Présentation de la saison musicale 2021/2022 du musée de l’Armée aux Invalides par sa Conservatrice Christine Helfrich
Christine Helfrich, vous lancez la 28ème saison musicale des Invalides : comment ce projet musical s’intègre-t-il dans les activités du musée de l’Armée ?
Cette activité a toujours eu sa place dans l’action culturelle que construit le musée de l’Armée. La musique a d’ailleurs toujours été présente aux Invalides, nous en avons des échos historiques très précis. Le Ministre de la Défense Pierre Joxe a voulu lui offrir une forme de pérennité en créant une structure permettant d’organiser ces saisons musicales. Étant Conservatrice de musée, il m’a chargée de créer ces programmations. J’avais déjà des expériences d’organisation de saisons musicales dans d’autres lieux, notamment à Saint-Germain-en-Laye et au sein de la maison natale de Claude Debussy.
Quel était l’objectif originel de cette programmation ?
Initialement, Pierre Joxe avait souhaité que la programmation s’inscrive dans tous les monuments placés sous la protection du Ministère de la Défense, pour les animer et exalter l’histoire de ces lieux. Déjà, l’ancrage était toutefois aux Invalides. Il y avait ainsi le Château de Vincennes, mais aussi l’Abbaye royale du Val-de-Grâce autour de Louis XIII, les Invalides autour de Louis XIV, l’École militaire et les salons de l’Hôtel de la Marine autour de Louis XV. Un cycle de musique ancienne a pris forme à cette époque, en 1994-1995, avec des ensembles alors tout jeunes, comme l'Ensemble Le Concert Spirituel d’Hervé Niquet ou Les Talens Lyriques de Christophe Rousset. Nous avons conçu cette saison musicale afin d’affirmer une singularité, une originalité qui n’exclut pas pour autant d’aller vers toutes sortes de répertoires, en adéquation avec la sensibilité de chacun des lieux faisant office d'écrin pour ces concerts.
Sur quels critères construisez-vous vos programmations ?
Le musée de l’armée est opérateur de l’État, au titre de la musique, et a pour mission de mettre en valeur, au travers de nos concerts, l’architecture et l’histoire des Invalides dans toutes ses dimensions historico-militaires, mais aussi son fondateur, Louis XIV, et Napoléon dont les cendres reposent au plus près de ses soldats. Nous avons également vocation à mettre en valeur la Cathédrale (qui est devenue le siège de l’évêché aux armées), l’orgue des Invalides ou encore les formations musicales militaires. Il ne s’agit pas là de répertoire de musique militaire, que nous n’abordons que quand les circonstances historiques ou commémoratives le justifient, mais de l’Orchestre de la Garde Républicaine et des formations de l’Armée de l’Air et de l’Armée de Terre. Nous avons aussi comme objectif de mettre en valeur les instruments à vent, instruments de musique militaire par excellence, de manière à révéler le répertoire qui leur est dédié et lui donner une dimension plus importante à travers des transcriptions ou des arrangements, voire des commandes passées à des compositeurs. Cette programmation pour instruments à vents vient faire écho au cabinet de musique militaire présentant, dans les espaces permanents du musée, les instruments les plus emblématiques appartenant aux collections du musée de l’Armée.
Cette saison, la quasi-totalité des concerts auront lieu à la Cathédrale Saint-Louis des Invalides : pourquoi ?
Nous avons trois lieux de concert aux Invalides, mais nous avons décidé cette saison d’inscrire tous nos concerts à la Cathédrale pour des raisons de jauge et de respect des normes sanitaires. Les deux autres espaces ont chacun une capacité d’accueil de 200 places en temps normal. Le Grand salon, situé sur la façade principale au niveau de la galerie du premier étage, est un très bel écrin pour la musique de chambre et les récitals. Rafael Puyana disait par exemple que c’était la meilleure acoustique de Paris pour le clavecin. Il y a une proximité avec le public qui est très spéciale. L’autre lieu est la Salle Turenne au rez-de-chaussée, qui est l’un des quatre grands réfectoires dans lesquels les pensionnaires des Invalides prenaient leurs repas. Il y a de magnifiques fresques murales qui représentent les campagnes militaires de Louis XIV. Nous y inscrivons notamment des programmes un peu sensibles qui n’ont pas vocation à l'être dans la Cathédrale qui est consacrée.
Qu’apporte la Cathédrale Saint-Louis des Invalides à la musique que vous proposez ?
