Les stars en récitals à l’Opéra de Liège
L’Opéra Royal de Wallonie-Liège propose chaque année des opus mis en scène (nos comptes-rendus) avec l’appui de ses ateliers maison (auxquels nous avons également consacré un grand format), fait rayonner une riche programmation et politique Jeune public, et organise de prestigieux récitals.
Héritage et Tradition
C’est en effet désormais une tradition, la Wallonie lyrique vibre chaque saison pour plusieurs concerts avec de grandes voix lyriques en récitals avec orchestre. Les récitals s’inscrivent ainsi pleinement dans la politique artistique de la saison et servent à la faire rayonner, comme nous le confirme la Directrice musicale de l’Opéra Royal de Wallonie, Speranza Scappucci : “Les récitals avec de si grands artistes attirent les publics à l’opéra et nous permettent de faire ensuite revenir les spectateurs. C’est exactement la même dynamique que celle menée par la maison avec toutes ses initiatives destinées aux jeunes et aux enfants, y compris dans les écoles et avec des opéras participatifs. Parmi eux, certains viennent pour la première fois et voudront revenir toute leur vie.”
Les grands noms sont ainsi au rendez-vous durant toute la saison dans les productions d’opéras, et avec d’immenses têtes d’affiches en récital : un héritage de l’ancien Directeur, Stefano Mazzonis di Pralafera qui a programmé “cette saison comme chaque saison, en invitant des chanteurs renommés car il les connaissait, car ils s’appréciaient, car ces chanteurs qui étaient ses amis voulaient venir chanter pour lui, relate Speranza Scappucci. Nous avons poursuivi cette tradition de grands concerts de gala, avec orchestre et voix (dans un équilibre municipal laissant le symphonique pur à l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège, comme eux nous laissent le lyrique). Ces programmations de concerts se déclinent en versions concertantes, récitals, et musiques religieuses également. Nous avons ainsi ajouté le Requiem de Mozart en ouverture de saison, comme un retour à la vie culturelle et en hommage à toutes les victimes du Covid, à celles des inondations que nous avons subies à Liège, et bien entendu aussi à Stefano Mazzonis di Pralafera”, dont l’action se poursuit durant toute cette saison. Et la programmation s’enrichira peut-être encore : “Il pourrait y avoir des surprises pour la fin de la saison : je réfléchis à de nouveaux programmes qui viendraient s’ajouter”, explique, mystérieux, le nouveau Directeur des lieux Stefano Pace.
Cette tradition devrait d’ailleurs se poursuivre les saisons prochaines : “Il faut parfois attendre quatre ou cinq ans avant de pouvoir inviter certains grands artistes sur un projet, explique Stefano Pace. Le récital est plus flexible. Ce format permet aussi d’entendre ces artistes déployer leurs capacités vocales libérés de toute contrainte de mise en scène. J’aime aussi les récitals car ils permettent de faire découvrir des airs d’opéras qui ne sont pas programmés dans leur intégralité, parfois à raison, mais aussi de faire découvrir des artistes encore peu connus, ou d’accompagner une évolution de répertoire d’un artiste. Cela permet de présenter les meilleurs morceaux, les airs les plus attendus, de différents opéras : c’est excitant pour le public. Nous présentons cette saison des récitals de très haut niveau : l’objectif sera de maintenir ce niveau les saisons prochaines.”
De grands noms, de grands débuts et des fidèles
L’Opéra de Liège a ainsi déjà invité en récital ces dernières saisons la légende habituée des lieux qu’est Leo Nucci, ainsi que Béatrice Uria-Monzon (présente dans la maison au tournant du millénaire et qui aurait dû revenir pour Hamlet d’Ambroise Thomas annulé par la pandémie).
Les récitals ont permis de prestigieux débuts dans la maison lyrique wallonne comme ce fut le cas avec Joyce DiDonato pour un stratosphérique récital bel canto, pour le premier récital commun des amis de 15 ans Ildebrando d'Arcangelo et Speranza Scappucci et même en temps de crise sanitaire la maison a tenu à sauver l’Instant Bel Canto capté avec Daniel Oren et Saioa Hernández ainsi que la célébration du romantisme à la française.
