dirigés par des forces invisibles ? Quelles puissances définissent notre existence ?” Telles sont les questions que pose le Directeur Peter de Caluwe au sommet de sa présentation et au fil de sa saison.
Tétralogies
Tandis que l’Opéra de Paris attendra encore sa Tétralogie signée d’un sulfureux metteur en scène contemporain (celle de Calixto Bieito frappée par le destin de la pandémie), La Monnaie lance la sienne, mise en scène par Romeo Castellucci, dirigée par Alain Altinoglu et qui s’étendra également sur deux saisons. Le metteur en scène, qui avait fait ses débuts à La Monnaie avec un Parsifal marquant, se concentra comme à son habitude sur les symboles, qui sont centraux et nombreux dans ce Cycle.
La distribution sera l’occasion d’inviter Marie-Nicole Lemieux à chanter Wagner (le rôle de Fricka), avec Gábor Bretz (Wotan), Andrew Foster-Williams (Donner), Julian Hubbard (Froh), Nicky Spence (qui incarnera Loge et chantera également des mélodies de Bohême dans la saison de récitals), Anett Fritsch (Freia), Nora Gubisch (Erda), Scott Hendricks (Alberich), Peter Hoare (Mime), Ante Jerkunica et Wilhelm Schwinghammer (Fasolt et Fafner), Éléonore Marguerre (Woglinde), Jelena Kordić (Wellgunde), Christel Loetzsch (Flosshilde). Les personnages communs de cet Or du Rhin avec La Walkyrie seront conservés par leurs interprètes, qui seront réunis avec Ingela Brimberg dans le rôle de Brünnhilde, Eric Cutler et Sally Matthews en Siegmund et Sieglinde, Ante Jerkunica (Hunding) ainsi que Marie-Andrée Bouchard-Lesieur en Siegrune.
Autre figure emblématique des metteurs en scène contemporains, Dmitri Tcherniakov reprendra Le Conte du tsar Saltan de Rimski-Korsakov sous la baguette de Timur Zangiev mais avec la même distribution (retrouvez notre compte-rendu) pour incarner et animer cette mise en scène profondément émouvante du conte populaire russe, centrée sur l’imaginaire d’un enfant autiste dont les parents divorcent (production prochainement à l'affiche de Strasbourg).
Verdi Mai 68
La Monnaie présente la Tétralogie de Wagner en deux saisons mais compose aussi un panoptique du jeune Verdi en deux soirées. Comme la maison vient de le faire avec quatre Donizetti autour de la Reine Elizabeth I, c’est cette fois le metteur en scène Krystian Lada qui compilera une tranche du répertoire musical, sous la thématique Nostalgie et Révolution (suivant en l'occurrence des “Soixante-Huitards” 40 ans après).Carlo Goldstein dirigera dans Nostalgia Scott Hendricks, Giorgio Giuseppini, Helena Dix, Gabriela Legun et Paride Cataldo, puis dans Rivoluzione Enea Scala, Vittorio Prato, Justin Hopkins, Nino Machaidze et Gabriela Legun.
Trois des solistes de ce second volet (Nino Machaidze, Enea Scala et Vittorio Prato) se réuniront également dans la saison de récitals pour recomposer un Salon Rossini.
Quant à Verdi, il sera également à l’honneur d’un concert de chœurs, avec celui de La Scala de Milan, son Orchestre et Directeur musical Riccardo Chailly, tandis que des Chœurs et Cantates françaises réuniront le Chœur de La Monnaie, et le quatuor de solistes Margaux de Valensart, Blandine Coulon, Luis Aguilar, Leander Carlier avec Alberto Moro au piano.
Créations engagées
La Monnaie de Bruxelles rythme chaque saison son programme par des productions réunissant des opus en diptyque ou triptyque ou davantage, mais aussi sur des créations contemporaines. Ce sera cette saison au tour de Cassandra, opéra écologico-tragique de Bernard Foccroulle dont la maison a déjà lancé le chœur en lanceur d’alerte. L’histoire aux allures mythologiques-contemporaines présente une Doctorante en climatologie, Cassandra qui tente de tirer l'alarme face à la fin du monde mais que personne n’écoute (comme son nom l’indique, rappelant également le scénario du récent film Don’t Look Up !)
Pour sa mise en scène, Marie-Eve Signeyrole a consulté de jeunes activistes du collectif “Youth for Climate”. La direction musicale confiée à Kazushi Ono poursuit son retour dans cette maison dont il fut Directeur musical de 2002 à 2008. La distribution des solistes sera notamment l’occasion de débuts maisons : pour Katarina Bradić dans le rôle-titre, comme pour Jessica Niles (Sandra), Paul Appleby (Blake), Susan Bickley (Hecuba et Victoria), Joshua Hopkins (Apollon) avec également le retour de Sarah Defrise (qui incarnait l’adolescente dans le déjà crépusculaire Is this the End?), tandis que Gidon Saks reviendra pour la première -son unique- fois depuis 1991.
L’autre création mondiale (proposée hors-les-murs au Théâtre KVS BOL) sera Ali du compositeur Grey Filastine avec le metteur en scène Ricard Soler Mallol, sur un livret d’Ali Abdi Omar en personne car cette œuvre raconte son histoire, celle de l’exil de la Somalie jusqu’en Belgique (trajet effectué entre ses 12 et 14 ans), résonnant avec un spectacle que vient de présenter le Grand Théâtre de Genève, sur la route de l’exil d’une famille turque vers la Suisse.
