Eva Zaïcik au Miroir d’eau du Jardin de William Christie
Le Festival dans les Jardins de William Christie ne laisse aucun répit à ses visiteurs : après des ateliers de découverte, des promenades musicales (concerts de 15 minutes proposés dans différents espaces des jardins tout au long de l’après-midi), vient l’heure du concert du soir, au Miroir d’eau ou à l’église de Thiré (le village où se situent les jardins) puis une méditation, concert au cours duquel le public est invité à ne pas applaudir pour laisser le silence faire musique et permettre une transition douce entre l’excitation de la journée et le calme de la nuit. Ainsi, les festivaliers les plus acharnés peuvent écouter de la musique de 14h à minuit, presque sans interruption. Tout reste bien sûr à la carte pour permettre à chacun de picorer à sa guise, à son rythme.

Les concerts proposés durant l’après-midi permettent d’entendre les musiciens de l’ensemble des Arts Florissants (auxquels se joignent des étudiants de la Juilliard School) en petits comités : 2 à 5 artistes pour 20 à 50 spectateurs, dans une grande proximité. Surtout, cela permet de découvrir individuellement les musiciens, de mettre des noms sur des personnalités qui restent cachées le reste du temps dans un "ensemble" plus impersonnel. De fait, quand vient le concert du soir, l’orchestre n’est plus perçu de la même manière : si les musiciens ont troqué leurs habits décontractés de l’après-midi pour des costumes noirs unis, chacun de leurs visages est désormais familier. L’écoute en est transformée.
Le concert du soir, au Miroir d’eau, est consacré à Mozart (airs d’opéras, Symphonie n°40 et Petite musique de nuit), avec une incartade chez Bach fils, Carl Philipp Emanuel (pour sa Symphonie en mi mineur). Les deux compositeurs partageaient en effet l’enthousiasme du mécène Gottfried van Swieten.

Les airs d’opéra, extraits de Mithridate et des Noces de Figaro, sont interprétés par Eva Zaïcik. La sonorisation et la réverbération de l’eau apportent à sa projection une acoustique étonnante et entourante. La mezzo-soprano dispose d’aigus duveteux et de graves ronds et profonds. Qu’elles soient liées ou piquées, ses vocalises restent bien conduites, légères et souples, son phrasé est travaillé. Elle garde un regard lointain et pourrait encore parfaire son interprétation en incorporant davantage de théâtre. Le rafraichissement de la température plaide pour une couverture vocale plus soutenu, ce qui réchauffe sa voix.

Paul Agnew dirige l’ensemble par des gestes sobres et clairs, sa main gauche suivant le plus souvent sa main droite. Si cela n’empêche pas de vrais choix d’interprétation dans certaines pièces, d’autres sont plus lisses et monotones, à l’image de l’Andante de la Symphonie n°40, les phrases musicales se répétant souvent avec des partis-pris identiques. L’interprétation est vive, les traits sont fins. Les vagues musicales se déroulent en flux et reflux, bien que l’eau sous la scène reste calme. Le public applaudit entre les mouvements, mais pas toujours à la fin des pièces, ce qui amuse le chef (qui tend même un piège en tapant sa baguette sur sa cuisse à la fin d’un mouvement, comme s’il attendait une réaction du public qui aurait pourtant été inopportune), cela prouvant que le public présent n’est pas constitué que d’initiés, et c’est tant mieux.

Quelques minutes après avoir posé sa baguette, Paul Agnew reprend sa casquette de ténor (au timbre barytonant dans les graves) pour la méditation qui suit, parcourant des œuvres de Tobias Hume. Il est accompagné de la violiste Myriam Rignol, dont l’interprétation virtuose, intelligente et profonde, saisit le public. Conformément aux consignes, les deux artistes quittent la scène sans un bruit et le public, repu de musique, s’en retourne épuisé mais ravi.