La Cathédrale Saint-Louis se partage entre une vocation liturgique, puisqu’il s’agit de la seconde cathédrale de Paris, et une vocation musicale qui a toujours fait partie de son activité : tout se passe de manière très harmonieuse. C’est un lieu très inspirant, et qui contrairement à un auditorium, vibre de l’histoire dont ses pierres sont chargées. Je ressens, et les musiciens également, une forme d’imprégnation. Cette chapelle des soldats nous permet d’accueillir toutes sortes de formations, y compris des programmes profanes avec le Chœur de l’Armée française, pourvu qu’ils soient recontextualisés et qu’ils aient un sens. La quête de sens est très importante dans la construction de nos saisons. Les fils conducteurs s’inscrivent dans une légitimité qui peut être prouvée, même s’il ne me paraît pas toujours nécessaire d’en fournir l’argumentaire ou d’en donner toutes les clés.
Vous mentionniez l’objectif de valoriser les forces artistiques de l’Armée, comme l’Orchestre de la Garde Républicaine qui fait plusieurs concerts chaque année : quel est le sens de cette collaboration ?
Nous contribuons à ce que ces formations ne soient pas marginalisées dans les saisons parisiennes. Nous voulons valoriser leurs prestations en concert, et pas seulement en prestations officielles. Elles trouvent un ancrage aux Invalides. Je ne voudrais pas que l’on s’imagine que ces formations ne jouent que de la musique militaire : il y a parfois une méconnaissance de leur qualité. Les musiciens y accèdent par concours et viennent, pour la plupart, du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris. Ils jouent en uniforme et acquièrent un statut de gendarme puisqu’ils relèvent du Ministère de l’Intérieur. Ces musiciens évoluent, de par leur statut, au plus haut niveau du protocole de l’État français parce qu’ils jouent à l’Élysée et accompagnent l’accueil des délégations étrangères au plus haut niveau de l’État. Ainsi, François Boulanger, le chef de l’Orchestre de la Garde Républicaine, est colonel, mais c’est un musicien qui a cinq prix du Conservatoire de Paris où il était condisciple de Jean-Marc Luisada. Il en va de même pour le Chœur de l’Armée française : les deux cheffes Aurore Tillac et Émilie Fleury révèlent les qualités du Chœur dans toutes ses composantes. J’ai à cœur de révéler leurs qualités musicales, comme celles de la Musique de l’Air, dont le chef Claude Kesmaecker, également issu du CNSMDP, réalise lui-même arrangements et transcriptions pour cette prestigieuse formation d’harmonie.
Au-delà de cette activité musicale, vous programmez également des expositions : quel lien y a-t-il entre ces deux activités ?
En effet, le musée de l’Armée organise deux grandes expositions temporaires par an, à l’automne et au printemps : la saison musicale y fait écho, sans les illustrer de manière littérale, mais en s’en inspirant librement.
Vous présentez ainsi au mois de novembre un cycle Watteau : en quoi consiste ce projet ?
Il y avait initialement un projet d’exposition qui devait se tenir dans le cadre du salon Fine Arts. Malheureusement, pour des raisons sanitaires, ce salon ne se tiendra pas aux Invalides, mais nous avons décidé de maintenir ce cycle musical car ce que Couperin et ses contemporains ont pu concevoir en musique, Watteau l’a réalisé en peinture, avec un métier d’une qualité exceptionnelle. J’ai eu en me penchant sur le sujet une véritable révélation : les tableaux de Watteau établissent une sorte de correspondance avec la musique. Les Fêtes vénitiennes font écho à l’opéra-ballet de Campra, Les Charmes de la vie font référence à la musique pour instruments à cordes comme la viole de gambe, le théorbe et la guitare baroque, L’Accord parfait met en scène des personnages reliés par la musique puisque la jeune femme tient un livre de musique tandis qu’un jeune homme joue du traverso. Par ailleurs, il y a souvent des représentations de militaires dans les tableaux de Watteau, mais jamais des scènes de bataille. Ce sont des échos lointains des guerres menées par Louis XIV. Ces soldats sont dans une situation d’attente, alanguis, témoignant d’un certain ennui. J’ai voulu jouer de ces correspondances en faisant appel à des ensembles qui avaient cette subtilité d’approche.
Vous accueillerez le 8 novembre un concert baptisé « Fêtes galantes » avec Benjamin Lazar : qu’attendez-vous de ce concert ?
