Raquel Camarinha : « M’engager pour la musique de mon temps »
Vous avez toujours fait de la musique, mais vous étiez censée devenir médecin. Quel a été le déclic après le baccalauréat ?
La musique était d’abord pour moi une activité complémentaire à mes études. Je viens d'une famille de médecins et j'aimais beaucoup le métier de mes parents. Je m'étais donc toujours envisagée dans cette voie. Mais j’ai rapidement été charmée par le côté théâtral et le jeu de l'opéra. J’ai un souvenir très fort d’une Carmen que j’avais vue petite au Colisée de Porto. Toute la machine grandiose de l’opéra m’avait marquée, captivée. Mon baccalauréat coïncidait avec la fin de mes examens au conservatoire et je me suis alors rendue compte de l'importance de la musique pour moi, ainsi que de la possibilité d'en faire mon métier. J'ai donc fait des master-classes, à Londres. J'ai partagé mon envie avec mes professeurs, ils m'ont encouragée à tenter l'aventure : je me suis inscrite à l'université, en chant, au Portugal. En faisant ma licence, j'ai tout de suite eu des rôles à l'Opéra de Lisbonne.
Comment avez-vous fait accepter ce choix d'une vie de Bohème à vos parents ?
Ce n’était pas évident dans un premier temps. Mes parents trouvaient cette décision un peu brusque. Du jour au lendemain, j’ai voulu faire de la musique. Mais en m’accompagnant lors des master-classes, en échangeant avec mes professeurs, ils ont mieux connu le monde de la musique, ont vu le parcours de formation d’artiste. Le fait qu’il existe un cursus académique avec des diplômes les a rassurés, mais aussi mes premiers engagements à Lisbonne. Surtout, ils ont été très émus lorsqu’ils m’ont vue pour la première fois sur scène dans une grande production.
Comment avez-vous déterminé votre tessiture ?
J’ai toujours été soprano. Quand j’ai commencé le chant, c’est le répertoire que j’ai tout de suite travaillé avec ma première professeure de chant. J’ai ensuite adapté mes choix selon ma voix et afin d’appréhender certains aspects techniques, mais j’ai toujours travaillé en tant que soprano.
Quels ont été les conseils les plus importants dans votre apprentissage du chant ?
Mis à part les conseils fondamentaux pour la construction d’un chanteur, je pense que le concept le plus important est de toujours revenir au plus simple, à une émission saine : ne jamais fabriquer des sons. C’est la même chose dans le jeu d’acteur.
Raquel Camarinha (© Paul Montag)
Vous avez commencé le chant au Portugal. Qu'est-ce qui vous a conduit à poursuivre votre formation en France ?
À la fin de ma licence, je voulais poursuivre mes études à l’étranger pour connaître d’autres endroits, écoles, cultures. Paris s’est imposé comme une évidence, par la réputation du Conservatoire National avec son cursus complet et ses professeurs. Dès que je suis arrivée à Paris, je suis tombée amoureuse de la ville. Au moment du concours d'entrée au Conservatoire, je pensais passer mon temps à l’hôtel pour travailler mais j'ai finalement passé des journées entières au Louvre, à me nourrir. C’est une ville fantastique culturellement et un point de croisement entre les artistes (le fait que Paris soit très centrale me permettait aussi de travailler dans les pays autour).
Vous parliez déjà un français aussi remarquable ?
Non, pour comprendre cela allait car le portugais et le français ne sont pas des langues si éloignées. Mais j’ai beaucoup travaillé pour pouvoir parler la langue. Bien sûr, il y avait l’anglais, mais ce n’était pas évident d’échanger avec mes collègues ainsi. Je me suis mise très sérieusement au français. D’autant plus que j’apprécie énormément le répertoire de mélodie française et j’aime beaucoup connaître et maîtriser les langues que je chante, savoir véritablement parler. Quand je lis Verlaine et que je veux le chanter, je dois le travailler le plus possible afin que les gens comprennent le sens des mots et le message, sinon le répertoire perd tout son sens.
