Opéra de Paris : la fin de saison pas encore annulée, la rentrée en danger
Si les ventes des spectacles de la fin de saison de l'Opéra de Paris sont suspendues "dans l’attente de précisions sur le champ précis des interdictions faisant suite à l’intervention du Président et du Premier ministre" (seul retour que nous ayons obtenu de l'institution à nos nombreuses questions), la page détaillant la litanie des annulations liées au Coronavirus (ayant remplacé la page toute aussi longue des annulations liées aux grèves contre la réforme des retraites) n'officialise pour l'instant pas l'annulation des spectacles de la fin de saison 2019/2020. L'Opéra de Paris n'est certes pas un "Grand festival" et n'est donc pas explicitement visé par la déclaration du Président de la République le 13 avril dernier, mais la probabilité que les derniers spectacles (Boris Godounov, Rigoletto, La Bohème et Cosi fan tutte) puissent se jouer dans des salles aux jauges importantes (1900 pour Garnier et 2700 pour Bastille) est pourtant minime.
Au-delà d'une probable interdiction d'ouvrir les portes, les défis à relever pour pouvoir lever le rideau sur ces productions seraient immenses, notamment du fait des difficultés à répéter ces spectacles. Bien qu'il s'agisse uniquement de reprises de productions existantes, les répétitions sont forcément conséquentes, rassemblant de nombreux artistes (techniciens, orchestre, chœur, solistes, équipes scéniques) générant d'importantes problématiques sanitaires (il est difficile en effet d'imaginer les chanteurs porter un masque sur scène). Par ailleurs, le déconfinement devant avoir lieu au plus tôt le 11 mai, cela ne laisserait par exemple que 13 jours pour répéter Boris Godounov (dont la Première est prévue le 23 mai). A l'autre bout du spectre, le dernier spectacle, Cosi fan tutte est attendu le 19 juin, cinq semaines après le déconfinement. Lors de sa précédente reprise, cette production réclamant des chanteurs une chorégraphie complexe n'avait eu droit qu'à deux semaines de répétition (nous indiquait alors Edwin Crossley-Mercer que nous avions interrogé), mais l'ensemble de la distribution avait participé à sa création six mois plus tôt. Cette fois, Stephen Costello découvrira la production, dont la création avait mobilisé les chanteurs durant trois mois, le temps de définir les mouvements mais aussi de permettre à chaque artiste de s'en imprégner.
Après cette fin de saison, l'Opéra de Paris n'en aura pas fini avec les risques d'annulation. Au-delà de la possibilité d'une interdiction prolongée des rassemblements de plus de 1000 personnes (que certains voient durer jusqu'à l'apparition d'un vaccin, probablement en 2021 au plus tôt), trois spectacles posent question. D'abord, Les Sept morts de Maria Callas devait être créé à Munich en cette fin de saison (mais n'a pas pu y être répété), avant d'être joué tout début septembre à Paris. Or, la production a disparu de la page de présentation de la saison de l'Opéra de Paris, et la fiche du spectacle a été supprimée du site, laissant supposer que la production est au moins reportée, au pire annulée.
La question des répétitions met également en danger la représentation du Festival Wagner dédié à sa Tétralogie dans une nouvelle mise en scène (signée Calixto Bieito) : les productions de L'Or du Rhin et de La Walkyrie n'ont pas pu être créées en cette fin de saison. Les répétitions de L'Or du Rhin ont alors été interrompues, celles de La Walkyrie n'ont pas même pu commencer. Or, les répétitions prévues lors de leur reprise en novembre sont très réduites. Trop réduites sans doute pour créer une production digne de l'Opéra de Paris. Or, il est peu probable qu'une période de répétition plus longue puisse être mobilisée, à moins de modifier les distributions, les prestigieux artistes engagés (Jonas Kaufmann en tête) ayant des calendriers surchargés. Dès lors, si l'Opéra pouvait rouvrir ses portes d'ici là, le cas le plus envisageable serait ainsi une présentation des deux premiers opus de la Tétralogie en version de concert ou mis en espace (ce qui constituerait déjà de précieux événements) éventuellement dans les décors prévus ou en partie, si et dans la mesure où ils auraient pu être achevés par des ateliers fermés jusqu'à nouvel ordre. Avant peut-être une reprise de cette Tétralogie entièrement mise en scène sur une saison ultérieure (mais qui serait alors décidée par le prochain directeur) ? Sur ce point comme sur le reste, il faudra patienter pour avoir des réponses de l'Opéra de Paris.