Bertrand Rossi, à l'Opéra de Nice en réformateur
Bertrand Rossi, vous êtes à la tête de l’Opéra de Nice depuis janvier 2020 : quelles sont les missions qui vont été confiées?
Lorsque je suis arrivé à Nice, l’Opéra avait connu une période d’instabilité car les directeurs passés ne restaient pas longtemps. Ce théâtre a une histoire forte, mais nous étions un peu sortis des radars de l’art lyrique en France et en Europe. Il manquait un projet politique et culturel fort. Le maire de Nice, Christian Estrosi, m’a engagé d’abord pour apporter cette stabilité et redonner à l’Opéra son rayonnement national et international. Ma deuxième mission est d’élargir les publics. En 2018/2019, nous avons accueilli 55.000 spectateurs : ce n’est pas suffisant pour la cinquième ville de France, dont la métropole compte 600.000 personnes. À titre de comparaison, à l’Opéra du Rhin [dont Bertrand Rossi était Directeur par intérim avant d’être nommé à Nice, ndlr] nous accueillions 115.000 spectateurs par an. J’aime beaucoup notre cœur de public actuel : il est cultivé, engagé, mélomane et amateur de belles voix. Mais il nous faut emmener ce public vers plus d’audace, plus de nouveauté et vers un répertoire élargi, à même d’attirer de nouveaux spectateurs. Il y a aussi un gros travail de médiation à mener pour faire connaître l’opéra, j’ai donc souhaité proposer de nouveaux formats, de nouveaux lieux, de nouveaux horaires, de nouvelles façons d’appréhender l’opéra. Nous mettons en place de nouveaux partenariats, comme avec l’Université Nice Côte d’Azur, avec l’Éducation nationale ou avec le Théâtre national de Nice que nous accueillerons cette année, pour aller chercher les nouveaux spectateurs un par un. D’autres opéras font cela, mais c’est nouveau à Nice. Enfin, j’ai pour mission de réformer l’opéra.
Quel est selon vous l’ADN de cette maison ?
Étant Niçois, j’ai la chance de bien connaître cette ville. Nice est une ville avec une forte tradition : on y parle la langue niçarte et les gens sont très attachés à l’histoire de la ville. Il y a une forte tradition de la voix : dans les années 1970, Montserrat Caballé a fait ici ses débuts en France, tout comme José Carreras. Puis dans les années 1982-1994, Pierre Médecin, qui a ensuite dirigé l’Opéra Comique, a créé l’Orchestre Philharmonique de Nice et a fait évoluer le répertoire : par exemple, Les Maîtres-chanteurs ont été joués à deux reprises, et le Ring a été programmé en cycle dans une nouvelle production, ce qui est extrêmement rare dans une maison d’opéra de province, et plus encore dans le Sud. Il y a eu des moments mémorables, comme un Guillaume Tell mis en scène par Pier Luigi Pizzi, avec José van Dam et Chris Merritt et un jeune chanteur qui débutait en France dans le rôle du Pêcheur, Gregory Kunde. Il y avait alors des prises de risque dans les mises en scène, avec des relectures de livrets. Je m’appuie sur cet historique pour programmer autrement, prendre des risques dès ma prise de fonction, et emmener le public vers des propositions dont il n’a pas l’habitude.
Vous avez dû programmer votre première saison en quelques mois : comment cela s’est-il passé ?
Lorsque j’ai pris mes fonctions en janvier 2020, la saison 2020/2021 n’était absolument pas construite : c’était une page blanche. J’ai pu m’appuyer sur mon carnet d’adresses pour construire une programmation que je ne voulais pas de transition. Je voulais marquer cette saison de mon empreinte et que les mises en scène, auxquelles j’accorde beaucoup d’importance, aient mon esthétique. J’ai par exemple noué une collaboration avec l’Opéra Comique, avec qui nous aurons chaque saison un opéra en coproduction. Je voulais tisser des liens avec des artistes que je connaissais, et les faire découvrir au public niçois. Ça a été court et intensif, mais j’ai pu m’appuyer sur une équipe extrêmement efficace et qui avait très envie de collaborer sur un nouveau projet. J’ai été très bien accueilli et j’ai pu aller très loin dans la programmation dès mon arrivée. Au total, nous aurons cette saison 290 levers de rideaux. Cette maison qui ronronnait depuis quelques années devient l’une des plus actives en France.