Vous avez un Master du CNSM, avez-vous trouvé l'enseignement de l'art lyrique très différent de votre pays une fois arrivée dans la capitale française ?
En France, j’ai connu l’enseignement à un niveau plus élevé : un master spécialisé sur la voix après une licence plus générale. En tout cas, j’ai remarqué la richesse culturelle de Paris. Voir des chefs-d’oeuvre aussi facilement aux musées, à la Comédie-Française avec une prononciation si claire de la langue de Molière, c’est pour moi une richesse fondamentale et supplémentaire dans ma formation.
Durant votre formation, quel est le professeur qui vous a le plus marquée ?
Chantal Mathias a été ma professeure au CNSM pendant quatre ans (deux ans de master puis en diplôme d’interprète). Nous avons beaucoup travaillé sur ma technique vocale. En arrivant du Portugal, j’avais déjà les bases mais j’ai pu appréhender un répertoire plus vaste. Chantal Mathias est passionnée par les défis de l’enseignement et très exigeante. Avec elle, j’ai fait d’énormes progrès.
Avez-vous encore un professeur et/ou un coach ?
J’aime travailler avec quelqu’un qui pourra m’aider dans un répertoire. Par exemple, j’ai fait Le Roi pasteur (Il re pastore) de Mozart au Châtelet il y a deux ans et j’ai travaillé en détail le rôle de la bergère Elisa avec Malcolm Walker. Pour la musique de chambre, je travaille parfois avec des pianistes. Leur vision du chant est souvent plus concentrée sur la musicalité.
Raquel Camarinha dans Il Re Pastore (© V. Tonelli ArtComArt)
Avez-vous des modèles ?
Cathy Berberian. J’aime beaucoup de choses chez elle : déjà sa qualité de grande chanteuse et elle était aussi une immense comédienne. Elle n’a pas eu peur d’explorer sa voix, elle voulait toujours expérimenter et grâce à elle, nous avons découvert de nouveaux horizons vocaux. Muse de plusieurs générations elle a créé les œuvres des plus grands de son époque (Berio, Cage, Bussotti, etc.). J’aime beaucoup une anecdote qui prouve la richesse de cette interprète : pour faire une interprétation des Folk Songs qui s’approche de ce qu'aurait fait Cathy Berberian après son décès, Berio a dû embaucher plusieurs chanteuses ! À elle seule, elle avait de multiples voix. J’ai aussi des références très variées et des gens que j’aime beaucoup, comme Barbara Bonney par exemple. Je cherche également mes modèles dans d'autres domaines : j’aime aller au théâtre, à des expositions, voir des films qui m’inspirent dans d’autres répertoires.
L'opéra est un art total, art de la voix mais aussi du théâtre, comment travaillez-vous votre jeu d'actrice ?
J’ai fait du théâtre pendant quelques années à la fin de mon lycée au Portugal. Cela m’a donné quelques bases techniques sur le jeu d’acteur, puis ce sont surtout les productions avec des metteurs en scène qui m’ont nourrie. J’aime m’inspirer de l’interprétation d’autres artistes. Plus techniquement, je travaille le jeu d’un personnage beaucoup sur table. Je le parle, j’essaye différentes interprétations possibles. J’échange aussi avec mes partenaires et je me filme, souvent : je me regarde, je débriefe et je note les éléments à ajouter, enlever, puis je recommence. J’ai beaucoup de gens autour de moi qui peuvent m’aider, d’autres artistes, notamment le pianiste Yoan Héreau (qui est en outre mon mari), très présent dans ma vie professionnelle.
Quels souvenirs avez-vous de votre première française avec le rôle d'Eurilla dans Orlando Paladino de Joseph Haydn au Théâtre du Châtelet ?
Un souvenir incroyable ! C’était ma première fois dans un théâtre aussi important. J’étais la plus jeune et très nerveuse. J’ai été encadrée par une équipe artistique et administrative du Châtelet formidable : tout le monde me connaissait et m'accueillait. La production était très impressionnante et loufoque, avec le chorégraphe Kamel Ouali. Il ne vient pas du classique et apportait une énergie débordante : pour lui, un opéra devait bouger, tout le temps ! C’était une production haute en couleur, avec les décors Manga, Power Rangers de Nicolas Buffe. Un mois inoubliable avec cette œuvre qui n’est pas souvent montée.
