Lea Desandre avant les Victoires de la Musique Classique : « Être poussée dans mes retranchements, me dépasser »
Votre année 2017 commence très bien, avec une nomination parmi les Révélations lyriques aux Victoires de la Musique Classique 2017. Quelle a été votre première réaction ?
J’étais toute excitée avec un pic d’adrénaline. C’était inattendu, je n’y croyais pas du tout. Mais très rapidement après l’excitation arrive la pression.
Comment vous préparez-vous à cet événement du 1er février ?
Comme un concert normal. J’ai la chance d’avoir pu choisir une pièce qui me plaît, pleine de peps, mais le suspense reste entier !
Quel message avez-vous envie de transmettre au public qui vous découvre et qui pourrait voter pour vous ?
Je fais de la musique par passion, j'espère faire du bien au public, permettre aux gens de s'échapper. Je ne veux pas que cette passion devienne un métier, je souhaite garder cette flamme.
Connaissez-vous et pouvez-vous nous dire quelques mots sur les autres révélations Lyriques 2017 (Raquel Camarinha, Catherine Trottmann) ?
Je les avais croisées mais je ne les connaissais pas personnellement. Nous sommes toutes les trois très différentes. J’aurais préféré les rencontrer dans des circonstances plus détendues. Elles sont très talentueuses et je leur souhaite beaucoup de réussite.
De même, auriez-vous quelques mots à partager sur le reste des nommés ?
Je connais notamment le claveciniste Justin Taylor, très gentil, c’est une personne délicieuse. Je connais et j’admire les artistes nommés, notamment les artistes lyriques : c’est difficile de les départager. Je connais aussi Leonardo García Alarcon, nommé pour son disque et avec lequel je ferai un opéra de Cavalli (Erismena) cet été à Aix-en-Provence.
Quels opéras vous ont marquée, récemment ?
Cet été, j'ai vu Pelléas et Mélisande [Debussy] dans la mise en scène de Katie Mitchell. C'était un énorme choc ! J'ai aussi beaucoup aimé Alceste [Gluck] avec Véronique Gens, Stanislas de Barbeyrac, Stéphane Degout à Garnier, dans la mise en scène d'Olivier Py il y a deux ans. Il y a encore deux années de cela, j'avais mes abonnements jeunes partout, je ne passais pas la semaine sans aller au théâtre ou à l’Opéra. Mais le temps se fait rare ! Il reste heureusement des plateformes comme Culturebox, Opera Platform ou Arte Concert pour se rattraper.
Revenons sur votre parcours : Comment avez-vous déterminé votre tessiture ?
Je n’aime pas avoir une étiquette : je chante ce qui convient à ma voix. Une voix évolue au fil des années, elle peut changer, devenir plus à l’aise dans le grave ou l'aigu : Cecilia Bartoli ou Joyce DiDonato peuvent être des exemples de chanteuses dont la voix évolue au fil du temps en passant à un répertoire plus aigu. Personnellement, juste après le baccalauréat, je suis partie à Venise travailler avec Sara Mingardo, notamment pour explorer le registre grave. Quoi de mieux qu’une contralto pour en parler ? Nous avons essayé de nombreux rôles pour explorer l’ambitus de ma voix. Je la voyais très régulièrement (plusieurs fois par semaine) et au fil des mois, la voix a trouvé sa place dans une tessiture plus grave, même si j’étais très jeune (19 ans) : au fil des années, la voix prend du “charnu”, du “dodu”. J’ai toujours eu une facilité avec l’agilité et les notes rapides (contrairement aux valeurs longues qui me paniquent), donc un rôle comme Ariodante [Haendel] est parfait pour ma voix : il y a des aigus et des graves mais la tessiture revient toujours dans une zone médium aiguë confortable. Je travaille l’homogénéisation de la voix en faisant des exercices et en lisant du répertoire.
Lea Desandre (© Festival D'Aix en Provence)
Durant votre formation, quel est le professeur qui vous a le plus marquée ?
Cette expérience vénitienne m’a marquée à jamais. J’ai beaucoup appris de tous les professeurs que j’ai rencontrés (Esthel Durand, Malcolm Walker, Christine Schweitzer), des chefs avec lesquels j’ai travaillé (William Christie, Raphael Pichon, David Stern, Emmanuelle Haïm). Aller écouter les collègues me fait également beaucoup de bien. Et puis mes 13 années de danse classique auprès de Monique Servaes ont été essentielles dans ma formation : j’y ai appris la rigueur du travail, à être à l’aise et libre dans mon corps, à gérer l’espace sur une scène.