J’ai entendu l’Ensemble La Rêveuse de Florence Bolton et Benjamin Perrot associé à Benjamin Lazar dans L’Autre monde, une production basée sur les textes du véritable Cyrano de Bergerac, à l’Athénée. C’était si subtilement mis en scène que j’ai souhaité leur confier un concert très intime, initialement prévu pour le Grand salon. Benjamin Lazar lira des textes de Verlaine, Baudelaire et Marivaux, en écho à des musiques de Couperin, Marais et Andrieu, dans une évocation des Fêtes galantes de Watteau.
Deux semaines plus tard, vous présenterez « Douceur pastorale et Grandeur militaire » par l’ensemble Les Surprises avec Eugénie Lefebvre, Jehanne Amzal et Étienne Bazola : comment ce concert a-t-il été conçu ?
Ce choix de l’ensemble Les Surprises et de son chef Louis-Noël Bestion de Camboulas révèle les correspondances musicales qu’on peut retrouver dans les tableaux si poétiques de Watteau. Ils ont enregistré Les Éléments, opéra-ballet de Delalande et Destouches. Il leur a semblé qu’en ce début du XVIIIème siècle, la mythologie gréco-romaine nourrit les arts et que cette approche sous une forme allégorique des différents éléments pouvait nous permettre d’établir des correspondances avec l’œuvre de Watteau, puisque les deux œuvres célèbrent la nature. Une relation de confiance s’est créée avec Louis-Noël Bestion de Camboulas et je lui ai donné carte blanche.
Le concert « Watteau et la musique » se tiendra le 29 novembre : pourquoi avoir confié ce concert aux étudiants du Conservatoire de Paris ?
Le Conservatoire de Paris est issu d’un institut de musique militaire : il a été fondé en 1795 par le Capitaine Bernard Sarrette pour former les cadres des musiques militaires. Il y avait ainsi à l’origine essentiellement des classes d’instruments à vent. C’est donc naturellement que j’ai été rencontrer Marc-Olivier Dupin qui était alors Directeur du Conservatoire [de 1993 à 2000, ndlr] pour créer des liens privilégiés avec cet établissement. Ces liens se sont resserrés de saison en saison. Les étudiants du Conservatoire viennent ainsi faire leurs premières armes aux Invalides, le plus souvent à l’heure de la pause méridienne mais parfois aussi en soirée, au sein d’un cycle intitulé « Jeunes Talents - Premières Armes ». Plusieurs générations de jeunes musiciens s’y sont produits, parmi lesquels le violoniste Renaud Capuçon ou encore Bruno Mantovani qui y a joué en tant que jeune musicien avant de devenir Directeur du Conservatoire [de 2010 à 2019, ndlr]. Cela crée des liens avec tout un réseau de musiciens qui ont joué aux Invalides et y reviennent avec une certaine émotion.
Le Conservatoire nous offrira ce concert avec la complicité de Monica Pustilnik, qui y est professeure dans le département de musique ancienne et qui proposera une sorte de métaphore d’un échange amoureux au travers de la viole de gambe et de la guitare, dans une interprétation poétique.
Un autre cycle de concerts sera lié à l’exposition « Photographies en guerre » que vous présenterez en parallèle : pouvez-vous présenter cette exposition ?
C’est une exposition qui interroge les usages de la photographie dans un contexte militaire et guerrier. Le prologue de l’exposition, qui plante le décor, présente deux œuvres d’un artiste plasticien, Émeric Lhuisset, qui a réalisé une série de photographies qui s’appelle Théâtre de guerre. Ces œuvres laissent penser qu’il s’agit de photographies captées dans l’instant au Kurdistan irakien. Or, ce sont des photographies composées et mises en scène, avec des combattants kurdes, d’après des tableaux sur la guerre de 1870 réalisés par le peintre Alphonse de Neuville. Ce prologue a pour but d’amener le public à s’interroger sur ce qu’est la photographie, sur son objectivité et son rapport à la guerre, puisqu’elles peuvent être le vecteur de manipulations et devenir le support d’une propagande. C’est une exposition très inspirante d’un point de vue musical. Ce cycle révèle le rapport des musiciens au conflit et la manière dont ces conflits ont pu influencer leur composition musicale au travers du traumatisme de la guerre, et la manière dont ils ont voulu la représenter à travers des sonorités et à travers des dédicaces.
À quoi ressembleront ces concerts ?