Raquel Camarinha dans Orlando Paladino (© Marie-Noëlle Robert)
Vous avez chanté à plusieurs reprises La Voix Humaine ainsi que d'autres œuvres de Poulenc. Qu'est-ce qui vous plaît tant chez ce compositeur français ?
Au fur et à mesure que je regarde mes concerts passés, je me rends compte que je chante beaucoup Poulenc. C’est un compositeur merveilleux, si près du texte ! Les Mamelles de Tirésias sont à se tordre de rire. La Voix humaine est une expérience tellement intense, poignante. Sur ce texte de Cocteau, Poulenc a construit une heure d’émotion, un défi et un honneur pour toutes les chanteuses. J’ai eu la chance de l’interpréter avec Yoan Héreau au piano, dans une version mise en scène par Aleksi Barrière où le piano était avec moi sur scène, faisait partie de la mise en scène, était le décor : j’avais donc vraiment l’impression d’être accompagnée, comme au téléphone, seule dans la pièce mais ensemble dans un échange. Toutes les mélodies que nous avons chantées, tous les cycles nous forcent à l’évidence : le compositeur nous correspond.
Raquel Camarinha et Yoan Héreau - La Voix humaine de Francis Poulenc ; mise en scène Aleksi Barrière, CNSMDP, 25/10/2013
Quelle est votre plus belle expérience lyrique pour l'instant ?
Difficile de choisir. Tous les projets au Châtelet m’ont beaucoup marquée, par la qualité des productions et pour cette maison qui m’est si chère.
Quel est le rôle que vous avez préféré chanter pour l'instant ?
Tous les Mozart que j’ai faits et Suzanne (dans Les Noces de Figaro de Mozart) qui est le rôle que j’attends, dont je rêve. Je n’ai pas encore de production prévue, j’en ai chanté des extraits mais jamais en entier sur scène. Cette musique est belle toute seule : il ne faut rien faire, juste être à son service.
Quel est celui qui a été le plus difficile ?
Depuis septembre, je travaille quelque chose de très difficile, pas un rôle d’opéra mais l’intégrale des mélodies de Chopin en polonais programmées dès le 24 mars à Tours et au Festival l'Hermitage à la Baule. J’étais très enthousiasmée au début par la beauté de ces mélodies et l’occasion de chanter en polonais, mais interpréter beaucoup de texte dans cette langue, qui est la plus difficile pour moi jusqu’à présent, me demande beaucoup de travail. La prononciation est très subtile et parfois on me dit : tu prononces cheu alors que c’est cheu et du coup le mot veut dire “vache” ! J’étais très fière d’en présenter la moitié lors d’un concert privé en ce mois de janvier.
Vous avez déjà participé à quatre disques publiés, est-ce que la partie discographique est importante dans votre travail ?
Ces projets se sont lancés un peu au fur et à mesure : un concours enregistré, une participation pour un enregistrement de Xenakis lorsque j’étais au conservatoire. Le disque Apparitions est venu de ma pratique du répertoire contemporain. Souvent les jeunes chanteurs venaient me voir pour des conseils en musique contemporaine, ils n’aimaient pas trop cela mais ils devaient en interpréter pour les concours et examens. À part les pièces plus souvent jouées comme les Récitations de Georges Aperghis, on ne chantait que peu de morceaux, j’ai donc fait une recherche pour connaître les opus chant-piano d’après-guerre, un genre qui a toujours fleuri. Je tenais à enregistrer ces mélodies et militer pour cette formation. Enfin, le disque Round Time de Luis Tinoco est le reflet de ma collaboration avec le compositeur. J'aimerais aussi beaucoup enregistrer le répertoire que j'interprète en musique de chambre et en mélodie, notamment Poulenc : nous cherchons une possibilité d'album. Il y a aussi un projet d'enregistrer l'intégrale des mélodies de Chopin que je vais bientôt interpréter, ainsi que l'intégrale des mélodies de Ruy Coelho. Enfin, j'ai un projet en cours consistant à enregistrer les œuvres pour chant et piano de Louis Guérinel.