Auriez-vous des idées et des envies concernant la manière dont vous pourriez un jour allier danse et chant dans vos projets artistiques ?
Oui, c’est mon rêve et j’ai d’ailleurs un projet prochainement qui m’en donnera l’occasion. La danse m’apporte une connaissance de mon corps indispensable et grâce à elle je suis à l’aise et me sens bien sur un plateau.
Avez-vous encore un professeur et/ou un coach ?
Mes professeurs de chant et chefs de chant bien entendu, puis je vais beaucoup voir les artistes qui m'inspirent. J’ai récemment travaillé Les Nuits d’été de Berlioz avec Véronique Gens. Pour le répertoire d’agilité j’ai profité de mon séjour à Venise pour travailler avec Vivica Genaux. Je vois encore Sara Mingardo et j'ai consulté Laurent Naouri pour le répertoire français. J’ai besoin d’une oreille extérieure et de références dans les répertoires.
Avez-vous des modèles ?
Plein ! La toute première c’est Natalie Dessay. On m’avait offert son album Le Miracle des voix, je l’ai beaucoup écouté. Je pense aussi à Lorraine Hunt, Patrizia Ciofi, Anne Sofie von Otter, Véronique Gens, Sara Mingardo, Cecilia Bartoli : je pourrais faire une liste très longue ! C'est difficile de n'en citer que quelques-unes. Dans un tout autre registre, j'apprécie Audrey Hepburn et Julie Andrews. Je garde également une fascination particulière pour les danseurs. J'étais pendant 13 ans dans l’école de Danse de Léonore Baulac qui vient d’être nommée étoile, ça m’a fait chaud au cœur !
L'opéra est un art total, art de la voix mais aussi du théâtre, comment travaillez-vous votre jeu d'actrice ?
J’aime beaucoup voir des pièces de théâtre et aller au cinéma. Depuis que j’ai 5 ans, j’ai une passion pour les comédies musicales : j’aimerais beaucoup en faire une. Puis le travail se fait avec les coachs et les metteurs en scènes. J’ai eu la chance de travailler avec de merveilleuses chorégraphes (Raphaëlle Boitel, Leah Hausman) qui m’ont fait grandir.
Vous avez beaucoup voyagé : Vienne, New York, Moscou, l’Australie, Tokyo, Séoul, Macao, Shanghai, Luxembourg, Lammermuir. Comment vit-on les longues tournées loin de chez soi ?
Je vis pleinement ces merveilleuses expériences ! Ma famille me manque, mais je suis contente de m'envoler pour revenir riche de mon voyage et pleine de souvenirs à raconter !
Vos projets passés et à venir dévoilent un attachement particulier au répertoire baroque. Qu'est-ce qui vous plaît particulièrement dans ce répertoire ?
C’est une musique très délicate avec des marges dynamiques importantes. Prenons la musique française, c’est de la broderie. Je suis aussi fascinée par la place du texte dans ce répertoire, le rapport à la déclamation et la richesse de l’harmonie, notamment chez Monteverdi, Rameau ou Bach. Vocalement, cette musique permet de manier la voix dans tous ses sens, avec ses fioritures et ses ornements.
Les Arts Florissants, Le Jardin Des Voix / William Christie : Un Jardin à l'italienne avec Lea Desandre, Lucía Martín-Cartón, Carlo Vistoli, Nicholas Scott, Renato Dolcini, John Taylor Ward, mes Paul Agnew
Lorsque vous enchaînez plusieurs représentations d'un même rôle, est-ce que votre conception du rôle et du personnage changent au fur et à mesure ?
Oui. Je trouve triste de se fixer une idée et de ne pas en bouger. Il est beau de faire grandir le caractère, de voir l'évolution dans la perception du personnage au fil des semaines. Le metteur en scène et le jeu des collègues nous aident beaucoup à ça.
Quelle est votre plus belle expérience lyrique pour l'instant ?
Le Jardin des Voix de William Christie ! Plus récemment, le Concert au Konzerthaus de Vienne avec Thomas Dunford [le 23 janvier dernier, ndlr] était merveilleux : j’affectionne particulièrement la musique de chambre, cette connexion et cette écoute entre musiciens qui laisse place aux surprises et à la magie.