Vous indiquez parmi vos missions celle de réformer l’Opéra : de quoi s’agit-il ?
En tant que Directeur général de cette entreprise culturelle, je dois en assumer l’organisation et le management, ce qui m’intéresse beaucoup. J’ai pu travailler sur un nouvel organigramme qui nous permet d’être plus performants, plus rapides, grâce à une modification de 90% de l’équipe de direction. Nous sommes en régie municipale directe : le lien entre la municipalité et l’Opéra est très fort, ce qui n’a pas toujours été le cas par le passé, et ce qui permet de dénouer les éventuelles situations difficiles. Nous travaillons aussi sur le statut du ballet, qui n’a pas été réformé depuis 40 ans, mais aussi sur le règlement de l’Orchestre et du Chœur. Nous essayons d’améliorer ce qui ne fonctionne pas ici, en nous inspirant de ce qui marche ailleurs au niveau national.
Vous avez ouvert un nouveau lieu de spectacle : La Diacosmie. Pourquoi ?
C’est un lieu magique, qui date de l’époque de Pierre Médecin : il a été conçu en 1985 pour accueillir l’ambition de faire un Ring à Nice. C’est un centre de production unique en France : tout est réuni en un lieu, près de l’aéroport, sur la plaine du Var qui se développe beaucoup aujourd'hui. Il accueille les répétitions de l’Orchestre, des Chœurs, des danseurs, mais aussi les ateliers de décors et de costumes. On y stocke plus de 10.000 costumes, ainsi que des décors. C’est une fourmilière d’artistes. Je me suis rendu compte que peu de gens connaissent ce lieu : j’ai voulu ouvrir ses portes au public pour le faire connaître. Nous allons donc y faire des spectacles. Il y a une immense salle, la Salle Jedrinsky du nom du célèbre décorateur, qui est l’équivalent en taille de la Salle Apollon à l’Acropolis : lorsqu’on n’y répète pas de production, cela laisse suffisamment de place pour y jouer des spectacles. Comme la scène de l’Opéra de Nice est très occupée, cela offre un autre lieu pour augmenter le nombre de nos propositions, qui en plus nous permet d’aller chercher le public de l’ouest de Nice. Ce sera un lieu où l’on pourra prendre des risques, axé sur le théâtre musical, le jeune public et l’action culturelle ainsi que sur des formes plus expérimentales. La salle bénéficie d’une jauge de 320 places. L’équipement de scène est celui de l’Opéra que nous transportons, mais nous allons investir pour avoir un lieu pérenne. J’aimerais même, un jour, y installer des gradins rétractables.
Akhnaten aura ouvert vos deux premières saisons en tant que Directeur du fait du report lié à la pandémie : pourquoi avoir choisi cette œuvre comme marqueur de votre mandat ?
Il était important pour moi d’élargir le répertoire pour élargir le public. Je suis convaincu que nous pourrions attirer beaucoup plus de monde si nous arrivions à faire entrer au moins une fois dans nos murs le public qui ne connaît pas encore l’opéra. Je voulais choisir un titre qui sorte de l’ordinaire. Je suis très attaché à la musique d’aujourd’hui et à la musique du XXème siècle. C’est une prise de risque car ce n’est pas du grand répertoire que l’on a l’habitude de voir à Nice, mais en même temps, ce risque est mesuré car Philip Glass a un style et une sonorité qui est sa propre signature et a permis à l’œuvre de faire un grand buzz lorsqu’elle a été jouée au Metropolitan de New York. J’aime cette musique minimaliste et répétitive, hypnotique. J’aime l’effet de transe que cette musique provoque : Philip Glass est le précurseur de la musique électro d’aujourd’hui. Je suis persuadé que sa musique peut plaire aux jeunes. C’est une expérience qu’il faut tenter. Même dans les équipes de l’Opéra, un technicien qui a découvert cette musique à l’occasion de cette production m’a dit qu’il ne pouvait plus s’arrêter d’écouter du Philip Glass. C’est comme une drogue : quand on écoute cet opéra, cela donne envie d’écouter tout ce qu’il a fait d’autre, mais aussi les œuvres d’autres tenants de la musique minimaliste comme Steve Reich ou John Adams.
Pourquoi avoir choisi cet opus de Philip Glass ?
Akhnaten est le dernier opus de son triptyque, après Einstein on the Beach en 1976 et Satyagraha en 1980. Mais Einstein on the Beach dure cinq heures : le compositeur a même indiqué sur la partition que le public pouvait entrer et sortir durant la représentation. Je me voyais mal commencer par cette œuvre : ça aurait été un peu trop. Akhnaten est le plus facile d’accès.
