L'Atelier Lyrique de Tourcoing suit sa belle Étoile
L’Atelier suit son Étoile
Depuis sa fondation en 1981, l'Atelier Lyrique de Tourcoing propose opéras, théâtre musical, musique sacrée, parcourant quatre siècles de répertoire, depuis le premier chef-d'œuvre du genre opéra (L’Orfeo de Monteverdi, 1607) jusqu'à l'inventeur du théâtre musical moderne (Mauricio Kagel avec son œuvre Le Tribun, 1979). La liste des compositeurs est immense (Campra, Haendel, Lully, Mozart, Monteverdi, Rameau, Vivaldi, Weill, entre autres), tout comme la diversité des genres parcourus : opera seria, opéra bouffe, tragédie lyrique, théâtre musical, mélodrames, musique sacrée.
La saison en cours -la deuxième sans sa figure tutélaire Jean-Claude Malgoire (1940-2018)- poursuit dans cette riche voie. Comme chacune depuis 1981, elle a un thème ("entre ciel et terre"), mêlant plaisirs terrestres et célestes joies sacrées, Symphonie et Messe, voyage et passion, mariage, étoile : Les Amants magnifiques de Lully & Molière, Vercingétorix (du "Musical-TanzTheater pour tout champ de bataille avec voix, corps et instrumentarium de voyage" signé Victor Duclos), Symphonie et airs d'opéras mozartiens, Le Contrat de mariage aussi traduit "Le Mariage par lettre de change" (La cambiale di matrimonio) de Rossini, Passion et Résurrection du Christ de Marc-Antoine Charpentier célébrant Pâques (notre présentation complète).
Jean-Philippe Desrousseaux, metteur en scène de L'Étoile de Chabrier, prochaine production maison donnée à partir du 7 février, affirme vouer au fondateur de l’Atelier “la plus forte admiration pour son éclectisme, ses compétences d'interprète, de chef et de directeur, qui a parcouru des siècles de création musicale, mais aussi son ouverture et son attitude de recherche, dans l'humilité. Jean-Claude Malgoire le rappelle : tant qu'il y a de la curiosité, il est possible d'apprendre, de s'émerveiller, de rencontrer de nouvelles personnes, de se nourrir en suivant la chronologie des styles et en les variant. De Lully à Chabrier par exemple, il y a un fil musical et prosodique à suivre, à tisser.”
L'Étoile poursuit ce riche mélange des genres. Cet opus créé en 1877 est un opéra-bouffe foisonnant, mêlant les styles et caractères, faisant rire et pleurer. Peu d'œuvres sont aussi fortes dans leurs contrastes. Ceux-ci étaient présents dès les premières esquisses de l'œuvre, avant même l'apport des librettistes, et ce sont même les preuves de ce riche esprit qui permirent à Chabrier de convaincre les autres créateurs du projet. Les deux premières musiques que Chabrier compose pour cette œuvre ont des caractères antinomiques : la romance Ô petite étoile, et la polyphonie Le Pal, est de tous les supplices. C'est en les jouant chez le peintre Gaston Hirsch qu'il rallie au projet les amis de celui-ci, les librettistes Eugène Leterrier et Albert Vanloo.
L’œuvre devient alors ce sommet d’humour, alliant noirceur et douceur : Le Roi Ouf est persuadé par son astrologue que sa vie est liée à celle du jeune Lazuli. Si l'un d'eux devait mourir, l'autre perdrait la vie dans le quart d'heure. Mais Lazuli tombe amoureux à en mourir de la Princesse Laoula, elle-même promise au Roi Ouf ! Un univers décidément exotique, qui invite au voyage et à l’évasion, et dont s’est inspiré le metteur en scène de cette production, Jean-Philippe Desrousseaux, en allant notamment au Musée d’Orsay. “C'est au final le peintre Hermann David Salomon Corrodi qui m'a inspiré, raconte-t-il : j'ai repris son tableau Le Marchand De Tapis (1905) pour mon décor, en découpant des détails et en les grossissant, y compris d'une manière pixelisée, comme pour composer un carrelage de mosaïques entre Orient et Occident. J'ai pris le parti de représenter un royaume et un orientalisme foutraque qui mélange des éléments Orientaux et Occidentaux, pour montrer que l'exotisme d'alors s’est frelaté : loin d’une curiosité de l'ailleurs comme Les Contes des Mille et Une Nuits sous Louis XIV, l’orientalisme du XIXe siècle rime avec colonialisme, ce que suggère la mise en scène et les costumes de Thibaut Welchlin.
