L’Opéra de Liège ouvre la voie internationale à de jeunes chefs d’orchestre d’opéra
La seconde édition du Concours International de Chefs d’Orchestre d’Opéra, reportée à plusieurs reprises du fait de la pandémie (et dont nous vous présentions les modalités en amont), vient de se tenir dans la magnifique Salle Symphonique de Liège. Au terme des différentes épreuves fort disputées, trois candidats sont demeurés en lice sur les 24 retenus à l’origine, dont parmi ces derniers une seule femme cheffe, chinoise de nationalité. Les trois finalistes ont révélé lors de la finale des tempéraments fort différents et des qualités certaines leur permettant un accès sans plus attendre à la direction musicale d’un ouvrage lyrique dans une fosse d’opéra.
C’est d’ailleurs déjà le cas pour deux d’entre eux, mais paradoxalement pas pour le lauréat désigné. Car c’est en fin de compte le candidat le plus jeune, Dayner Tafur-Diaz, âgé de 24 ans seulement, qui a emporté les suffrages du jury pour l’obtention de la première place du concours. Formé à la trompette, au piano et à la direction d’orchestre dans son pays natal, il s’installe ensuite en Allemagne en 2017 pour se perfectionner et suivre de nombreuses masters-class. Il travaille notamment auprès de Rasmus Baumann au sein de l’Université de musique et des arts du spectacle de Stuttgart. Titulaire de la partition la plus délicate d’approche et la plus longue en temps, soit le premier acte intégral des Pêcheurs de Perles de Georges Bizet avec le duo complet Nadir/Zurga, Dayner Tafur-Diaz révèle des qualités poétiques et lyriques de premier plan. Son attention se partage en équivalence entre l’orchestre, les chœurs et les solistes vocaux. Sa direction s’avère précise et particulièrement attentive aux contrastes si nombreux et variés dans ce premier acte. Il obtient de l’orchestre des couleurs presque diaphanes à certains moments tout en maintenant la dynamique la plus juste et en ne négligeant pas pour autant les plus larges envolées. La musique de Bizet sonne ici dans toute sa sincérité et surtout sa sensibilité. La battue est large, incisive lorsqu’il convient, mais le chef ne recherche à aucun moment l’effet ou le superlatif. Le respect de la musique et du chant sont au cœur de son approche. Dayner-Tafur Diàz possède une personnalité musicale fort attachante et pleine de riches promesses. Pour ces Pêcheurs, il bénéficie il est vrai -mais au même titre d’ailleurs que ses confrères-, de solistes de premier plan.
L’Opéra de Wallonie Liège a ainsi fait appel à des artistes lyriques fort aguerris comme Annick Massis, Marc Laho ou Patrick Delcour, mais aussi à des chanteurs entrés plus récemment en carrière comme les barytons Ivan Thirion ou Ionut Pascu. De jeunes artistes ont été par ailleurs recrutés comme les jeunes ténors Valentin Thill et Raffaele Abete, natif de Naples, la soprano originaire de Mons Louise Foor ou la soprano française Adèle Lorenzi-Favart. C’est ainsi qu’Annick Massis retrouvait son cher rôle de Leïla des Pêcheurs avec ce soutien qui la caractérise, cet aigu brillant et cette fraîcheur d’intention qui demeurent intacts. A ses côtés, Ivan Thirion et Valentin Thill forment un couple d’amis déjà accompli. Le premier dispose en Zurga d’un bel ambitus vocal doté d’un timbre accrocheur et d’une ligne de chant de fière allure. Valentin Thill délivre une radieuse leçon de chant en Nadir et son interprétation lumineuse de l’air "Je crois entendre encore" couronnée par des aigus proches de l’impalpable et parfaitement maîtrisés lui vaut une juste ovation de la part du public.