Comment avez-vous amené Lucinda Childs à faire cette mise en scène ?
Qu’elle ait accepté de faire cette production pour ma première production lyrique est un signe fort. Elle a un lien fort avec Philip Glass, puisqu’elle a créé Einstein on the Beach avec lui et Bob Wilson en 1976. Je ne pouvais pas rêver mieux. Quand j’ai pensé à elle, elle m’a dit oui tout de suite, par amitié. C’était très touchant. Nous avons pu aller au bout du travail l’an dernier et capter la production. Nous avons eu 100.000 vues dont 14% aux États-Unis : l’opéra a été vu dans 44 pays différents. Je suis maintenant impatient de présenter cette production à un public en salle, parce que c’est en salle que le côté hypnotique opère réellement. On ne le ressent pas autant devant un écran. Nous aurons un super chef d’orchestre en Léo Warynski, que je me réjouis de voir à nouveau dans ce répertoire.
En novembre, l’Opéra présentera Le Château de Barbe-Bleue en version de concert, ainsi que la création Fabula de Daniel d’Adamo. Quelle est l’origine de ce projet de création ?
Ce spectacle est un report de la saison dernière. D’Adamo est un compositeur que j’aime beaucoup, qui est professeur au Conservatoire de Strasbourg. Nous avons souhaité, avec le CIRM [l'un des six Centres Nationaux de Création Musicale, ndlr], lui passer une commande qui était prévue dès le départ pour être jouée avec Le Château de Barbe-Bleue de Bartok. Pour ce report, le spectacle sera dirigé par Marko Letonja : Le Château de Barbe-Bleue était justement un ouvrage qu’il souhaitait travailler. Eve-Maud Hubeaux viendra à cette occasion pour la première fois à Nice.
Ce programme est donné dans le cadre du Festival manca : de quoi s’agit-il ?
Le Festival manca est une antenne du CIRM, le centre de recherche musicale de Nice. Chaque automne, le CIRM propose un Festival avec des créations et des œuvres des dernières décennies. C’est un moment fort dans la ville de Nice : le Festival joue dans plusieurs lieux, et aborde différents styles musicaux. Lorsque j’étais à l’Opéra du Rhin, j’ai beaucoup contribué au Festival Musica qui me tient particulièrement à cœur : je prolonge ici ce travail avec le Festival manca. L’Opéra de Nice doit participer à créer le répertoire du XXIème siècle pour rester un opéra de notre temps. Ce festival nous permet à l’Opéra de Nice de nous focaliser en novembre et début décembre sur la musique d’aujourd’hui. Nous garderons ce fonctionnement chaque saison. J’espère que cela nous permettra d’accueillir un nouveau public, peu habitué aux œuvres classiques mais attiré par des créations et par le propos de compositeurs sur le monde d’aujourd’hui.
Quelles sont les autres œuvres programmées dans le cadre de ce festival ?
Nous programmons le Cosmicomiche de la compositrice Michèle Reverdy, La Ralentie de Pierre Jodlowski, ainsi que Ma Vie rêvée de la compositrice corse mais qui vit à Nice Sarah Procissi, qui s’intéresse beaucoup à la musique orientale et du sud de la France. Cette performance de danse sera chorégraphiée par Eric Oberdorff.
En décembre, sera donnée une opérette avec La Veuve joyeuse : cette tradition des ouvrages légers en décembre est-elle importante ?
Nous jouons cette œuvre dans le cadre du Festival d’opérette de Nice dont nous célébrons les 20 ans cette année. Melcha Coder en est la Directrice artistique et l’Opéra de Nice produit ce spectacle. J’ai demandé au jeune et talentueux metteur en scène Benoît Bénichou de questionner ce qu’est l’opérette au XXIème siècle. Il va proposer une version de l’œuvre déconcertante pour le public qui a l’habitude de voir cette œuvre. J’aime l’idée de réinventer les œuvres que l’on connaît par cœur : cela permettra de la redécouvrir d’une nouvelle manière. Souvent, l’opérette est vue comme un art désuet avec de vieux costumes et de vieux décors. Pourtant, cette alternance entre le chanté et le parlé, avec des sujets légers et des musiques légères, peut se rapprocher de notre temps et attirer un public plus jeune. Il faut renouveler le style de mise en scène et l’histoire que l’on raconte à travers cette œuvre. La Veuve joyeuse est une pure opérette dans le style viennois, avec une musique absolument sublime. Il est nécessaire de choisir les bons ouvrages : toutes les opérettes ne méritent pas de sortir des tiroirs.