Les stars sont encore au rendez-vous en cette saison 2021/2022, pour les grands débuts maison de solistes mais aussi de chefs d’orchestre : au total, sept musiciens feront leurs débuts maison cette saison en récital (le chef David Giménez Carreras, Aleksandra Kurzak et Roberto Alagna, Caroline Wenborne et Alex Penda, le chef Lorenzo Passerini et Nadine Sierra). Et à en croire Stefano Pace, ces débuts en récital pourraient trouver leur prolongement dans des opus entiers : “J’apprécie beaucoup ces artistes. Ces récitals sont une opportunité pour eux de dévoiler au public liégeois la palette de leurs capacités vocales, mais aussi leurs goûts musicaux : leurs programmes contiennent des pièces très peu jouées. J’espère que nous pourrons entendre certains de ces artistes dans des opéras complets ces prochaines saisons.”
Juan Diego Flórez le 25 novembre 2021 à 20h
Juan Diego Flórez fera son grand retour wallon : lui qui donnait déjà des récitals à Liège avec l’Orchestre de la maison en 2012 et 2014, reviendra avec Michele Spotti à la direction de cette phalange. Le ténor péruvien proposera un récital de gala en deux parties avec un entracte, mais surtout en cinq temps : quatre en italien et un en français. L’occasion de rappeler que Juan Diego Flórez est une référence dans le bel canto mais aussi dans le répertoire français, lui qui a marqué les esprits à la croisée de ces deux répertoires, avec La Fille du Régiment.
Le récital ouvrira avec Rossini pour l’Ouverture orchestrale de Tancredi, qui mènera vers deux airs chantés extraits d’Il Signor Bruschino et de Semiramide. L’Ouverture de Don Pasquale ouvrira le second temps, dédié à Donizetti, et mènera à l’air si célèbre “Una furtiva lagrima” de L'Élixir d’amour, avant de passer du plus connu au beaucoup moins connu avec un extrait du Duc d’Albe (rappelant là aussi une marque de fabrique de la maison, qui programme des chefs-d'œuvres les plus célèbres et ressuscite des œuvres rares du répertoire bel canto).
Après l’entracte justement, la partie dédiée à Verdi enchaînera Rigoletto (“Questa o quella”) avec Jerusalem (que Liège rendait au public en 2017). Comme pour toutes les parties de ce concert, les airs auront été précédés par un épisode symphonique : pour Verdi il s’agira de la célèbre Sinfonia de La Force du destin (qui a ouvert cette saison liégeoise). La quatrième partie, dédiée à l’opéra français, permettra d’entendre des extraits de Carmen de Bizet (prélude de l’acte 3), du Roy d'Ys de Lalo, ou encore l’un des airs les plus célèbres du répertoire, et notamment dans l’interprétation de ce ténor : “Pourquoi me réveiller”, du Werther de Massenet. Il chantera aussi l’éveil d’un autre grand héros romantique, Roméo de Gounod, avec “Ah, lève-toi soleil”. Enfin, un retour au répertoire italien laissera entendre le sublime Intermezzo de Cavalleria Rusticana de Pietro Mascagni avant un air tiré de Le Villi de Puccini.
Aleksandra Kurzak & Roberto Alagna le 5 décembre 2021 à 15h
Liège a aussi pour tradition d'inviter dans sa saison de récital des duos, et en particulier en duo soprano/ténor comme ce fut le cas avec Jessica Pratt et Alessandro Liberatore et même en duo soprano/ténor frère et sœur avec Sonya Yoncheva & Marin Yonchev, ou encore des couples avec Anna Netrebko & Yusif Eyvazov pour un récital sur l’éternité du lyrique italien. L’autre couple star des scènes lyriques, Aleksandra Kurzak et Roberto Alagna, viendra à son tour défendre le programme de son dernier album en duos : Puccini in Love. Ce récital sera l’occasion d’un triple début maison : le public liégeois entendra pour la première fois Roberto Alagna et Aleksandra Kurzak mais découvrira aussi le chef d’orchestre David Giménez Carreras.
Le duo chantera l'amour, de Tosca et Mario, Manon Lescaut et le Chevalier des Grieux, Madame Butterfly et Pinkerton dans trois grandes sections en airs et duos. Enfin, ils seront réunis pour La Bohème, après un air de La Rondine chanté par le ténor, et en interlude orchestral La Tregenda (Le Villi).