La création en plat pays reposera sur trois chanteurs, six danseurs, un acteur et onze musiciens. Ali sera incarné par Sanele Mwelase avec dans le rôle de sa mère Narratrice Raphaële Green ainsi que Kamil Ben Hsaïn Lachiri dans les rôles de Narrateur, Mohammed le trafiquant, Walid, Abdi Aziz, dirigés par Michiel Delanghe.
Contes cruels
Le Tour d’écrou (The turn of the screw) publié par Henry James en 1898 aura nourri de nombreuses interprétations et continue de le faire, comme la récente série Netflix The Haunting of Bly Manor, le film The Innocents de Jack Clayton en 1961, ou -peu- avant cela l’opéra de Benjamin Britten (en 1954). Présentée en 2021 en streaming, la production d’Andrea Breth revient cette fois en public avec les mêmes interprètes Ed Lyon (chantant le Prologue et qui donnera aussi la Sérénade pour ténor, cordes et cor de Britten avec Jean-Pierre Dassonville), Sally Matthews (Governess), Carole Wilson (Mrs Grose), Julian Hubbard (Peter Quint) et Katharina Bierweiler en Flora, ainsi que pour cette reprise Allison Cook (Miss Jessel), sous la direction d’Antonio Méndez.
De retour à La Monnaie pour la première fois depuis 1979 (outre l’adaptation tout public “Princesse Turandot” en 2013), l’ultime opus de Puccini achevé après sa mort sera également dirigé musique par Kazushi Ono (alternant avec Ourti Bronchti), dans une mise en scène de Christophe Coppens. Une double distribution dans les rôles principaux verra alterner Ewa Vesin (pour ses débuts à La Monnaie) et Svetlana Aksenova pour sa prise du rôle-titre, Stefano La Colla et Amadi Lagha en Calaf, Venera Gimadieva et Ruth Iniesta en Liù, chaque fois aux côtés de Ning Liang (Altoum), Michele Pertusi (Timur), Leon Košavić, Alexander Marev et Valentin Thill (Ping Pang Pong).
La Monnaie proposera également la saison prochaine pour les familles Pierre et le Loup (à Bozar) et des adaptations tout public de La Muette de Portici (qui déclencha la Révolution belge) et de Tzar Saltan.
Programme de récitals “Vocalissimo”
La Monnaie qui renouvelle la vision des opus et de l’art lyrique souhaite en faire autant et même davantage pour dépoussiérer l’exercice du récital. Le programme surnommé ici “vocalissimo” en proposera ainsi quelques rendez-vous scénographiés.
Le Voyage d’Hiver de Schubert sera ainsi mis en scène par Rafael R. Villalobos (qui avait proposé une Tosca provocante pasolinienne), l’effet de rareté étant encore renforcé par le fait de confier le chant à un contre-ténor : Xavier Sabata accompagné au piano par Francisco Poyato.
Le dernier rendez-vous programmé dans cette série de récitals, intitulé I Hate New Music, verra la soprano Sarah Defrise dédramatiser le répertoire contemporain (Luciano Berio, John Cage, Georges Aperghis, Erwin Schulhoff et Cathy Berberian) avec mise en scène de Natacha Kowalski, chorégraphie de Johanne Saunier, éclairages de Jean-Louis Bonmariage, au Théâtre des Martyrs.
La maison propose également le format bien connu qu’est l’opéra en version concert, mais permettant en l’occurrence d’inviter un plateau étincelant : Jules César de Haendel avec Cecilia Bartoli en Cléopâtre et ses Musiciens du Prince-Monaco dirigés par Gianluca Capuano.
Le premier récital de la saison restera néanmoins dans les formes classiques de l’exercice, Magdalena Kožená donnant rendez-vous au palais des Beaux-Arts pour un programme Debussy / Messiaen accompagné par Ohad Ben-Ari.
Lenneke Ruiten (récente Mary Stuart dans Bastarda) chantera Strauss et Britten avec Thom Janssen.
L’exercice traditionnel sera aussi l’occasion de présenter un nouvel album, comme ce sera le cas pour la basse autrichienne Günther Groissböck qui chantera le grand romantisme germanique (Schumann, Bruckner, Hans Rott, Hugo Wolf, Strauss et Mahler) avec le pianiste Malcolm Martineau.
De Schumann également, le baryton Matthias Goerne chantera les Dichterliebe (Les Amours du poète) avec Evgeny Kissin au piano, à Bozar à l’occasion du Klara Festival qui anime aussi la ville de Bruxelles durant le mois de mars.
La saison proposera également une trilogie de concerts Mahler : sa Symphonie n°2 avec en solistes Ilse Eerens et Nora Gubisch, et sa Symphonie n°6 (dans un programme qui invite également Nelson Goerner dans le 23ème Concerto pour piano de Mozart) mais également les Chants d'un compagnon errant avec Stéphane Degout. Enfin et toujours avec les phalanges et le Directeur musical maison, les Chœurs d’enfants et de jeunes de La Monnaie participeront à un concert Offenbach (Ouverture des Fées du Rhin), Benoît Mernier (Dickinson Songs) et Schumann (Symphonie n°3).
La saison chorégraphique dans son programme "Troika Dance" en quatre temps et quatre lieux invitera évidemment la chorégraphe nationale Anne Teresa De Keersmaeker, -au Rosas Performance Space- avec un solo Vocabularium créé pour et par Cynthia Loemij, puis à la Cathédrale des Saints Michel et Gudule pour L'Art de la Fugue -chorégraphié- de Bach. La salle KVS BOX hébergera un opéra dansé réunissant le danseur Igor Shyshko et le contre-ténor Logan Lopez Gonzalez. Enfin Canine Jaunâtre 3 viendra avec le Ballet de l'Opéra de Lyon au Théâtre National (Belge).