Par exemple, le musée ayant acquis une série de photographies de Yan Morvan sur les champs de bataille, j’ai souhaité faire une sorte de photo-concert avec des projections de ces œuvres, qui seront le support à des improvisations de jazz, dans la Salle Turenne le 28 mars 2022. Cela montrera la manière dont les musiciens ont pu capter dans l’instant la douleur de la guerre ou les séquelles qui apparaîtront à l’image.
Par ailleurs, la manipulation a pu intervenir sous la forme du recrutement et de l’enrôlement. Les musiques « Verbunkos » étaient jouées en Europe centrale : les sergents recruteurs se rendaient dans les villages avec des musiciens tziganes et faisaient en sorte de faire miroiter aux jeunes gens des conquêtes militaires, dans une forme d’exaltation patriotique et héroïque en les faisant boire et danser, et ils en profitaient pour leur faire signer un enrôlement dans l’armée. Ce thème de la manipulation fait bien écho à l'un des thèmes de l’exposition : j’ai demandé à François Salque et son ensemble Loco Cello, à travers une commande, de se faire l’écho de ces czardas traditionnelles, et faire en sorte qu’elles ne soient pas seulement restituées mais aussi déclinées au travers d’interprétations : il y aura dans ce programme des danses de Brahms, des œuvres de Django Reinhardt et Piazzolla.
Le 10 mai, vous présenterez « Requiem pour la paix » lors duquel sera créée une œuvre d’un jeune compositeur mise en écho avec des musiques de Louise Farrenc et Guy Ropartz : comment décririez-vous ce concert ?
C’est le chef de l’Orchestre de l’OCUP (Orchestre et Chœur des Universités de Paris), Carlos Dourthé, violoncelle solo de l’Orchestre National de France et ancien membre du quatuor Ysaÿe, et le compositeur Guillaume Connesson, chef du Chœur des Universités de Paris qui sont à l’initiative de cette commande. Nous accueillerons ce concert dont le complément de programme a été conçu en étroite connivence avec les Invalides. L’œuvre de Farrenc est d’une très grande maturité musicale et le Requiem de Ropartz était initialement destiné à être créé à Strasbourg pour le deuxième anniversaire de l’armistice de 1918, mais il a finalement été créé plus tard à Angers. Il atteste de la ferveur de la foi catholique du compositeur.
Que proposerez-vous d’autre en lien avec cette thématique ?
Nous proposerons par exemple le Quatuor pour la fin du temps avec le clarinettiste Raphaël Sévère, la violoniste Charlotte Juillard, le violoncelliste Bruno Philippe et le pianiste Tristan Raës. Ce concert s’inscrit dans la thématique à travers cette œuvre emblématique d’Olivier Messiaen, qui a été composée en captivité en 1940 et inspirée par le texte de l’Apocalypse selon Saint-Jean. J’ai souhaité ouvrir ce concert à une œuvre de Raphaël Sévère qui est également compositeur : Orage d’acier, où la clarinette a un rôle soliste, inspiré du récit autobiographique d’Ernst Jünger, jeune lieutenant de l’armée allemande qui a connu les tourments de la Grande Guerre.
Tristan Raës viendra également avec Cyrille Dubois le 16 mai pour un récital : quel lien y aura-t-il avec l’exposition ?
J’aime beaucoup ce jeune Duo Contraste composé de Cyrille Dubois et Tristan Raës, que j’ai connu au travers du cycle « Jeunes Talents - Premières Armes » puisqu’ils se sont rencontrés au Conservatoire dans la classe d’Anne Le Bozec. Il y a une alchimie extraordinaire entre les timbres du piano et de la voix, une fusion de leurs sonorités. Ils sont pourtant très différents : ils auraient presque pu s’appeler le duo Oxymore. Je suis leur évolution avec beaucoup de ferveur et ils reviendront durant la saison 2022/2023. Pour ce récital, ils m’ont proposé un programme rassemblant d’abord des compositeurs d’Outre-Rhin représentés par Wagner et Brahms (qui a refusé de rencontrer Saint-Saëns en considérant qu’il n’y avait pas de musique française), et dans une seconde partie des compositeurs français, avec des mélodies de César Franck qui sont très inspirées par la musique germanique, mais aussi du Chausson et du jeune Fauré. Dans le prolongement de la guerre de 1870 et la défaite de Sedan, il y a eu une forme d’exacerbation des nationalismes et un regain de patriotisme : les compositeurs Romain Bussine et Camille Saint-Saëns, qui ont créé la Société Nationale de Musique, ont souhaité réaffirmer la grandeur et la primauté de la musique française d’une manière un peu artificielle, en portant haut la devise Ars gallica [« art français » en latin, ndlr].