Le second prix est attribué à un chef de 27 ans à la double nationalité belge et américaine, Giulio Cilona. Chef d’orchestre, pianiste et claveciniste, il a étudié à Bruxelles et à l’Université du Mozarteum de Salzbourg. Des trois candidats, il est indéniablement celui qui possède la plus vaste expérience au plan lyrique. Kapellmeister à l’Opéra de Hanovre, Giulio Cilona y a déjà dirigé plus d’une cinquantaine de représentations allant du grand répertoire comme Tosca ou La Bohème à des ouvrages plus rares comme Hansel et Gretel d’Humperdinck ou même Le Vampire de Marschner. Sa direction particulièrement animée de l’acte II de La Traviata de Verdi démontre une solidité d’ensemble déjà acquise et un métier indéniable. Il paraît parfaitement à l’aise et dirige les masses en présence de façon franche et expressive. Guilio Cilona propose une approche de Traviata déjà puissamment théâtrale, à laquelle il manque encore un peu de distance et d’italianité. De fait, il semble vouloir privilégier les ensembles. Les échanges houleux entre Violetta -Louise Foor, soprano ample et d’une belle identité- et Alfredo -Marc Laho, toujours en forme-, semblent un peu noyés voire comme distanciés.
Le troisième prix est attribué au chef chilien âgé de 27 ans, Luis Toro Araya. Ce dernier formé à Zurich et Weimar, déjà récompensé par plusieurs prix importants (Concours des jeunes chefs d’orchestre Herbert Von Karajan, Rotterdam, Salzbourg) paraît déjà bien avancé en carrière. Il a été nommé pour la saison 2022/2023 comme chef assistant de l’Orchestre National d’Espagne et bénéficie d’une bourse Gustavo Dudamel. Sa direction un peu appuyée voire un rien musclée du deuxième acte de La Bohème de Puccini possède indéniablement du souffle et ne tolère aucun temps mort. Plus attentif semble-t-il à l’orchestre qu’aux solistes, il emporte tout le plateau dans son élan. Mais, au même titre que son collègue Giulio Cilona, les tendres apartés entre Mimi et Rodolfo -la soprano sensible et délicate Adèle Lorenzi-Favart et le ténor généreux Raffaele Abete- ne transparaissent pas assez, alors que le personnage de Musetta -Louise Foor très convaincante et séduisante face au vaillant Marcello d’Ivan Thirion-, possède tout le relief et l’abattage indispensables. Se mettant pleinement au service des trois concurrents, l’Orchestre et les Chœurs de l’Opéra de Liège se montrent à la hauteur de la tâche, se pliant avec aisance à leurs sollicitations, avec un enthousiasme et une perspicacité soulignés par le public nombreux venu assister à cette finale.
Présidé par Pedro Halffter, chef d’orchestre et Directeur Artistique du Théâtre de la Maestranza de Séville, le jury est constitué de deux éminents artistes lyriques, Patrizia Ciofi et Bruno de Simone, de Patrick Marie Aubert chef de Chœur dont celui de l’Opéra National de Paris jusqu’en 2014, Giorgio Benati et Nestor Taylor tous deux compositeurs, Michel Hambersin, journaliste et critique musical belge, Simon Krecic, chef d’orchestre et Directeur artistique de l’Opéra de Maribor en Slovénie, Fluvio Macciardi, Surintendant et Directeur artistique du Théâtre Communal de Bologne, Stefano Pace Directeur général et artistique de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège et Christina Scheppelmann, Directrice générale de l’Opéra de Seattle. Le choix du jury reçoit le plein consensus du public, mais aussi de tous les artistes et musiciens. Dayner Tafur-Diaz, qui a reçu la Baguette de Cristal récompensant le gagnant, est très longuement applaudi. Il dirigera une production à l’Opéra Royal de Wallonie Liège lors de la saison 2023/2024. La tenue du prochain concours de Chef d’Orchestre d’Opéra est d’ores et déjà programmée pour 2025.
Retrouvez notre brève annonçant les résultats du concours 2022 en cliquant sur ce lien.