Votre année 2017 commence très bien, avec une nomination parmi les Révélations lyriques aux Victoires de la Musique Classique. Où étiez-vous quand on vous a annoncé la nouvelle ?
J'étais chez moi. C’est Florian Rebeyrolle des Victoires et de l’Ensemble Pulcinella (avec lequel je vais chanter en avril aux Invalides) qui m’a annoncé la nouvelle au téléphone. Nous avions envoyé les dossiers longtemps à l'avance, j'ai ensuite reçu un mail pour m'annoncer que j'étais dans la pré-sélection. J'en étais déjà très contente et je ne voulais pas me bercer de trop d’espoir ou d’excitation. Je suis allée passer les fêtes de Noël au Portugal, nous avions ensuite prévu un Noël entre chanteurs à mon retour le 2 janvier. J'avais par contre prévenu que je ne pourrais pas venir au dîner si j'étais nommée. J’ai donc dû annuler afin d’être en forme pour le concert des Révélations le 3 janvier.
Quelle a été votre première réaction ?
Un moment de grande excitation et puis un moment de grande peur. J’ai fait une croix sur mes vacances et je suis ensuite rentrée dans un mode productif, pour travailler les airs que j'allais chanter lors du Concert des Révélations. Depuis la nomination, j’essaye de partager l’information, d’inviter les gens à regarder les vidéos, à voter, cela prend une grande partie de mes journées.
Comment vous préparez-vous à cet événement du 1er février ?
Je travaille l’air que je vais chanter, j’en suis très contente et je pense qu'il va beaucoup plaire.
Que représentent pour vous les Victoires de la Musique Classique et que représenterait une victoire ?
Ce serait un grand honneur mais surtout une grande responsabilité : être révélation lyrique est une marque d'estime et de confiance en l'avenir. Ce n’est pas vraiment un Prix pour le travail accompli mais pour ce qu’il reste à faire.
Avez-vous déjà écrit un discours au cas où vous gagneriez ?
Non, évidemment j’ai commencé à y penser, pas pour écrire un discours mais en réfléchissant à mon parcours, aux gens qui m’ont aidée vocalement, techniquement et par leur soutien.
Quel message avez-vous envie de transmettre au public qui vous découvre et qui pourrait voter pour vous ?
J’ai beaucoup travaillé pour le concert des révélations et mon seul message serait d’inviter le public à regarder les vidéos et voter en conscience. Pour moi, toute cette période de promotion n’est pas évidente, j’en suis un peu gênée alors je me fais aider par des amis. Je préfère me montrer aux gens par le chant, transmettre mon message par la musique. Et si cela vous plaît, chose que j’espère, alors votez pour moi.
Connaissez-vous et pouvez-vous nous dire quelques mots sur les autres Révélations Lyriques 2017 (Lea Desandre, Catherine Trottmann) ?
J’ai regardé leurs vidéos, je les admire beaucoup pour leurs prestations et leurs parcours. Je suis honorée d’être nommée à leurs côtés. Je connais bien Catherine que j’ai côtoyée lors de mes études au CNSM. Je l’aime beaucoup, y compris personnellement. J’ai rencontré Lea dans le cadre de ces Victoires. J’aurais préféré faire sa connaissance sur une production ou dans un autre contexte pour avoir davantage de temps pour échanger.
Beaucoup a été dit sur le fait qu’il n’y ait que des femmes nommées dans les deux catégories lyriques, c’est un peu étrange car ce n’est pas le cas pour l’ensemble des nominations, loin de là. Je n’ai pas envie de dire qu’il y a beaucoup de femmes, mais qu’il y a beaucoup de talent, des artistes superbes à écouter, à partager.
De même, auriez-vous quelques mots pour le reste des nommés ?