Dans toutes mes productions, je travaille en outre avec François-Xavier Guinnepain, créateur de lumières exceptionnelles, poétiques et délicatement narratives. Son talent m'est indispensable pour restituer l'esprit des œuvres musicales et théâtrales sur lesquelles nous travaillons en binôme depuis 10 ans. Pour L'Étoile il signe également la scénographie et révèle un support onirique plein de fantaisie pour le jeu des chanteurs.”
Une Étoile de l’humour, créée dans le temple de l’opérette
“L'Étoile invite à la bonne humeur !” poursuit, enthousiaste, Jean-Philippe Desrousseaux. “L'opus est tellement foisonnant qu'il est impossible de manquer d'idées. Le livret est habile et équilibré, tout comme la musique. L'œuvre alterne parfaitement les moments de beauté musicale et de folie avec des ensembles et situations savoureuses. Tout le monde peut se retrouver à tout moment dans cette savante agitation. L'aspect parodique est aussi très puissant dans la dimension musicale (par exemple, le duo de la chartreuse est une savoureuse parodie du bel canto à la Donizetti avec des accords simples arpégés).”
Ambroisine Bré, qui incarne Lazuli dans cette production, le promet d’ailleurs : “L’ouvrage est incroyable, frais, drôle. Je vous garantis un spectacle explosif ! L’idée directrice est très premier degré : c’est le reflet d’un royaume en totale déliquescence. Le souverain se fiche complètement de ses sujets, uniquement préoccupé par ses envies personnelles. Les costumes et le décor promettent d’être très beaux, de faire voyager le public dans la tendance orientaliste propre aux fantasmes de l’époque à laquelle l’œuvre à été créée. Il y aura notamment un rhinocéros et d’autres choses assez loufoques ! Comme il s’agit d’une opérette, nous passons du chant au texte déclamé. Jean-Philippe Desrousseaux nous fait vraiment travailler sur le jeu d’acteur, il a d’ailleurs tenu à faire certaines coupes dans le livret afin de rendre les situations plus dynamiques et cocasses. Il regorge d’idées mais reste très ouvert aux propositions, et j’adore ça ! Pour moi la scène est un vrai terrain de jeu et j’aime me laisser surprendre par ce qui pourrait jaillir de mon personnage.”
Sommet d’humour assurément, l'œuvre est créée le 28 novembre 1877 au Théâtre des bouffes Parisiens (le domaine de Jacques Offenbach, maître du genre). Elle connaît alors une tournée internationale : Berlin et Budapest en 1878, Broadway (New York) en 1890 dans une adaptation anglaise intitulée The Merry Monarch, puis Londres en 1899 (renommée The Lucky Star dans une nouvelle adaptation), avant Bruxelles en 1909.
L’opus dispose de tubes mémorables qui permettent à l'œuvre de se maintenir au répertoire, y compris pour des occasions particulières : durant l'exposition des Arts Décoratifs à Paris en 1925 (direction musicale Albert Wolff) mais également, aussi incroyable que cela puisse paraître étant donné le sous-texte politique de cet opus qui représente un roi "Ouf", sous l'occupation Nazi le 10 avril 1941 à l'Opéra Comique. L'opéra de Lyon et l’Opéra Comique ressuscitent l’opus en 1984 (Colette Alliot-Lugaz et Michel Sénéchal tiennent les premiers rôles dans la mise en scène de Louis Erlo et Alain Maratrat) avec un enregistrement audio intégral et une retransmission télévisée. L'Étoile brille à nouveau Salle Favart en décembre 2007 avec Jean-Luc Viala et Stéphanie d'Oustrac dans une mise en scène de Macha Makeïeff et Jérôme Deschamps sous la baguette de Sir John Eliot Gardiner. Alors que l’opus continue d’être régulièrement repris à l’international, les deux dernières productions marquantes sont à l’affiche à l'Opéra national des Pays-Bas en 2014/2015 (mise en scène de Laurent Pelly) puis au Royal Opera House de Londres en 2016. Jusqu’à la nouvelle production 2020 par l’Atelier Lyrique de Tourcoing.
Cette pièce qui rêve d'Orient et d'Étoile a donc conquis progressivement le monde, comme d’ailleurs l’Atelier Lyrique à Tourcoing vise un développement international (le nouveau directeur François-Xavier Roth l’explique dans notre interview).
La Grande Écurie musicale
La très grande (et même redoutable) richesse instrumentale de cet opus doit avoir l'apparence de l'aisance et de la facilité, autant d'éléments qui correspondent à l'esprit de l'Ensemble fondé par Malgoire avant l'Atelier Lyrique de Tourcoing et intimement associé depuis : La Grande Écurie et la Chambre du Roy. Cet Orchestre naît en 1966 pour offrir les musiques telles qu'elles sonnaient à travers leurs différentes époques de composition : sur instruments authentiques, partitions anciennes et interprétation historiquement informée par les traités musicaux.
