Stuart Skelton avant son Lohengrin à Paris : « Je travaille l’élégance de mon interprétation »
Stuart Skelton, vous vous apprêtez à chanter le rôle-titre de Lohengrin de Wagner à l’Opéra Bastille : où en êtes-vous dans le processus de création artistique ?
Nous avons fini les répétitions hier soir. Je vais donc maintenant pouvoir profiter de Paris jusqu’à ma première le 2 février. Je ne m’éloignerai pas d’ici-là car mon contrat prévoit que je me tienne prêt à remplacer Jonas Kaufmann si celui-ci ne pouvait assurer une date. J’espère sincèrement que ce ne sera pas utile, mais avec l’épidémie de grippe qui sévit actuellement, le risque n’est pas nul ! En tout cas, Jonas Kaufmann est actuellement en très bonne condition.
Il s’agit d’une mise en scène de Claus Guth : comment la décririez-vous ?
Si le concept de mise en scène n’est pas compliqué, peu de spectateurs seront familiers de l’histoire qui l’a inspirée. Il s’appuie sur une figure allemande du XIXè siècle, Kaspar Hauser. 95% des allemands ignorant qui il est, j’ai peu d’espoir que les français le connaissent. Il s’agit d’un jeune homme abandonné par une famille noble et qui vécut comme un enfant sauvage. Lorsqu’il réapparut à l’âge de 16 ans, il attira la curiosité. Dans cette mise en scène, Lohengrin surgit également de nulle part, attirant la curiosité de par ses origines inconnues. Dans la plupart des productions que j’ai chantées, il est assez clair que Lohengrin est envoyé par Dieu et il est reconnu comme tel : c’est donc assez facile à jouer. Ici, il m’a fallu un peu de temps pour entrer dans ce concept et trouver une nouvelle façon de le composer, de bien comprendre qui il est afin de pouvoir le révéler au public. Une partie de l’aspect mystique de l’opéra disparaît. Lohengrin n’est pas ici le héros invincible décrit par le livret, même s’il réalise des actes nobles et héroïques.
Le cygne est-il conservé par la mise en scène ?
Vous allez devoir venir voir le spectacle pour le savoir : je ne peux pas vous révéler ça !
Lohengrin est l’un des premiers rôles que vous avez chanté dans votre carrière. Que ressentez-vous lorsque vous le retrouvez aujourd’hui ?
En effet. Mon premier rôle wagnérien a été Erik dans le Vaisseau Fantôme, puis Lohengrin est arrivé peu après. J’ai pris le rôle à trente ans : cela fait donc dix-neuf ans qu’il m’accompagne. C’est assez agréable de le retrouver tant il m’est familier. C’est le même sentiment que lorsqu’on ouvre une bouteille de son vin favori : on sait qu’on va y prendre beaucoup de plaisir, quoi qu’il arrive ! J’ai passé la quasi-totalité de mon année 2016 à chanter Tristan [dans Tristan et Isolde de Wagner, ndlr] : ce qui est agréable lorsqu’on revient ensuite à Lohengrin, que je n’avais plus chanté depuis cinq ans, c’est que l’œuvre paraît facile et courte en comparaison ! Je n’avais pas réalisé cela avant le début des répétitions.
Vous sentez-vous proche d’une manière ou d’une autre de ce personnage ?
Je me sens plus proche du personnage de cette production que du Lohengrin habituel, lorsqu’il est présenté dans sa forme idéale, au sommet de la noblesse et de l’héroïsme : même si cela produit généralement de très belles mises en scène dans lesquelles il est agréable de chanter, le personnage est alors moins intéressant à composer. Ne me demandez pas pourquoi, mais je me sens plus à l’aise avec les personnages qui ont déjà été abîmés par la vie lorsque l’opéra débute : Tristan, Otello, Peter Grimes, Canio dans Paillasse, etc. Lohengrin l’est aussi dans cette production, ce qui me rapproche de lui.
Vous partagerez les dates avec Jonas Kaufmann. Avez-vous travaillé ensemble ?
Non, pas vraiment. J’ai débuté les répétitions mi-décembre avec les interprètes de ma distribution. Celle de Jonas Kaufmann a commencé début janvier. Nous n’avons donc pas vraiment répété en même temps, à part une scène de combat d’épée. D’ailleurs, étant donné que nous chantons les mêmes rôles sur le répertoire que nous avons en commun, nous n’avons jamais eu l’occasion de travailler ensemble. Nous travaillons parfois en même temps au même endroit, comme c’est arrivé au Festival d’Edimbourg : nous dormions dans le même hôtel et prenions notre petit-déjeuner ensemble mais nous chantions dans des productions différentes.