Ah, je ne veux pas prendre parti mais il est vrai que je suis très honorée de chanter aux côtés de Stéphanie d'Oustrac en avril : nous nous étions croisées à l'émission Musiques en fête en 2012. Elle est formidable, mais je ne voudrais pas être partisane (comme dans ma démarche artistique, je cherche toujours à défendre chaque compositeur, chaque artiste). Je sais pour qui je voterais, mais je ne veux pas le dire (rires). Il est tellement important d’écouter et de défendre chacun des artistes.
Raquel Camarinha - "Quel guardo il cavaliere" de Donizetti, Orchestre Philharmonique de Monte Carlo, Dir. Luciano Acoccella, juin 2012 · Chorégies d'Orange · Emission Musiques en Fête
Est-ce que vous regardez vous-même en spectatrice les cérémonies de ce genre ?
J’essaye, ce n’est pas toujours possible vu nos agendas dans le monde du spectacle, mais alors je regarde a posteriori les vidéos, aussi pour voir mes collègues, en savoir plus sur leurs projets, leurs passions.
D'une manière générale, est-ce que vous avez le temps de vous intéresser à l'actualité lyrique ?
Oui, comme je le disais, je n’ai pas assez souvent l’occasion mais je vais dès que je le peux à l’Opéra, aux générales et je me tiens au courant. J'essaie aussi d’aller voir autre chose que du lyrique : de la musique instrumentale et symphonique, également beaucoup de théâtre (il y a de nombreux points communs avec le métier de chanteur, sous une autre lumière, avec d’autres outils). J’ai aussi été très touchée par ce qui est arrivé à Jonas Kaufmann (retrouvez ici notre article), nous sommes très solidaires entre chanteurs, nous savons ce que ce type d’événement représente et sommes très contents de son retour !
Vous avez notamment dû suivre l’actualité liée au départ de Jean-Luc Choplin du Châtelet ?
Oui, nous travaillions ensemble depuis quatre saisons et je suis une spectatrice assidue des comédies musicales au Châtelet, depuis My fair Lady. Je les adore. J’en ai fait un petit peu avec Carmen la cubana. Qu’est-ce que j’aimerais savoir faire des claquettes ! Toute cette programmation axée sur les spectacles vivants et colorés va beaucoup me manquer. Je suis très reconnaissante envers Jean-Luc qui m’a fait confiance. Concernant la nouvelle nomination de Ruth MacKenzie (notre article dédié à cette actualité est à ce lien), je suis aussi très excitée, je me suis renseignée sur son parcours, ses projets très pluri-disciplinaires, ça peut être fantastique, j’ai hâte de voir tout cela en tant que spectatrice et aussi en tant qu’artiste : je ne peux confirmer aucun projet pour l’instant mais je serais ravie de continuer à collaborer avec eux.
Jean-Luc Choplin va partir diriger la nouvelle Seine Musicale, avez-vous des projets dans ce cadre (retrouvez ici les détails sur sa prochaine nomination) ?
Je ne peux rien dire pour l’instant !
Le 21 janvier, vous chanterez à la Philharmonie de Paris pour le deuxième volet du cycle Turbulences Vocales, avec l'Ensemble Intercontemporain et les chanteurs de l'ensemble Solistes XXI. Comment présenteriez-vous ce programme ?
Il y aura des mélodies très amusantes, avec une musique simple et qui met tout de suite de bonne humeur. J’ai la chance de collaborer avec des solistes formidables.
Vous êtes souvent sollicitée pour interpréter et même créer des rôles dans le répertoire contemporain : deux opéras de Luís Tinoco, Evil Machines (2008) et Paint Me (2010), Giordano Bruno de Francesco Filidei en 2015. Pour quelles raisons vous sentez-vous proche du répertoire contemporain ?
Le milieu de la musique contemporaine est assez particulier, il marche beaucoup par le bouche-à-oreille : les compositeurs ont besoin de connaître les voix, afin d'écrire pour elles. Du coup, cela va de fil en aiguille, plus j'en fais, plus on m'appelle pour en faire. J'ai aussi une passion pour les créations et Paris, notamment avec le CNSM et l'IRCAM, m'a permis d'échanger beaucoup avec les créateurs. Je trouve très important en tant qu’artiste de m’engager pour la musique de mon temps.