Vous faites confiance à cette occasion à Bruno Membrey, spécialiste de ce répertoire, ainsi qu’à de jeunes chanteurs : comment avez-vous construit cette distribution ?
La distribution a été construite avec Melcha Coder. Nous invitons en effet des artistes jeunes sachant jouer, chanter et danser. Nous aurons en Danilo Frédéric Cornille, un baryton marseillais qui est aussi habitué de notre maison, ainsi que la jeune soprano Camille Schnoor en Hanna, une chanteuse niçoise en troupe à Munich, qui fera ses débuts à l’Opéra de Nice à cette occasion : elle est pétillante et chante incroyablement.
Cette Veuve joyeuse sera à découvrir dans quelques jours à travers notre rubrique L'Air du jour
Vous vous êtes joints à l’Opéra Comique pour coproduire La Dame blanche que vous proposez finalement mise en espace par Valérie Nègre : pourquoi ce choix ?
La Dame blanche est un report de la saison dernière. Pendant les répétitions de l’an dernier, nous nous sommes rendus compte que nous ne pourrions pas accueillir de public : nous avons alors renoncé à faire venir de Paris les décors et les costumes qui représentent trois semi-remorques. Nous avons décidé de faire une version sans les décors, mais en allant dans le détail de la dramaturgie et du jeu d’acteur. Ce sera une vraie mise en scène, qui sera même sans doute plus aboutie que si nous avions un décor. La version que nous avons finalement captée l’an dernier était très forte et ambitieuse. La psychologie des personnages était vraiment travaillée au maximum.
Pourquoi proposer cette production à la Diacosmie ?
Nous devions accueillir le Théâtre national de Nice à l’Opéra à la même période : c’était une bonne opportunité pour proposer à la Diacosmie cette version plus concentrée et proche du public. Cela permet de créer un lien direct entre la scène et le public, qui se confondent : cela correspond bien à un opéra-comique.
C’est Alexandra Cravero, qui fait de plus en plus parler d’elle, qui dirigera cette production : comment s’est-elle retrouvée associée à ce projet ?
C’est une cheffe que j’aime beaucoup : nous avions déjà travaillé ensemble à l’Opéra du Rhin. Cette musique de Boieldieu doit pétiller comme du champagne : même Rossini en fut séduit à l’époque. Alexandra a une énergie incroyable et sait créer une telle dynamique. Lorsqu’elle se trouve devant l’orchestre, elle crée une relation de confiance. L’Orchestre l’apprécie. Nous aurons d’ailleurs d’autres projets avec elle. Par ailleurs, le fait d’avoir une équipe entièrement féminine me plait. Nous aurons cette saison cinq cheffes d’orchestre et quatre metteuses en scène. Je ne cherche pas à atteindre des quotas mais à apporter d’autres visions et d’autres interprétations sur certains sujets ou certaines œuvres.
Les rôles principaux seront tenus par Patrick Kabongo et Amélie Robins : comment les avez-vous choisis ?
Le rôle du ténor est absolument inchantable, un rôle rossinien dans toute sa splendeur. Patrick Kabongo est l’un des rares ténors légers rossiniens à pouvoir chanter ce type de répertoire aujourd’hui. Durant les répétitions de l’an dernier, il a fait des merveilles. Il a une grande agilité : son chant est une dentelle, tout à l’air simple. Amélie Robins, qui chantera aussi Valencienne dans La Veuve joyeuse, a déjà beaucoup chanté ici. C’est l’une des jeunes sopranos qui monte et tant mieux car c’est une chanteuse du sud-est de la France : j’aime l’idée d’accompagner les chanteurs du territoire. Globalement, cette équipe qui travaille dans une ambiance de troupe est jeune et pétille, avec malgré tout aussi des chanteurs confirmés. Je souhaite que l’Opéra de Nice soit un tremplin pour les prises de rôles de jeunes chanteurs, comme ce fut le cas l’an dernier pour Thomas Bettinger qui a chanté Werther ici pour la première fois. La salle s’y prête bien : le théâtre n’est pas trop grand ni trop petit, et a une acoustique exceptionnelle.
