Plongée dans Koma en création française à l'Opéra de Dijon : Épisode 1, lumière et ténèbres
Plongée dans Koma en création française à
l'Opéra de Dijon
L'Opéra de Dijon est labellisé "Théâtre lyrique d'intérêt national" notamment pour son travail de (re)créations : après les résurrections de La Finta Pazza, des Boréades ou la Carmen réimaginée en réalité virtuelle. Avant Les Châtiments (commande et création mondiale en février 2020), cette saison lyrique se referme les 14 et 15 juin 2019 avec la création française de Koma, opéra composé par Georg Friedrich Haas sur un livret d'Händl Klaus et dans une mise en scène signée Immo Karaman.
Koma : une plongée dans le noir
L’opéra Koma plonge le public dans le noir absolu, pour la moitié de l’œuvre qui dure 1h45. La lumière se rallume par épisodes qui peuvent durer quelques instants ou bien plusieurs minutes. Lorsque la lumière se rallume, l’éclairage est souvent sombre, complété de projections vidéos, le tout figurant la chambre d’hôpital. Lorsque la lumière est éteinte, le public entre dans la peau de l’héroïne plongée dans le coma, et fait ainsi une expérience unique de perception : lorsqu’un sens tel que la vue est empêché, les autres s’aiguisent, notamment l’ouïe. Afin que le noir demeure total, aucun sur-titre n’est affiché pour cette pièce en allemand sans entracte. Le programme, qui comprend le livret complet, est offert avant le spectacle, mais ne sera pas lisible durant l’oeuvre : mieux vaut prévoir de l’avance pour le consulter !
Ce geste, cette plongée dans l’obscurité totale prolonge comme un aboutissement ultime l’évolution historique de l’opéra. À l’origine, les théâtres étaient entièrement éclairés : lors des premiers opéras publics représentés à Venise au début du XVIIe et jusqu’au XIXe siècle, les spectateurs vivaient leur vie pendant le spectacle, parlaient, mangeaient, écoutaient d’une oreille plus ou moins distraite les récitatifs et ne se concentraient vraiment que pour applaudir les grands airs. Ce sont notamment Gustav Mahler et Richard Wagner qui imposèrent l’obscurité et le silence (autant que possible, refusant également les retardataires) en salle, précisément parce que l’art musical avait changé en abolissant la séparation entre airs et récits au profit d’une musique, d’une expérience continue, d’une œuvre d’art totale.
Le noir absolu de Koma est en soi une fragilité que peut venir détruire la moindre lumière sur scène, dans la fosse d’orchestre, en coulisses ou dans le public -notamment à cause d’un téléphone portable non éteint. Cette lumière pourrait aussi bien être synonyme de l'éveil pour l'héroïne plongée dans le coma mais surtout la "lumière au bout du tunnel" que suit la victime d'expérience de “mort imminente”. Cette fragilité est aussi ce qui fait le prix de l’acte créateur. Le compositeur de cet opéra immersion, Georg Friedrich Haas, explique rechercher cette fragilité : « Pour les auditeurs, les ténèbres sont une expérience insolite. Contrairement à nos ancêtres (il y a encore 150 ans), nous ne connaissons plus de ténèbres absolues. Mais notre organisme est prêt à vivre dans ces ténèbres et nous possédons cette capacité –même inutilisée. Par ma musique, on est transféré pour quelques minutes chez les hommes de l’âge de pierre, après que le feu de camp se soit éteint dans la grotte nocturne, guettant et écoutant avec appréhension toutes sortes de menaces. Et l’on n’est pas seuls : pendant quelques minutes, tous, nous ne faisons qu’écouter, avec beaucoup de concentration. »
Le compositeur valorise ainsi en un “théâtre des émotions, l’unité de la musique, de la lumière, du tableau et de la scène”. Cela est vrai dans tout son catalogue chanté, toujours centré sur le point de vue d’un ou d’une protagoniste central : Koma poursuit notamment son travail précédemment mené avec baryton à l’opéra dans Nacht (Nuit donné à Brégence en 1996 et 1998) ainsi que pour Die schöne Wunde (La belle plaie) où le héros est tour-à-tour médecin de campagne (d’après le recueil de nouvelles de Kafka) et prisonnier (d’après Le puits et le pendule d’Edgar Allan Poe).
Le chef d’orchestre des représentations dijonnaises, Bas Wiegers raconte que, durant la préparation de l'opéra, les interprètes ont échangé avec des soignants et notamment « une infirmière absolument exceptionnelle qui s'occupe tous les jours de personnes dans le coma. Si la médecine fait des progrès, elle se stabilise sur ce point et bien qu'on souhaiterait tous que les gens reviennent, c'est très rare. Ces situations dramatiques mettent l’accent sur le terrible dilemme éthique et affectif : laisser vivre ou laisser mourir. Parfois le plus grand acte d'amour peut être de laisser les gens partir. On ne peut pas savoir. »
Enregistrement sonore intégral de la création mondiale
Épisode 2 : Koma, héritier de Carmen, Traviata, La Bohème
Épisode 3 : Entre-deux mondes
Épisode 4 : Orchestre, Musique, Chant