Le couple poursuivra ainsi son parcours en commun : eux qui même durant le confinement brillaient en direct depuis la Côte d’Azur pour le Metropolitan Opera de New York :
ou en direct de leur salon :
ou dans les Chorégies d’Orange désertes :
Amour & Mort avec Alex Penda, Caroline Wenborne et Speranza Scappucci le 16 janvier 2022 à 15h
Pour le troisième récital de la saison, la Directrice musicale Speranza Scappucci a eu l’idée de réunir deux compositeurs et deux sopranos autour du thème “Amour & Mort”. Deux sopranos feront ainsi leurs débuts à Liège en chantant Strauss, chacune son tour et après un épisode orchestral signé Wagner : Alex Penda (qui a notamment incarné Lady Macbeth à Reims, Limoges et Avignon) chantera le Finale de la Salomé de Strauss dans les échos de la Mort d’Isole pour orchestre, après les Quatre derniers Lieder de Strauss interprétés par Caroline Wenborne (qui a marqué les esprits dans le répertoire de Wagner et dans son temple de Bayreuth, pour la dernière reprise de La Walkyrie mise en scène par Frank Castorf) dans la foulée de l’ouverture du Lohengrin.
“J’ai eu l’idée du concert Wagner/Strauss car j’aime ce répertoire et cela donne à l’Orchestre l’occasion de jouer ces deux compositeurs, explique la Directrice musicale Speranza Scappucci. Alexandrina Pendatchanska est une grande Salomé que j’ai entendue il y a six ans au Festival de Santa Fe. Je l’ai trouvée absolument magnifique et nous avions donc pensé à elle avec Monsieur Mazzonis. Pour les Quatre derniers Lieder, j’ai choisi Caroline Wenborne, jeune australienne, membre de la troupe de l’Opéra de Vienne durant plusieurs années, qui a chanté ces pièces à Vienne, avec les prestigieux Wiener Philharmoniker et au Musikverein. C'est une très belle voix lyrique, parfaite pour Strauss.”
L’idée est ici aussi d’associer une chanteuse renommée, avec une voix à connaître en Belgique et qui fait ainsi ses débuts : à Liège les grandes voix lancent de jeunes voix, comme les chefs-d'œuvre célèbres du répertoire s’enchaînent avec les raretés et redécouvertes.
Speranza Scappucci a réuni avec ce programme “les thématiques de l’amour et de la mort dans leurs différentes facettes : l’amour maladif de Salomé avec son grand Finale qui est bien entendu lié à la mort de Jean-Baptiste, et dans les Quatre Dernier Lieder l’amour et la vie après la mort. La thématique se renforce avec les morceaux orchestraux que nous interpréterons : le Liebestod (Chant d’amour et de mort) de Tristan et Isolde sublimant l’amour passionnel et interdit menant à la mort. Quant à l’Ouverture de Lohengrin, je l’ai choisie car c’est une belle pièce pour commencer un concert.
La réunion de ces deux Richard (Wagner et Strauss) montre ainsi deux facettes différentes incarnées par ces deux compositeurs, mais le programme montre aussi des éléments très différents dans les catalogues de chaque compositeur avec deux morceaux très contrastés de chacun.”
Le Directeur Stefano Pace anticipe même les bénéfices de ce concert pour sa programmation future : “Ce concert peut être vu comme une avant-première de compositeurs qui seront présents dans les saisons que je construis. J’affectionne Wagner et Strauss, qui n’ont pas été donnés ici depuis longtemps : ils méritent d’être présentés à notre public. Eugène Onéguine, qui n’avait plus été donné depuis 27 ans, s’est presque joué à guichets fermés : ces chefs-d'œuvres, peu donnés ici, sont des pierres angulaires d’une culture d’opéra et ne peuvent être absents si longtemps. J’aime beaucoup le programme choisi par Speranza Scappucci : Lohengrin, dont l’ouverture sera jouée durant ce concert, est mon ouvrage préféré de Wagner et je programmerai certainement Tristan et Isolde et Salomé.”
Nadine Sierra le 12 février 2022 à 20h
Nadine Sierra complètera cette saison de récitals, en faisant elle aussi ses débuts très attendus à l’Opéra de Liège. Un autre événement important pour la maison, et qui résonne avec un moment marquant pour la Directrice musicale Speranza Scappucci comme elle nous le raconte : “Nadine Sierra est une grande star dans le monde entier, que j’ai connue lors d’une occasion très importante pour moi car il s’agissait de mes débuts dans un théâtre d’opéra comme cheffe d’orchestre : en 2013 au Festival de Glimmerglass dans l’Upstate New York. Je dirigeais le Stabat Mater de Pergolèse, mis en scène, signé par une grande chorégraphe américaine avec huit danseurs. Le contre-ténor était Anthony Roth Costanzo qui est lui aussi désormais une star, et la soprano, alors encore peu connue, était Nadine Sierra. Nous avions tous les trois été invités par Francesca Zambello dans ce projet qui semblait détonnant pour une maison d’opéra, et je n’ai pas oublié combien Nadine est une belle personne. Je lui ai alors dit qu’elle serait très bien pour le bel canto, et je suis très heureuse de voir sa carrière. Le public liégeois va beaucoup l’aimer. Sa voix a cette qualité argentée et souple, idéale pour le répertoire italien du bel canto et qui évoluera sans doute dans le futur vers Strauss et Mozart évidemment.”
