L’avenir au présent au Concours international de chant de Clermont-Ferrand
Placé sous la présidence de Katia Ricciarelli, le jury du concours clermontois a eu fort à faire, une semaine durant, entre les Opéras de Vichy (lieu des éliminatoires) et Clermont-Ferrand, pour départager pas moins de 77 candidats comptant parmi les 570 dossiers initialement reçus. Des candidats à départager, des prix à décerner, mais aussi de nombreux rôles à attribuer. D’abord pour une prochaine production de La Somnambule appelée à tourner en 2022 et 2023 dans huit villes françaises (Clermont-Ferrand, Vichy, Avignon, Metz, Reims, Limoges, Massy, Compiègne), mais aussi pour une rare représentation de L’Isola disabitata de Haydn en février 2023 à Clermont-Ferrand, et pour un récital romantique en novembre 2022, toujours sur la scène clermontoise.
Bien des enjeux pour une épreuve qui permet une nouvelle fois à une jeune génération d’artistes de se placer sous le feu des projecteurs et de prendre date pour un avenir qui, pour beaucoup, se conjugue déjà au présent. Et du palmarès final, un nom sort clairement du lot : celui de Julia Muzychenko. La soprano russe de 27 ans rafle pas moins de quatre récompenses : le prix du Jeune Public (décerné par un groupe de jeunes adolescents), le prix Bernard Plantey (du nom du fondateur du centre lyrique clermontois en 1983), mais aussi une place au casting du récital romantique et le rôle d’Amina dans la prochaine production de La Somnambule. Une juste récompense pour une artiste à la voix déjà fort épanouie, généreuse en sonorité comme en couleurs, et très joliment timbrée. En finale, la prestation de l’artiste en Amina (avec le grand air « Ah non credea mirarti ») emporte une adhésion unanime tant la prestation vocale est ici porteuse d’émotion, de sensibilité et de fraîcheur, avec des vocalises pleines d’éclat et des aigus rayonnants. Voilà un véritable diamant vocal, qui ne demande qu’à être poli plus encore et que le public se fera un bonheur de retrouver dès l’an prochain dans ce rôle bellinien que l’artiste habite déjà pleinement.
Avec son mezzo soyeux et rond en émission, et ses moyens vocaux à la puissance toujours maîtrisée, l’ukrainienne Olga Syniakova emporte une place au casting du récital romantique, ainsi que le rôle de Teresa dans l’opéra de Bellini. La radieuse soprano Francesca Pia Vitale, de sa voix expressive au timbre fleuri, à la projection tout en contrôle, remporte le prix Cia Opera Sao Paulo pour deux représentations de La Somnambule au Brésil en 2022, et décroche aussi le rôle de Lisa dans la prochaine co-production française (elle gagne aussi le droit d’aller parfaire sa formation en Italie auprès d’une Katia Ricciarelli qui, à ce point séduite par sa compatriote, lui a formulé cette invitation, aussitôt acceptée, lors de la remise des prix). Bien que n’ayant pas été retenue au titre du palmarès initialement prévu, la mezzo brésilienne Beatriz Baptista, à la voix ample et impeccablement projetée, nantie de graves joliment lustrés, reçoit malgré tout de la part d’un jury conquis une invitation à venir se produire à Clermont-Ferrand lors d’un prochain récital. Postulant elle pour le rôle de Costanza dans L’Isola disabitata, Ania Wozniak décroche son sésame en faisant joliment briller une voix de mezzo au medium solide, le tout enrichi d’un timbre agréable et d’une ligne de chant soignée.
Révélation masculine de ce concours, la basse biélorusse Alexey Birkus décroche une place dans le casting du récital romantique ainsi que le rôle de Rodolfo. Un rôle formidablement campé lors de cette finale (cavatine « Vi Ravviso, o luoghi ameni ») par l’emploi d’une voix ardemment timbrée, émise tout en aisance et en autorité sur le fil d’une tessiture de large amplitude. Une basse mature et imposante qui demande assurément à être réentendue, tout comme celle du canadien Clarke Ruth, dont la voix pénétrante, à la ligne fort distinguée, sera prêtée au futur Alessio. Avec sa voix de basse profonde et solidement émise, quoique davantage à ses aises dans le registre bas, le charismatique Halidou Nombre décroche quant à lui le rôle d’Enrico dans l’opéra de Haydn.
