Opéra de Rouen : Wagner sur pilotis, anti-Covid
“Maintenir Tannhäuser” ! C’est la mission que s’est fixée l’Opéra de Rouen pour sa rentrée lyrique dès le 27 septembre prochain. En temps de pandémie mondiale, ce projet semble aussi dantesque que l’œuvre de Wagner, d’autant que le Directeur de la maison Loïc Lachenal nous l’affirme : il s’agit impérativement de “maintenir Tannhäuser dans son intégrité ou rien, de présenter l'ouvrage comme nous le voulions dans le fil de notre histoire et tel que le public doit l’attendre.” Le Directeur rappelle toutefois la terrible complexité qu’un tel projet représente : “Concrètement cela signifie se lancer dans une production sans savoir, portés par notre envie de jouer et de retrouver le public mais avec tête froide, bon sens, organisation et méthode.
Nous avons pu suivre avec grand intérêt les exemples fondamentaux des festivals qui se sont tenus cet été (Salzbourg a notamment montré qu'on pouvait jouer Elektra). Nous sommes encore en train de progresser dans les réponses aux questions qui se posent, et face aux contraintes qui continuent de s'accumuler.”
L'objectif est de présenter au public un spectacle “le plus normal possible. Donc les interprètes vont jouer sur scène” explique le Directeur qui veut s’appuyer sur le décret permettant de lever des mesures pour les artistes sur scène, tout en reconnaissant qu’il s’agit d’une “immense responsabilité”.
Le maintien ou plutôt l’adaptation complète de cette production est d’emblée l'occasion pour le Directeur de l’Opéra de Rouen de souligner combien des maisons travaillent d’arrache-pied à sauver des productions importantes dès cette rentrée : à Bordeaux La Traviata déménage du Grand Théâtre vers l’Auditorium, à Nancy l’orchestration de Görge le rêveur est adaptée, chaque maison trouve une solution idoine. L’Opéra de Rouen pour sa part n’a ni déménagé, ni réduit l’orchestre pourtant immense de Richard Wagner, le tout en respectant les consignes et distanciations sanitaires entre musiciens. Une “fosse” de plus de 165 m² a dont été recréé grâce à une plateforme installée au parterre du théâtre (4,3 tonnes de matériaux et 420 heures de travail).
Le prix de cette plateforme est de “quelques milliers d'euros”, nous confie Loïc Lachenal en expliquant immédiatement qu’il faut le “rapporter à l'échelle de ce que coûte une production car la plateforme permet de sauver la production. Il n'est d’ailleurs pas impossible, poursuit-il, que nous demandions des aides sur toutes les dépenses d'urgence et sanitaires nécessaires à nous permettre de re-travailler.”
Cette décision ne s’est pas faite du jour au lendemain, ni à la légère. Elle a été étudiée et prise très en amont : “Dès l'été dernier nous avons étudié la possibilité de sortir l'orchestre de fosse pour l'installer au parterre, nous relate Loïc Lachenal. Nous avons rendu cette solution possible avec notre bureau d'étude et cela a enclenché un cercle vertueux pour progresser vers des solutions. Nous avons décidé de ne pas démonter les fauteuils qu'il aurait été difficile de remettre en place. La fosse est donc construite au-dessus des sièges.”
Une dizaine de jours de montage est nécessaire pour ce dispositif, qui est réutilisable (montable et démontable). La plateforme ne sera pas nécessaire pour les concerts et les opéras suivant Tannhäuser en cette fin d’année 2020 car l'orchestre a la place de se distancier sur le plateau (les productions de novembre-décembre peuvent être adaptées aux exigences sanitaires : La Clémence de Titus de Mozart mise en scène par Le Lab / Clarac & Deloeuil et Les P’tites Michu de Messager par le Palazzetto Bru Zane).
La question se posera donc de nouveau en janvier pour Pelléas et Mélisande (par Éric Ruf) et pour Simon Boccanegra (par Philipp Himmelmann) en juin. “Mais d’ici là nous pouvons pleinement éprouver cette solution, qui me rend donc serein : nous pouvons sauver tous les spectacles de la saison.”
Rien n’aurait été possible sans la volonté du Directeur, l’appui des équipes techniques et bien évidemment l’adhésion des artistes : “Tout s'est construit et continue de se construire avec eux” rassure Loïc Lachenal en citant un suivi et des protocoles, des tests, des isolations entre équipes et interprètes, “ce qui est pourtant l'inverse de notre maison ouverte, où toutes les équipes communiquent, où nous organisons des présentations de toutes les équipes du théâtre à toutes les équipes de production. Tout en demandant aux artistes d'être extrêmement précautionneux dans leur travail et leur quotidien, nous leur avons proposé différentes solutions adaptées et adaptables (jusqu'à différents masques pour qu'ils choisissent le plus confortable selon la situation).”
Un travail de collaboration qui se poursuit : “Aujourd'hui nous n'avons pas encore pris toutes les décisions sur tous les points. La question du chœur reste ainsi posée (sera-t-il sur scène, ou ailleurs, tout ou en partie ?), nous poursuivons les discussions avec le metteur en scène, le chef, les artistes.”
La fosse surélevée au parterre baissera de fait la jauge totale du théâtre à 700 places, “ce qui est déjà honorable et comparable aux jauges pleines de nombreuses salles à travers la France, pondère le Directeur. D'autant que la question du retour des spectateurs et de la confiance se pose vraiment. Nous leur donnons des signaux clairs et encourageants, nous sommes plutôt contents des abonnements mais nous anticipons un éventuel appel d'air sur les places individuelles. 700 places, c'est la jauge pleine de nos deux balcons, nous pouvons les remplir car nous sommes actuellement en zone verte. Si jamais nous passons en zone rouge, nous perdons encore 30 à 40% et surtout la question se pose de jouer devant si peu de public.”
Une autre question se pose pour un tel opus : les spectateurs en salle garderont-ils bien leur masque durant les 3h45 (avec entracte). Loïc Lachenal aurait “répondu différemment au printemps dernier, mais désormais les français ont pris l'habitude de le porter dans les transports et dans la rue, chacun a pu trouver son masque le plus confortable. Cela fait partie de la discipline que nous devons observer mais cela sert à nous protéger et donc à donner confiance, et puis nous pouvons espérer que ces mesures soient derrière nous dès que possible. Cette discipline est une responsabilité collective et globale : pour que notre département reste en zone verte (comme pour les autres départements, qui veulent rester hors de la zone rouge ou en sortir).”
De fait, les personnels en salle seront également formés à faire respecter ces consignes (comme ils assurent déjà la sécurité et le respect des règles durant les représentations) : “Nous avons eu une discussion avec les personnels, déjà pour savoir quels masques eux-mêmes vont porter. Les consignes doivent être rappelées et respectées mais tout en conservant la convivialité et la qualité d’accueil du public qui sont capitales. Nos personnels sont formés à faire respecter les règles mais sans angoisse, sans générer de stress : pour montrer qu’on peut tout naturellement vivre les choses.”
Bonne nouvelle de surcroît pour ceux qui n’auraient pas obtenu de place si la jauge de 700 spectateurs par soir est remplie (ou bien qui ne souhaiteraient pas venir en salle) : ce Tannhäuser sera retransmis le 3 octobre sur grand écran en plein air et dans des cinémas à travers plusieurs villes normandes, à la Seine Musicale (Boulogne-Billancourt) ainsi que sur France 3 Normandie. Il semblait donc d’autant plus capital de maintenir ce spectacle, qui marque le second grand projet lyrique territorial Normand (suivant la Tosca de la saison dernière, déjà mise en scène par David Bobée).