La large coproduction du Voyage dans la Lune, après plusieurs décollages ajournés du fait de la pandémie, passera chez vous en février : qu’en attendez-vous ?
C’est une grande coproduction avec 17 maisons, et organisée par le Centre français de promotion lyrique. Offenbach s’empare d’un roman à succès de Jules Verne et le transforme en opéra : sous l’exubérance et la folie apparente pointe une forme de mélancolie. Le metteur en scène Olivier Fredj choisit de montrer l’envers du décor. Il réfléchit beaucoup aux résonances avec notre monde et notre société. Il fait des mises en scène au cordeau, et pousse les chanteurs vers une grande exigence théâtrale. Chloé Dufresne, une jeune cheffe d’orchestre française qui a remporté plusieurs concours et a déjà dirigé de nombreux orchestres en France, tiendra la baguette. La production a été créée à Montpellier pendant la pandémie et sera d’abord donnée à Marseille en décembre avant de venir chez nous. Nous aurons de jeunes chanteurs, qui peuvent aller loin dans l’expression théâtrale, dans un esprit de troupe.
Le confinement a frappé juste au moment de la première de Phaéton : est-ce symboliquement précieux de pouvoir enfin présenter cette production ?
Tout à fait. Après le soleil d’Akhnaten et le Voyage dans la Lune, nous reviendrons vers un autre soleil, celui de Phaéton, une véritable tragédie à la française née à l’époque du Roi Soleil. Elle a survécu pendant deux siècles avant de tomber dans les oubliettes. Eric Oberdorff, qui signera déjà la chorégraphie de Ma Vie rêvée, reviendra en tant que metteur en scène. Il a une compagnie de danse à Nice, qui avait fait Seven Stones du Festival d’Aix-en-Provence. Le thème du soleil, commun avec Akhnaten, sera mis en avant par un clin d’œil de Bruno de Lavenère, scénographe sur les deux productions, qui utilise la même tournette représentant le soleil pour les deux décors, qui sont par ailleurs très différents.
Lire notre compte-rendu de Seven Stones mis en scène par Eric Oberforff à Aix-en-Provence
Cette œuvre baroque sera interprétée par les forces vives de la maison et non par un ensemble spécialisé : pourquoi ?
C’est en effet un choix audacieux de mon prédécesseur. L’idée n’est pas de refuser d’inviter des ensembles baroques à Nice : l’Orchestre a demandé à pouvoir jouer tout type de répertoire. Jouer le répertoire baroque ne peut fonctionner que s’il y a en amont un travail sur le son et sur le style. Nous avons confié la baguette à Jérôme Correas. Son ensemble des Paladins jouera le continuo. Nous avions augmenté le nombre de lectures en 2020 pour travailler ce son et il était arrivé à un résultat extrêmement positif. Nous avons en plus décidé de maintenir le nombre de répétitions pour cette reprise de manière à pousser plus loin encore ce travail. Il en va de même pour le Chœur, avec lequel il avait fait un travail de détail sur le style. Nous allons également recréer un orchestre de musique contemporaine, car il n’y en a pas vraiment à Nice. Nous en avions un qui a été dissout par l’ancien Directeur musical et je trouve cela dommage.
Vous reprenez la distribution telle qu’elle était prévue à l’époque : était-ce une évidence ?
J’ai en effet été très clair sur ce point : cela a été si douloureux pour les artistes que j’ai décidé de les payer pour les contrats qui ont été annulés, et je me suis engagé en plus, selon les disponibilités, à refaire confiance à chacun des artistes pour les reports. Cela a permis de construire une relation saine avec les artistes et leurs agents, et de les rassurer. Je dois dire qu’en plus dans ce cas, la distribution est formidable.
En mai, vous présenterez Macbeth de Verdi : pourquoi cette œuvre ?
Shakespeare a été une source inépuisable d’inspiration pour les artistes romantiques en général et pour Verdi en particulier : nous aurons une production de Falstaff avec le même metteur en scène la saison prochaine et mon rêve serait de faire aussi un Otello. Macbeth a été une occasion pour Verdi, qui était jeune à l’époque, de casser les codes du bel canto. Sa musique est sombre et terrible, en rupture totale avec ce que faisaient Donizetti, Bellini ou Rossini. J’ai confié la mise en scène à Daniel Benoin qui est un metteur en scène de théâtre, qui va rapprocher l'intrigue de notre époque. Il a un beau projet, très fort. Il a transposé l’histoire durant la première guerre mondiale, quand les hommes sont partis à la guerre et que le pays a été confié aux femmes. Les femmes ont pris le pouvoir sur les hommes et lorsque les hommes reviennent de la guerre, ces femmes ne se laissent plus faire.