Ce premier concert à Liège de Nadine Sierra marquera aussi les débuts maison du chef Lorenzo Passerini et le programme illustrera toute la richesse qu’un récital peut parcourir avec des œuvres composées par Nicolai, Gounod, Puccini, Donizetti, Bernstein, Massenet, Gerónimo Giménez et Verdi : un programme qui tournera ensuite, partant de Liège pour aller jusqu’au Turun Musiikkijuhlat (le plus vieux Festival musical de Finlande).
Là aussi l’amour se conjuguera à la folie : dans le rêve fou menant au fou-rire avec Don Pasquale de Donizetti, la folle de joie avec “Je veux vivre” de Juliette (résonnant dans ce programme avec la Gavotte de Manon) mais qui mènera au drame. Le rêve et la folie tournent aussi au tragique : par la figure de Lucia di Lammermoor qui hante et traverse tout ce récital ("Regnava nel silenzio" concluant la première partie, la Scène de la folie concluant le programme).
Le concert aura comme de coutume été lancé par une ouverture orchestrale et là aussi commençant dans la gaîté et la rareté avec Les Joyeuses Commères de Windsor d’Otto Nicolai, pour plonger dans le lyrisme de l’Intermezzo de Manon Lescaut (Puccini), puis de nouveau une certaine légèreté au début de la seconde partie avec l’Ouverture de La Fille du Régiment (Donizetti). Après le plus rare Otello de Rossini (et non de Verdi) proposé durant la saison d’opéra, ce récital proposera un air extrait d’une autre rareté avec un fameux homonyme : Le Barbier de Séville, mais plus précisément El Barbero de Sevilla, la zarzuela composée par Gerónimo Giménez et Manuel Nieto créée en 1901. Et comme un leitmotiv de la saison, de la résilience de l’opéra face aux crises et tumultes, l’Orchestre de la maison interprétera aussi les grands coups du sort dans l’ouverture de La Force du destin : eux qui ouvraient la saison et résonneront aussi au cours du récital de Juan Diego Flórez.
L’Orchestre protagoniste
“Pour Strauss & Wagner, ce qui m’attire encore plus dans ce répertoire et dans tous ces contrastes est la place de l’orchestre en protagoniste, poursuit Speranza Scappucci. Le travail avec les musiciens n’est pas seulement celui d’un simple concert. C’est une manière de proposer des défis à l’Orchestre, en lui donnant l’occasion de jouer des choses rares, pour valoriser le grand potentiel de la phalange et de ses musiciens (potentiel que je veux explorer en tant que Directrice musicale).
Nous venons ainsi dans cette même ambition de jouer Eugène Onéguine qui n’était plus à l’affiche de Liège depuis près de 30 ans (ce qui est aussi très intéressant pour les Chœurs, qui avaient chanté russe il y a 10 ans avec Boris Godounov). Jouer des œuvres et des répertoires différents est très important. Les récitals avec orchestre le permettent, et valorisent aussi leur travail, d’autant qu’ils sont alors sur le plateau, sous les projecteurs.”
Le travail mené en récital s’inscrit donc dans la politique artistique de la maison et dans la progression de l’orchestre, comme poursuit la Directrice musicale : “J’ai pris l’orchestre à un niveau élevé atteint avec Paolo Arrivabeni. Pendant mes cinq années de mandat, nous avons aussi renouvelé des postes (suite à des départs à la retraite), apportant une énergie nouvelle. J’ai beaucoup cherché à travailler sur la sonorité, l'élégance de la phrase, la souplesse et la théâtralité du répertoire italien. Je travaille dans le détail et j’espère avoir apporté ce sérieux du travail méticuleux, la recherche d’un son qui s’adapte aux différents styles” et donc aux différents répertoires et exercices comme le récital.
Le Directeur Stefano Pace confirme ce bénéfice : “Les récitals se feront toujours avec orchestre dans les saisons à venir. D’abord, cela offre la possibilité de faire entendre de belles pièces pendant que le chanteur repose sa voix entre des airs de bravoure. Ces concerts sont aussi très importants pour l’orchestre et les chœurs. C’est l’occasion pour lui de se confronter à d’autres répertoires et d’autres chefs, et le force à maintenir un niveau d’exigence et d’étude élevé. J’espère que cela aiguise leur curiosité.”