Si leurs noms ne figurent pas au palmarès, les autres finalistes ne déméritent pas, loin s’en faut. La soprano franco-allemande Morgae Heyse dévoile une voix aux intonations encore juvéniles mais projetée avec fraîcheur et conviction, ce que des aigus vaillants et quelques belles vocalises ne viennent pas gâcher. Heera Bae, soprano sud-coréenne, expose une belle voix, joliment vibrée, mais peut-être encore insuffisamment sonore sur le registre inférieur de la tessiture. Même constat pour David Walton, ténor au timbre clair et à la projection soignée, quoique davantage épanouie dans l’aigu. Shin Yeo dévoile lui une voix basse ample et rondement émise, non départie d’une certaine noblesse d’émission, mais sans doute le sud-coréen fait-il les frais d’une rude concurrence dans sa catégorie (et d’un aigu encore friable, aussi). Le soprano puissant et incisif de Maria Sardaryan mérite aussi des louanges et d’être vite réentendu.
Des demi-finales, l’on retiendra aussi quelques performances de fort belle facture. Telle celles des sopranos Marie Cayeux, Liia Krasilovskaia ou Sabine Revault D’Allonnes, avec leurs voix charmantes et expressives, ou celles de Lussine Levoni, Yerang Park ou Kyeyoung Kim, non moins claires et agréablement timbrées. Si la technique vocale reste quelque peu à affiner, Leigh Michelow et Caroline Jestaedt disposent elles aussi de belles capacités d’émission et de voix de soprano aux jolies intonations, la seconde nommée s’étant sans doute, en demi-finale, frottée à un air par trop périlleux en de telles circonstances (« Ah, non credea mirarti »), sans y démériter totalement.
Elise Duclos, Mathilde Legrand, Weronika Lesniewska, Michaela Unsinn et Alexia Macbeth sont des sopranos de talent et d’avenir, ayant certainement ici pêché par une relative prudence (rythmes modérés, notamment) dans l’emploi de leurs moyens. Leonhard Geiger, Pierre Bessière et surtout Dongyong Noh ont eux un bel instrument de basse à faire valoir, et sont porteurs d’un potentiel vocal qui devrait leur permettre d’être vite revus. Point de baryton à évaluer en revanche (aucun des rôles auditionnés ne correspondant à cette tessiture) dans un concours dont l’ensemble des candidats devrait vite refaire parler d’eux. Le prochain concours de chant de Clermont-Ferrand aura lieu en février prochain, avec notamment des auditions pour une production future de Rigoletto. Il devrait être placé sous la présidence de Patrizia Ciofi.
Le palmarès complet :
Prix du jeune public : Julia Muzychenko (Soprano, Russie).
Prix du public Bernard Plantey : Julia Muzychenko (Soprano, Russie).
Prix du récital romantique : Alexey Birkus (Basse, Belarus), Julia Muzychenko (Soprano,
Russie), Olga Syniakova (Mezzo-soprano, Ukraine).
Prix L’Isola Disabitata : Halidou Nombre (Basse, France, rôle d’Enrico), Ania Wozniak (Mezzo-soprano,
France, rôle de Costanza). Rôles de Silvia et Gernando non attribués.
Prix La Somnambula : Clark Ruth (Basse, Canada, rôle d’Alessio), Alexey Birkus (Basse,
Belarus, rôle de Rodolfo), Olga Syniakova (Mezzo-soprano, Ukraine, rôle de Teresa), Francesca Pia Vitale (Soprano, Italie, rôle de Lisa), Julia Muzychenko (Soprano, Russie, rôle d’Amina).
Prix Cie Opera Sao Paulo : Francesca Pia Vitale (Soprano, Italie).
Prix spécial pour un récital à la Chapelle du Bon Pasteur de Clermont-Ferrand : Beatriz
Baptista (Mezzo-Soprano, Brésil).
Composition du jury :
Francesca Lattuada - Metteuse en scène et chorégraphe
Richard Martet - Rédacteur en chef d’Opéra Magazine
Frédéric Roels - Directeur de l’Opéra Grand Avignon
Eric Rouchaud - Directeur du Théâtre Impérial de Compiègne
Josquin Macarez - Directeur de casting de l’Opéra de Limoges
Xavier Adenot - Directeur de production de l’Opéra de Massy
Pénélope Bergeret - Assistante artistique de l’Opéra Théâtre de Metz Métropole
Martin Kubich - Directeur de l’Opéra de Vichy
Pierre Thirion-Vallet - Directeur du Clermont Auvergne Opéra et metteur en scène
Raymond Duffaut