Le reste de la saison sera dédié aux commémorations autour de la mort de Napoléon. Ces commémorations ont donné lieu à des débats, voire des polémiques. Quels aspects de l’héritage de Napoléon souhaitez-vous célébrer ?
À l’automne, le musée de l’Armée a souhaité s’ouvrir à une dimension contemporaine et à une déambulation à travers des stations, terme qui peut être appréhendé dans sa dimension religieuse, qui a été confiée à une trentaine d’artistes contemporains. Le parcours contemporain Napoléon ? Encore ! est le point d’orgue de toute une série de commémorations dédiées à l’histoire et à la personnalité de Napoléon, à ses réalisations civiles aussi bien que militaires. Au travers de ce parcours contemporain du musée de l’Armée, c’est un Napoléon vivant qui est commémoré. Le retour des cendres en 1840 et leur installation aux Invalides sont au cœur d’un processus de mémoire et de transmission. C’est un véritable héritage immatériel qui infuse, y compris dans la société civile. Les deux propositions du musée de l’Armée, l’exposition patrimoniale Napoléon n’est plus et le parcours contemporain Napoléon ? Encore ! abordent le thème de la mort et de la transfiguration de Napoléon.
Justement, vous proposez le 15 novembre le Requiem de Mozart qui a été joué lors du retour des Cendres de Napoléon aux Invalides. Est-ce symboliquement important ?
Bien sûr, c’est ce qui a motivé mon choix : il m’a semblé important que cette œuvre soit au cœur du programme de concerts. Elle sera jouée par l’Orchestre de la Garde Républicaine et le Chœur Paris Sciences et Lettres, un chœur universitaire des grandes écoles comprenant des étudiants de haut niveau qui sont galvanisés par les programmes qui leur sont confiés.
Le Requiem sera associé à une création mondiale de Karol Beffa : à quoi faut-il s’attendre ?
Cette commande d’un Tombeau de l’Empereur a été passée dans le cadre du bicentenaire de la mort de Napoléon. J’ai souhaité faire appel au compositeur Karol Beffa que je connais car il est déjà venu faire des concerts d’improvisation, et je connais aussi son rapport au sacré ainsi que la dimension philosophique de son œuvre. J’ai souhaité qu’il s’intéresse au conquérant, au visionnaire, à la figure romantique de Napoléon. Il a inscrit sa démarche de composition d’un Tombeau pour chœur et orchestre dans une histoire, puisqu’on retrouve la notion de Tombeau chez Couperin, Ravel, Messiaen (pour Paul Dukas) et d’autres. La personnalité de Napoléon fascinant Karol Beffa, il m’a semblé qu’il était la personne la plus sensible pour aborder ce sujet. Il est donc en résidence pour toute l’année 2021. Je n’ai pas encore entendu l’œuvre, mais je sais que cette création insistera sur le côté funèbre. Une pédale pulsée sonnera comme un glas, avec des profils mélodiques souvent descendants et une tonalité assez sombre. L’œuvre devait être créée au plus près de l’anniversaire de Napoléon (le 5 mai) : annulée le 6 mai, cette création aura lieu le 15 novembre.
Un autre Requiem, le Requiem allemand de Brahms, sera joué le 14 octobre : pourquoi avoir programmé cette œuvre ?
C’est l’une de mes œuvres de prédilection. Ce choix n’est pas sans rapport avec ce que nous avons affronté ces derniers 18 mois. Ce Requiem allemand a été composé entre 1854 et 1858. C’est une œuvre sacrée qui n’est pas liturgique, inspirée à Brahms par des disparitions successives comme celle de sa mère et peut-être aussi celle de Robert Schumann. J’en ai surtout la perception d’une œuvre d’une conception tragique du monde, de l’âme, de la pensée de Brahms. Je pense toujours à l’adjectif « allemand », que Brahms aurait été enclin à remplacer par le qualificatif « humain » : l’homme souffrant, confiant dans l’attente d’une forme de clémence divine, est au centre de son œuvre. Il a rédigé lui-même le livret, contrairement à une Messe de Requiem catholique traditionnelle dont le texte est en latin, à partir du texte même de la Bible protestante. Ce texte allemand redit la prière humble et confiante des Luthériens. Tout ce que nous avons affronté durant cette crise sanitaire remet l’humain au cœur de la vie. J’ai le sentiment que Brahms fait écho à cette dimension humaine, de manière très émouvante.