Un orchestre qui sera évidemment à l’œuvre pour cette Étoile de Chabrier, et même placé sous la baguette de son nouveau Directeur, Alexis Kossenko, avec qui le metteur en scène affirme avoir “une parfaite entente. Alexis Kossenko est très à l’écoute du texte et de la dramaturgie. C'est un chef pour qui le rapport à la mise en scène est très important, comme je considère également que la mise en scène doit s'appuyer sur la musique. Le spectacle doit en restituer mouvement, densité, couleurs, esprits. Pour l'avoir vu travailler avec les chanteurs, je sais combien notre travail se rejoint : dans son attention au sens du propos, au détail des mots. Aucune dichotomie entre nous car il n’y en a aucune entre visuel et musical.”
Atelier Jeunesses
L'enjeu de l'Atelier est de s’adapter au travail collaboratif et destiné à tous. L'Étoile de Chabrier en est encore un bel exemple, comme le confirme Jean-Philippe Desrousseaux : “Contrairement au fonctionnement traditionnel d'un opéra, c'est ici véritablement un atelier avec une collaboration entre les générations d'interprètes. Les spectacles et les carrières se construisent ensemble et dans la bienveillance. Dès que je suis arrivé, on m'a fait ressentir une vraie soif d’échange, de construction, d’apports. La distribution réunit ici trois jeunes artistes avec des interprètes ayant beaucoup d'expérience.” L’Atelier lyrique accorde de fait sa confiance à de nombreux jeunes artistes, leur permettant d’y développer leur carrière, leur offrant de la stabilité par leur fidélité. Ambroisine Bré n’en dit pas moins : “Jean-Claude et Renée Malgoire m’avaient imaginée dans ce rôle bien avant de m’avoir entendue chanter l’air « Je suis Lazuli » lors de la finale du concours Voix Nouvelles. Je suis très reconnaissante de leur fidélité : c’est la troisième fois que j’y chante et mon grand regret sera de ne pas avoir pu y être dirigée par Jean-Claude Malgoire, parti trop tôt. Toutefois, ses disciples comme Emmanuel Olivier, Alexis Kossenko ou encore Martin Surot (Chef de chant sur cette production) font perdurer l’esprit de ce grand chef.”
Présent pour les jeunes artistes, l’Atelier Lyrique de Tourcoing prend également soin de son jeune public, avec une programmation dédiée et des actions de médiations. C’est encore le cas de cette Étoile, un conte qui prend les enfants au sérieux, par les enjeux graves derrière l’histoire féerique. La version de Jean-Philippe Desrousseaux présentera ainsi par exemple bel et bien le pal mais en gardant l'assurance d'un spectacle tout public : “Les enfants peuvent certes comprendre que si le pal s'active, ça fera très mal (même sans comprendre bien où), mais la partie amusante consiste à seulement montrer le risque du pal, la menace qui est fort heureusement interrompue. Toutes les scènes sont visibles par un jeune public.
Je suis persuadé que le public (adultes comme enfants) est intelligent et ressent, perçoit finement tous ces enjeux et rapports. C’est l’esprit de l'Atelier Lyrique de Tourcoing avec ses programmes pédagogiques, de médiation culturelle, de rencontres avec les jeunes, dès la maternelle et à tous âges. Tourcoing prépare les jeunes à devenir du public et j'apprécie énormément que tous les âges soient ainsi intégrés pleinement au spectacle. L’émulation entre les ressentis des jeunes et les appréhensions des adultes fait tout le sel d’une salle. C'est ce type de partage intergénérationnel que permet l'Atelier Lyrique de Tourcoing.”
Et Ambroisine Bré de conclure : “Il y aura beaucoup de rires mais également des moments en apesanteur, comme dans l’air « O petite Étoile » de Lazuli où la mise en scène laisse place à la magie de la musique de Chabrier.”
Dans cette production, Ambroisine Bré est entourée d’Anara Khassenova (La Princesse Laoula), Juliette Raffin-Gay (Aloès), Carl Ghazarossian (Le Roi Ouf 1er), Nicolas Rivenq (Hérisson de Porc-épic), Alain Buet et Denis Mignien (Siroco et Tapioca), Denis Duval (assistant mise en scène et tenant le rôle parlé du Chef de la Police) mais aussi l’Ensemble Vocal de l’Atelier Lyrique de Tourcoing, et bien entendu La Grande Écurie et la Chambre du Roy sous la direction de son nouveau chef Alexis Kossenko (qui échange également avec nous en entretien).