Quel est le rôle qui a été le plus difficile ?
Il y a une pièce que j'affectionne particulièrement mais que je n'arrive pas à rendre comme je l'aimerais : la Lucrèce, un bijou composé par Haendel durant sa période romaine, que j'ai commencé à travailler avec Emmanuelle Haïm au Festival d'Aix-en-Provence en 2015. C'est une pièce particulièrement difficile de par sa tessiture et l'investissement émotionnel qu’elle implique. Je vais la laisser reposer un peu, elle a besoin de mûrir.
Lea Desandre (© DR)
Les lecteurs d’Ôlyrix ont pu vous apprécier dans nos comptes-rendus de votre Céphie dans Zoroastre à Versailles et dans votre récital au Théâtre Grévin. Vous êtes d’ailleurs en pleine période de récitals : après les Cantates Italiennes et Duos de Haendel le 18 janvier à Lille, vous travaillez à un récital de Mélodies françaises sur le thème « Nous avons fait la nuit ». Comment vous est venue l'idée de ce thème ?
Le choix s'est fait très naturellement autour des Nuits d'été de Berlioz et avec beaucoup de variété. Arthur Lavandier [retrouvez ici notre compte-rendu de sa création à Lille : Le Premier Meurtre] nous a généreusement composé une mélodie sur le poème Au moins ai-je songé que je vous ai baisé de Théophile de Viau [1590-1626] : une musique douce, intime, sensuelle puis enflammée collant à merveille avec le texte. C’est ma première introduction au répertoire contemporain. Les débuts sont un peu troublants, mais c’est ensuite plaisant, surtout lorsque c’est aussi bien écrit.
Dès le 28 février, vous allez partir en tournée avec Les Arts Florissants pour chanter l’Espérance et la Messagère dans L'Orfeo de Monteverdi (Caen, Vienne, Pologne, Madrid, Versailles puis à la Philharmonie de Paris). Que vous évoque ce personnage et quelle image voulez-vous en donner ?
J’ai longtemps hésité avant d’accepter ce rôle. J’ai dans l’oreille Sara Mingardo, avec sa noblesse, son incarnation très sombre et tragique du personnage. Bien entendu, la Messagère vient annoncer des événements tragiques, mais en discutant avec le directeur musical Paul Agnew, il m’a aidé à chercher de la fraîcheur, la jeunesse de cette amie d’Eurydice. De par mes origines paternelles italiennes et mon séjour à Venise, Monteverdi me parle énormément. J’aborde donc ce projet sereinement, d’autant plus que je suis bien entourée. Cette musique parle de l’écoute, il s'agit d'une séance de questions-réponses continue avec le continuo. Si je prends la partition et la scène de la Messagère qui annonce à Orfeo la mort d’Eurydice, la montée est d’abord mystérieuse, puis le serpent qui mord Euridice("punse un piè con velenoso dente") est complètement tordu harmoniquement. Cette fin avec un spavento (effroi) surprenant dans une tessiture qui demande à être poitrinée pour faire peur. L’harmonie et ses couleurs sont en parfait accord avec chaque mot.
Pourriez-vous nous parler de la collaboration avec Paul Agnew, qui met en scène et interprétera Apollo ?
Paul est l'une des personnes qui m’a auditionnée pour Le Jardin des Voix, il a été directeur musical et coach. C’est un bonheur de travailler avec lui. Il m’a fait confiance et nous nous sommes retrouvés sur des projets par la suite avec grand plaisir.
De même pour Cyril Auvity dans le rôle-titre d’Orfeo (que nos lecteurs connaissent bien pour l’avoir vu dans deux Didon et Enée en l’espace un mois : à Rouen et aux Champs-Élysées) ?
J’ai hâte de l’entendre dans ce rôle ! C’est un artiste que j’ai rencontré l’an dernier, je l’admire et l’apprécie beaucoup. Il a fait son premier Orfeo récemment et je suis certaine que se sera à nouveau un succès. Humainement, le travail avec les chanteurs est très important. Cette année musicale va être excellente, je sais que je vais retrouver des collègues que j’apprécie beaucoup ! Sur Alcione notamment, j’appelle notre équipe « la team du sourire », ça va être un régal.