Il s’agira de la première production d’opéra de Daniele Callegari en tant que Chef principal de l'Orchestre Philharmonique de Nice : qu’attendez-vous de lui ?
Nous sommes en train de relancer l’Orchestre, avec un nouveau chef, une nouvelle gouvernance et une nouvelle ambition. J’ai souhaité avoir un Chef principal plutôt qu’un Directeur musical pour avoir plus de diversité parmi les chefs. Daniele Callegari connaît le répertoire italien absolument par cœur puisqu’il dirige ce répertoire avec les plus grands orchestres du monde, du Met à La Scala. Il s’attaque à cet ouvrage avec beaucoup de plaisir, même s’il a également envie de travailler d’autres répertoires, en particulier celui du XXème siècle. C’est un chef à la fois symphonique et lyrique, ce qui est l’ADN de cet orchestre.
Il y aura aussi à la Diascomie le diptyque Pomme d’Api / Le Singe d’une nuit d’été : que pouvez-vous dire de ce projet ?
Il s’agit aussi d’une production programmée avant mon arrivée, créée à l’initiative de la région Sud qui a incité les quatre opéras de la région à collaborer autour de deux productions : une grosse production, La Dame de Pique mise en scène par Olivier Py, et une plus petite, dédiée au jeune public. Pomme d’Api est l’une des opérettes en un acte les plus réussies d’Offenbach. On passe de la tendresse, au rire et à la mélancolie. Le Singe d’une nuit d’été est de Gaston Serpette, qui n’a pas la notoriété d’Offenbach, mais son œuvre est très dôle et annonce l’univers de Chaplin. Ce diptyque est mis en scène par Yves Coudray qui a l’habitude de ces productions tout terrain : l’objectif est en effet que cette production puisse tourner dans d’autres lieux que des opéras.
Lire notre compte-rendu de La Dame de pique par Olivier Py à Nice en 2020
En juin aura lieu la création de Babel de Sergio Monterisi : comment ce projet s’est-il monté ?
Il s’agit d’un opéra participatif, ce qui est assez nouveau à Nice. Pour un enfant, voir un opéra, c’est bien, mais y participer est encore mieux. Nous avions commencé l’an dernier avec Circo ! qui avait été créé par la même équipe, c’est-à-dire le compositeur Sergio Monterisi et Magali Thomas pour le texte et la mise en scène. Ils ont l’habitude de faire de la médiation et d’aller dans les écoles. Ils travaillent une fois par semaine avec quatre écoles de Nice, sur la musique, mais aussi sur la dramaturgie, le sens de l’ouvrage, la mise en scène. Cet ouvrage a aussi pour but de faire réfléchir les enfants à la cause écologique. Les solistes seront des membres de notre nouveau Centre de Formation d’Apprentis de jeunes chanteurs. Dès cette saison, nous aurons en effet deux diplômes, d’artiste de chœur et de chanteur lyrique. Cet opéra sera leur projet principal et ils pourront travailler avec des chefs de chants, la metteuse en scène et le compositeur. Certains chanteurs seront par ailleurs intégrés à d’autres événements de la saison, comme les dîners sur scène. C’est Elizabeth Vidal qui gérera cette formation. Il n’existait jusqu’ici aucun CFA de chanteur en France. Les auditions pour cette première promotion auront lieu en novembre. Le cursus durera deux ans.
Vous avez mis en place une politique jeune publique très dense, notamment avec les séries de concerts "Viens avec ton doudou" et "Viens avec ton smartphone" : quelle en est l’idée ?
Ce sont des rencontres d’une heure entre des artistes et des enfants. Par exemple, Fabrice di Falco, qui chante le rôle-titre d’Akhnaten, va faire une intervention sur la voix de contre-ténor. Il chantera quelques airs et échangera avec les enfants sur son métier. Il y en a eu un avec un quatuor de musiciens de l’orchestre au cours duquel les enfants ont pu manipuler les instruments. Cela se passe sur scène ou dans le foyer du théâtre. "Viens avec ton doudou" s’adresse aux 3-8 ans et "Viens avec ton smartphone" aux 8-16 ans. Nous réfléchissons même à faire fabriquer des doudous labélisés Opéra de Nice pour que les enfants repartent avec. Ces séances ont un succès tellement énorme que nous allons doubler les dates pour accueillir plus d’enfants.