Autre événement important le 18 novembre avec un récital de Barbara Hendricks : que vous inspire cette chanteuse mythique ?
Cette artiste est d’une profonde sincérité : nous l’avons incitée à aborder un répertoire qui est celui de ses racines au travers d’un programme dont le titre est Le Chemin vers la liberté. Ce titre correspond au parcours de cette artiste qui a accompagné en musique la lutte pour les droits civiques aux États-Unis, menée notamment par la figure emblématique de Martin Luther King : la voix de Barbara Hendricks fait résonner ce combat de manière moins dramatique mais tout aussi profonde. Elle n’est jamais aussi sincère et bouleversante que lorsqu’elle chante ce répertoire de blues et de gospel. Il n’y a pas de rapport avec nos thématiques, mais simplement le plaisir d’accueillir une grande voix, grâce au fidèle soutien du CIC.
Comme chaque année, un concert sera dédié aux Révélations des Victoires de la Musique Classique : comment ce partenariat s’est-il construit ?
Le CIC, grand partenaire du musée de l’Armée, soutient ses expositions temporaires et apporte une contribution artistique et financière à une dizaine de concerts de la saison musicale des Invalides, dont le concert inaugural. Or, les Victoires de la Musique Classique sont organisées avec le soutien financier exclusif du CIC. C’est donc tout naturellement que nous les accueillons dans notre saison musicale. Nous accueillons également grâce au CIC des orchestres de région car leur action, en tant que banque et en tant que mécène, est très ancrée dans les régions. Ainsi, nous entendrons l’Orchestre de Bretagne, l’Orchestre de Picardie ou l’Orchestre d’Auvergne, qui sont d’excellentes phalanges. Nous avons plaisir à révéler ces artistes lauréats des Victoires. Malheureusement, Marie-Laure Garnier, révélation 2021, n’a pas pu se produire en public, même si le concert a pu faire l’objet d’une captation par Radio Classique, également partenaire de notre saison. Qu’à cela ne tienne, elle sera la figure emblématique de cette cuvée 2021 et elle se produira en 2023 avec Cyrille Dubois et Tristan Raës, puisqu’ils se connaissent déjà.
Le 2 juin, vous programmerez la 9ème Symphonie de Beethoven sous la direction d’Arie van Beek : quelle signification donner à ce choix d’œuvre ?
Il s’agit de l’apothéose de cette programmation. Bien que Beethoven et Napoléon ne se soient jamais rencontrés, il m’a semblé intéressant d’établir un parallèle entre ces deux grandes figures : ils ont eu l’un et l’autre une trajectoire fulgurante. Napoléon est loin d’être un homme inculte en musique comme il a été parfois décrit : il chantait peut-être faux mais il était très attaché et sensible à la musique. Beaucoup de grands hymnes de son parcours étaient inspirés d’airs d’opéra : « Veillons au salut de l’Empire » était à l’origine un air d’opéra [Renaud d’Ast de Dalayrac, ndlr]. Dans ces lieux où Napoléon a son tombeau, il m’a semblé important que puisse résonner la musique de Beethoven et en particulier la 9ème Symphonie et son texte magnifique du poète Schiller, Ode à la joie, écrit en 1785 et célébrant un idéal de fraternité humaine auquel nous sommes particulièrement sensibles.
Avez-vous un autre exemple de thématique qui fonde votre programmation ?
Nous aurons un cycle qui me permet de redonner forme à un anniversaire qui a malencontreusement été interrompu pour le 350ème anniversaire de la Fondation des Invalides : notre dernier concert avant le confinement y était dédié [lire notre compte-rendu]. J’ai dû ensuite annuler un très beau concert qui avait été conçu avec Olivier Baumont. Nous avons été frustrés de cette annulation et nous sommes donc projetés sur un autre anniversaire : les 350 ans de la guerre de Hollande, qui a été déclarée par le souverain Louis XIV à la triple alliance entre les Provinces unies, l’Angleterre et la Suède. Cette guerre inscrivait Louis XIV dans l’affirmation d’une dimension européenne. Il y aura trois concerts et j’ai notamment ré-invité Olivier Baumont à réfléchir à la conception d’un nouveau programme avec les solistes du Concert de la Loge de Julien Chauvin, et le comédien Marcel Bozonnet en récitant.