Appréhendez-vous un événement tel que la prise du rôle-titre d'Alcione de Marin Marais, à l’occasion de la réouverture de l’Opéra-Comique ?
Maintenant que vous le dites comme cela, oui (sourire). L’Opéra-Comique me donne une chance énorme en m’offrant ce rôle de premier plan qui marquera la réouverture de la salle. Je suis confiante car bien entourée mais je ne ferai probablement pas la maline avant d’entrer sur scène !
Comment choisissez-vous vos projets musicaux ?
Pour une équipe, un metteur en scène et un rôle qui doit être en cohérence avec l'évolution de ma voix.
Comment préparez-vous un programme ?
Par exemple pour Alcione, je commence par un travail sur le texte. Ensuite je travaille beaucoup vocalement et stylistiquement avec des chefs de chant. Je me réfère à des interprètes qui excellent dans ce domaine, des tragédiennes. Enfin, nous avons eu la chance de faire une semaine de travail en équipe pour nous mettre dans le bain. Le rôle va également être physique alors je m’y prépare.
Quels rôles aimeriez-vous chanter d'ici les prochaines années ?
J’ai de grandes envies de Mozart et Rossini. Ravel et Gluck sont prévus au calendrier ainsi que Purcell et Monteverdi. Je rêve d’un Ariodante (Haendel). Et la mélodie restera également très importante pour moi ! Debussy, Ravel, Hahn bien sûr mais je suis très curieuse alors la liste est longue.
ROSSINI : Le Barbier de Séville, « Una voce poco fa » par Lea Desandre - Révélations 2017
Avec quel artistes rêvez-vous de collaborer à l'avenir ?
J’adorerais travailler avec Katie Mitchell. J’aurais rêvé de travailler avec Claudio Abbado et Nikolaus Harnoncourt. Je cherche des personnes qui me pousseront dans mes retranchements, j’ai envie de me dépasser.
Sur un plan peut-être plus personnel, à quoi ressemble une journée de chanteuse ?
Il n’y a pas vraiment de journée-type, elles changent selon les tournées, les répétitions. Une journée de travail permet de s’organiser comme on veut : je me lève, prends mon jus de citron chaud (rires) et je fais mes étirements, puis j’aime travailler à la table le matin. Ensuite, je fais une demi-heure d’exercices vocaux avant le moment le plus important de la journée: le déjeuner (sourire). Après, je travaille au piano ou avec des chefs de chant. Quand je prépare un rôle, j’écoute un maximum de versions possibles. Pour les airs baroques à Da Capo, j’aime écrire mes variations puis ensuite y ajouter des éléments au fil de mes écoutes si des choses me plaisent.
Que ressentez-vous avant de monter sur scène ?
De l’excitation ou de la peur. J’ai deux rituels complètement différents selon l’atmosphère et les gens avec lesquels je travaille : soit j’aime m’isoler pour écouter de la musique qui me calme (Cum Dederit avec Sara Mingardo ou Lorraine Hunt Lieberson dans Theodora de Haendel : “As with rosy steps the mon”). Sinon on fait des blagues, on rit avec les collègues pour se détendre.
Que faites-vous immédiatement après un concert ?
Un bon dîner avec mes proches.
Est-ce que vous avez tendance à vous repasser le film du concert dans votre tête, voire à écouter ou revoir des enregistrements ?
Je n'y arrive pas. J'ai regardé les vidéos pour les Victoires de la Musique Classique, mais je ne vois que mes défauts, je préfère regarder les autres, ils sont bien plus beaux.
Lea Desandre (© Festival D'Aix en Provence)
Hormis le classique, écoutez-vous d’autres musiques ?
J'aime beaucoup écouter les bruits de la nature mais également des chansons à texte (Barbara, Serge Reggiani), du jazz ou de la musique de film ou de ballet (Signes par René Aubry).
Est-ce que la musique suffit à votre équilibre ?
Oh non, bien manger et cuisiner fait partie de mes obsessions, quant à la nature, elle me fascine ; j’aime beaucoup marcher, sans but précis ! Je m’intéresse aussi à la science, à la mécanique quantique qui nous rappelle que tout est relatif, qu’on n’est vraiment rien et tout en même temps. J’aime beaucoup le cinéma et la peinture. Puis les moments en famille et entre amis à discuter, confortablement installés autour d’un bon thé, d’une série ou d’un puzzle : ça n’a pas de prix !
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