Trouvez-vous frustrant ou confortable d’être sur cette production dans l’ombre d’une telle star ?
Il n’y a aucune frustration : il y a de toute façon plus de représentations de ce répertoire dans le monde en un an que Jonas et moi ne pourrons jamais en chanter. Il y a donc de la place pour tout le monde. Et puis Jonas est vraiment un chanteur remarquable et incroyable, mais aussi un excellent collègue et un très bon ami. Et puis j’ai aussi mes moments de lumière, comme l’ouverture de saison du Metropolitan. Si ce n'est pas frustrant, ce n’est pas confortable pour autant car je dois assurer mes représentations, et me tenir prêt à monter sur scène si Jonas était malade, ce qui -encore une fois- n’arrivera pas car il chante divinement bien depuis le début des répétitions.
Pouvez-vous nous dire un mot sur les autres chanteurs de votre distribution ?
L’opéra est un petit monde. Le répertoire wagnérien en est un encore plus restreint : j’ai déjà chanté avec la quasi-totalité des interprètes des deux distributions. Il y a donc toujours une très bonne ambiance entre collègues. Nous nous faisons confiance, que ce soit en termes de préparation ou de jugement, ce qui rend le travail confortable. Tous les gens qui sont là sont d’excellents chanteurs, qui méritent d'être sur l'une des plus grandes scènes au monde.
Pour ceux qui ne vous connaîtraient pas, comment décririez-vous votre voix ?
Je serais bien incapable de décrire ma propre voix ! J’ai été comparé à James King et Jon Vickers. Je ne sais pas si c’est vrai mais ce sont de si beaux compliments que je ne les refuse pas.
Sur quels aspects concentrez-vous la plus grande part de votre attention lorsque vous apprenez un nouveau rôle ?
Je repars toujours du début de la partition (et pas seulement du début de ma partie) de manière à bien comprendre l’architecture de l’opéra et la manière dont mon personnage s’intègre dans l’ensemble de l’œuvre. J’essaie de comprendre ce que le compositeur me demande de faire et pourquoi il me le demande : pourquoi a-t-il écrit cette note sur ce mot ? Une fois que j’ai mon idée sur la manière dont je veux le chanter, commence alors le travail de mémorisation, qui est pour moi la partie la plus longue. Mais si on s’y prend suffisamment en avance, cela vient presque tout seul. Pour Tristan, qui est le seul rôle que j’aie dû apprendre depuis de longues années, je m’y suis pris cinq à six mois à l’avance. Bien sûr, au début, il n’y a que deux sessions de travail par semaine puis le rythme s’accélère, jusqu’à ce que le personnage commence à imprégner mon corps et mon esprit. Je fais attention à ne pas fixer trop profondément l’idée que je me fais du personnage, de manière à pouvoir ensuite m’adapter durant les répétitions pour entrer dans une vision collective, ainsi qu’aux éventuelles contraintes de mise en scène : on ne chante pas pareil si on doit être debout ou allongé, par exemple.
Qu’est-ce qui vous impressionne lorsque vous écoutez d’autres interprètes chanter ?
Ce que je trouve captivant dans l’opéra, quel que soit le répertoire mais plus encore chez Strauss et Wagner, ce sont les chanteurs qui travaillent leur élégance. Longtemps, l’objectif dans le répertoire wagnérien a été d’être le plus puissant. J’ai toujours pensé que ce n’était pas la bonne approche. Wagner peut être une musique très élégante : les chanteurs que j’admire le plus sont ceux qui apportent un élan et un sens de l’élégance à leur chant. C’est le cas de René Pape, Jonas Kaufmann, Martina Serafin, James King en son temps ou encore Ben Heppner, par exemple. Bien sûr, c’est ce vers quoi j’oriente mon travail. Une voix puissante plaque le spectateur au fond de son fauteuil (il mime ce qu’il explique), ce qui est génial. Mais c’est encore mieux s’il est d’abord assis sur l’avant du siège, attentif aux subtilités du chant. Il faut d’abord plonger le public dans la musique et dans l’histoire. Puis, lorsque la musique le requiert, déployer sa pleine puissance, ce qui crée un effet « waouh ». Mais déjà, dans la minute, il faut ramener le spectateur sur l’avant de son siège. Si l’œuvre est interprétée ainsi, le public est si captivé qu’il ne voit pas passer les quatre heures et demie de l’opéra. Que ce soit dans le répertoire wagnérien ou non, cela me secoue réellement.
Stuart Skelton interprète un extrait de Peter Grimes :
Comment travaillez-vous personnellement pour créer cet effet ?