Raquel Camarinha dans Evil Machines (© DR)
Vous avez également créé la version de chambre de La Passion de Simone de Kaija Saariaho. Pourriez-vous nous parler de votre rencontre avec cette compositrice et la figure de Simone Weil ?
Déjà au Portugal, j’écoutais Kaija Saariaho en boucle. J’étais fascinée. Je ne savais pas encore que j’allais venir à Paris. Une fois arrivée, je pensais la rencontrer un jour et cela s’est fait beaucoup plus vite que je le pensais. Je chantais son cycle Leino Songs aux Archives nationales, quand j’ai vu cette dame et je me suis dit : mais, c’est Kaija Saariaho ! Pour moi, c’était comme une idole et elle venait me remercier après le concert, de manière très sympathique. Plus tard, j’ai rencontré son fils Aleksi Barrière en Belgique par hasard lors d’une master-class sur les créations d’opéra. Nous sommes devenus très amis et il m’a invitée à venir créer la version de chambre de La Passion de Simone qu’on a jouée un peu partout. C’était une expérience musicale extraordinaire. Je ne connaissais pas Simone Weil, j’ai lu ses écrits, sa biographie, j’en ai appris sur sa vie incroyable, son parcours, sa démarche, son investissement.
Vous chantez également le rôle de Justine/Juliette dans La Passion selon Sade de Bussotti au Théâtre de Nîmes, le 23 février 2017 et du 23 au 26 novembre au Théâtre de l'Athénée-Louis-Jouvet (réservations à ce lien). Pouvez-vous nous parler de cette œuvre ?
C’est un projet très important pour moi. Je serai la seule chanteuse sur scène, avec le comédien Eric Houzelot. La partition de Bussotti est particulière : je dirais qu’elle est une partition tableau. Les portées deviennent des dessins (celui d’une femme avec une robe qui se délite et se transforme en notes de musique). C’est donc un défi énorme et une preuve de confiance de la part du metteur en scène Antoine Gindt et du chef Léo Warynski. Les répétitions commencent véritablement à Nîmes le 7 février, tout de suite après l’émission des Victoires de la Musique Classique. Les reprises pour la saison prochaine sont en train d’être fixées à travers la France et un peu au-delà.
Vous avez acquis une belle expérience dans la musique contemporaine, mais vous chantez également de la musique ancienne (Platée de Rameau, par exemple) et vous êtes connue dans les grands rôles mozartiens (Pamina, Susanna, Zerlina) et Haendeliens (Morgana, Bellezza). Comment passez-vous ainsi d'un répertoire à l'autre ?
Paradoxalement, passer du baroque au contemporain n’est pas si compliqué. Je trouve plus difficile de passer de ces deux styles à un répertoire bel cantiste. Souvent, la musique contemporaine demande une voix claire, sans vibrato : proche de la technique vocale baroque. Mais j'aime passer d'un répertoire à l'autre. Quand je fais beaucoup de Mozart, j'aime ensuite de nouveau me plonger dans une création, dialoguer avec un compositeur vivant. Après la musique contemporaine, très exigeante, j'aime beaucoup aussi revenir à une cantate de Bach. De la même manière, j'aime beaucoup passer de l'opéra à la mélodie. La vraie difficulté survient quand on doit faire deux productions différentes en même temps : il faut alors sauter d'une façon de chanter à une autre. Mais les projets s'enrichissent.
Vous chanterez la Passion selon Saint Jean de Bach avec l’Orquestra XXI dirigé par Dinis Sousa au Portugal en avril, est-ce que vous avez souvent l'occasion de retrouver ainsi vos racines ?
Pour moi, passer du temps et chanter au Portugal est toujours très émouvant. Il y a une évidence quand je répète en portugais (une langue que je n'ai pas beaucoup l'occasion de parler le reste de l’année).
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