Il y aura aussi un ciné-concert, un dîner sur scène et un bal : de quoi s’agira-t-il ?
Nous proposons en effet un ciné-concert à Nikaïa, qui est un peu le Zénith de Nice, autour de Gladiator avec l’Orchestre Philharmonique de Nice. C’est une nouveauté pour l’Orchestre. Nous proposerons également ce concert au Dôme de Marseille, ce qui sera également la première fois que l’Orchestre ira jouer à Marseille. J’avais mis en place à Strasbourg des dîners sur scène, qui avaient eu beaucoup de succès : j’apporte donc ce concept à Nice. Nous installons un restaurant sur scène, avec 22 tables. Les convives dégusteront un repas gastronomique et pourront contempler la salle qui sera animée de lumières et de vidéos, et d’interventions des forces vives de la maison. Ce sera un grand show à l’américaine. Par ailleurs, l’une des traditions niçoises qui me tient à cœur est le carnaval : celui de Nice est l’un des plus connus après Venise et l’un des plus anciens puisqu’il a même inspiré celui de Rio. Or, l’Opéra n’a jamais rien fait à cette occasion. Le Veglione est un bal costumé qui avait lieu à l’opéra au début du XXème siècle. Nous en programmons donc un pour interroger l’histoire du bal de l’époque baroque jusqu’à aujourd’hui, puisqu’il y aura aussi de la musique électro. Nous danserons jusqu’au bout de la nuit sur la scène de l’Opéra. Toutes les générations pourront s’échelonner pendant une journée et une nuit, où le masque, de carnaval cette fois, sera obligatoire.
Il y aura aussi des cafés-jazz, des afterworks et un escape game : à quoi cela resemblera-t-il ?
Je mets en place des cafés-jazz le samedi ou dimanche matin dans le foyer du Théâtre car je veux que l’Opéra accueille tous les styles de musique. Beaucoup de compositeurs de jazz ont écrit des opéras. Par ailleurs, le Festival du jazz de Nice a une notoriété internationale. Or, la première édition en 1946 s’était tenue à l’Opéra de Nice. C’est donc là encore un retour aux sources et à l’histoire et la tradition de Nice. J’ai aussi mis en place des afterworks à un nouvel horaire, à 18h30 ou 19h, c’est-à-dire juste après le travail, pour répondre aux contraintes des jeunes actifs qui ont un premier travail ou ont fondé une famille : il leur est plus difficile de sortir le soir. Je donne carte blanche aux forces vives de la maison, que ce soient les danseurs, les musiciens ou les artistes des chœurs pour proposer une programmation éclectique dans des lieux atypiques, autour d’un bon verre. Quant à l’escape game, c’est une manière originale de s’immerger dans l’opéra. Nous aurons des séances pour les enfants et d’autres pour les adultes toute l’année, chaque fois que le planning de l’Opéra le permet. Il faudra résoudre des énigmes sur le thème du Fantôme de l’Opéra de Gaston Leroux, qui a écrit cet ouvrage lorsqu’il était à Nice, où il est enterré.
En quoi consiste le partenariat avec l’Université Nice Côte d’Azur que vous avez mentionné ?
Nous allons transformer l’Opéra en Bibliothèque universitaire sur plusieurs dates. Pendant les répétitions d’opéra, de ballet ou de concert, nous aurons des étudiants dans les loges. Nous avons pour cela fait installer un wifi très performant. Les universitaires pourront donc travailler leurs cours pendant qu’ils assisteront à des répétitions. A l’inverse, nos musiciens se rendront à la Bibliothèque de l’Université pour jouer pendant que les étudiants travaillent. Je n’ai pas connaissance d’une telle initiative ailleurs en Europe. Je veux que les étudiants se sentent chez eux à l’Opéra. Nous leur dédierons un concert de Sofiane Pamart, pianiste spécialiste de musique urbaine, qui sera accompagné par l’Orchestre et les Chœurs de l’Opéra. Deux rappeurs extrêmement connus participeront à cette soirée, mais leurs noms restent pour l’instant une surprise. Notons que les étudiants bénéficient de places à 5 € pour tous les opéras, les ballets, les concerts et les évènements qui leur sont dédiés.