Teatro Colón 2021 : wait and see
Rappelons-le : en Argentine, la saison lyrique se calque sur le calendrier civil et s’étend, normalement, de mars à décembre. À partir de mars 2020, la crise du Covid-19 apparaissait puis explosait. Plus de 43.000 morts en une vague unique sont à déplorer en cette fin d’année, en dépit d’un confinement obligatoire qui a duré 233 jours (voir notre reportage : Être chanteur lyrique pendant le confinement le plus long au monde). II aura donc fallu attendre ces derniers jours de décembre pour voir enfin s’exprimer directement les autorités du Teatro Colón, suspendues aux mesures sanitaires du Gouvernement de la Ville de Buenos Aires dont dépend le célèbre théâtre argentin et aux décisions prises in fine par le Gouvernement national, de couleur politique opposée. Aucune conférence de presse (qui aurait pu être virtuelle) n’a été organisée à l’occasion de ces annonces : María Victoria Alcaraz, Directrice générale du Colón, s’est exprimée par écrit, sur le site de l’institution, à l’attention unique de son « Cher public ».
Wait…
Cette lettre commence par un exercice d’autosatisfaction autour de la mise en ligne de spectacles antérieurs dont nous avions pour la quasi totalité déjà rendu compte dans nos colonnes lors de leur représentation originelle, quand d’autres théâtres proposaient en streaming des contenus absolument inédits, comme ce fut le cas au Teatro Municipal de São Paulo (lire ici notre critique des Lettres portugaises), pour rester dans un cadre régional. Si la Directrice met à juste titre en valeur la fabrication solidaire de masques par les ateliers du théâtre durant cette période de crise sanitaire, il est en revanche beaucoup plus surprenant que son institution se targue d’avoir remboursé au public « presque 140.000 places » quand certains spectateurs attendent encore ce remboursement, un an après leur achat. Sans compter que les heureux remboursés l’auront été à la fin de l’année 2020 sur la base du montant de 2019, alors que la valeur du Peso argentin a précisément été divisée par deux entre temps, en l’espace d’un an.
…and see
Peu de surprises émergent des annonces qui sont faites : des mesures sanitaires permettant la réouverture du théâtre et l’utilisation « partielle » de la jauge de la salle principale, sans autre précision sur les conditions de travail des professionnels et d’accueil du public. La programmation elle-même sera annoncée au compte-goutte, « à l’avance, mais régulièrement, par titres, cycles ou programmes ». Le futur d’une hypothétique saison 2021 s’inscrit dans les très grandes lignes décrites par María Victoria Alcaraz, sans autres informations artistiques que celles-ci : « Ce sera un parcours des origines au XXe siècle. De Monteverdi à Menotti. De Bach à Adès, en passant par Britten, Messiaen ou Stravinsky, dont on commémorera les 50 ans de sa mort. Le centenaire de la naissance de Piazzolla et les 75 ans de la mort de Manuel de Falla feront aussi partie de l’agenda artistique. » Si tout va bien. À travers ces déclarations, 2021 s’annonce donc pour le Teatro Colón, selon les vœux de sa dirigeante, comme une année « de retrouvailles » et « de célébration ». Soit. Mais les propos pour le moins lapidaires de María Victoria Alcaraz posent tout de même question : les conditions du retour des personnels, des artistes et du public, bien qu’il est vrai hautement dépendantes de l’évolution de la pandémie, restent très floues, sans options distinctes en fonction de cette évolution. Tandis que le programme de l’année 2021, pour le moins évasif et lacunaire, semble relever davantage d’un effet d’annonce dicté par l’agenda que de projets réellement concertés et en ordre de marche. Puisse la situation sanitaire s’améliorer (alors que la quantité de personnes contaminées repart à la hausse et que les premiers vaccins ont atterri sur le tarmac de l’aéroport de Buenos Aires) et contredire ces impressions d’impréparations peu compatibles avec un retour sécurisé pour le public et une reprise d’activité sereine pour les artistes, si durement et durablement touchés économiquement par la pandémie.