L’élégance n’est pas concrète et peut revêtir différentes choses selon les personnes. Tous les grands compositeurs donnent l’ensemble des informations nécessaires dans le mode d’emploi qu’est la partition. En y étant attentif, chacun y trouve ses propres clés pour composer un personnage intéressant, pour comprendre ses interactions avec les autres personnages et ainsi rendre l’histoire captivante, mais aussi pour révéler la beauté de la musique. Par exemple, je ne chante pas Peter Grimes comme le chantait Philip Langridge, qui est à mon sens l’interprète du rôle le plus bouleversant. Je ne pourrais pas le chanter comme il le faisait, mais j’essaie d’apporter ma vision du personnage et mon sens de l’élégance personnel. Des chanteurs comme Nicolai Gedda tiennent leur élégance à l’attention incroyable qu’ils prêtent à la ligne vocale et à la manière dont la poésie interagit avec elle : comme Strauss le théorise dans Capriccio, le livret et la musique sont si intimement liés qu’il faut travailler leur imbrication pour obtenir un chant élégant. C’est vrai dans tous les répertoires. Le poète et le compositeur sont attendus dans la bibliothèque précisément à la même heure [à la fin de Capriccio, ndlr]. À l’opéra, l’expérience théâtrale et musicale doivent dévoiler l’intrigue d’une manière impérieuse. Notre défi est là : rendre l’histoire aussi captivante que possible pour le public.
Quel extrait de Lohengrin préférez-vous chanter ?
J’aime le chanter de bout en bout, c’est une musique si extraordinaire ! Mais la partie la plus intéressante musicalement selon moi est le duo du début de l’acte II entre Ortrud et Telramund. Ce passage offre un aperçu du travail de composition qu’il nous reste à entendre dans les opéras suivants de Wagner. Globalement, Lohengrin reste proche de l’opéra italien -Wagner était d’ailleurs un grand admirateur de Bellini- et du Grand Opéra français de Meyerbeer et d’Halévy, teinté des prémices d’un langage musical allemand. Lorsque le public a entendu ce passage à l'époque, il aurait pu penser : « Nous n’entendrons plus ce genre de musique pendant quinze ans, mais quand nous l’entendrons de nouveau, ce sera magique ! ».
En revanche, l’air le plus attendu du public est incontestablement le Gralserzählung (l'Histoire du Graal dans l'air "In fernem Land" - Dans un pays lointain), au cours duquel Lohengrin explique ses origines et qu’il a été envoyé par les chevaliers du Graal pour défendre ceux qui ne sont pas en mesure de se défendre par eux-mêmes. La tragédie vient de ce qu’il est obligé de faire cette révélation, bien qu’il ne le souhaite pas. Il sait que dévoiler son secret l’oblige à disparaître : c’est un passage assez triste, sur une musique absolument sublime.
Ressentez-vous une pression particulière quand vient cet air ?
Exactement ! Tout le public attend cet air. Toute l’attention est portée sur Lohengrin. Plus rien ne se passe sur la scène et même la musique semble être en suspens, puis les cordes reprennent la phrase musicale entendue au début de l’opéra, quatre heures plus tôt. Souvent chez Wagner, la partie la plus complexe à chanter intervient à la fin de l’opéra, tandis que Puccini place Che gelida manina dans les quinze premières minutes [dans La Bohème, ndlr], de même que Verdi pour le Celeste Aïda de Radames [dans Aïda, ndlr]. Dans ces cas, la pression est évacuée dès le début de l’opéra. Dans Lohengrin, on nous demande le Gralserzählung après quatre heures d’efforts. On a envie de répondre : « Vous êtes sérieux, on n’aurait pas pu le demander plus tôt ?! »
À titre personnel, je ressens également de la pression lors de ma première entrée, pour Nun Sei Bedankt, Mein Lieber Schwan. Vocalement, cela doit venir d’ailleurs, comme si ça n’était pas de ce monde. C’est un passage très exposé, car là aussi, tout s’arrête autour. Ça doit être très doux et en même temps très très beau. Ceci étant, tous les rôles dans tous les répertoires présentent leurs défis : je serais d’ailleurs bien incapable de chanter du Bellini ou du Rossini !
Vous avez pris le rôle de Tristan l’an dernier : en quoi est-ce que cela nourrit vos autres rôles wagnériens et en particulier Lohengrin ?
Tristan est probablement le dernier grand rôle que je prendrai dans ma carrière. Ce rôle est très libérateur dans le sens où il permet de prendre conscience qu’aucun autre rôle n’est vraiment effrayant. Après avoir chanté Tristan vingt-quatre fois en un an, je n’aurais plus à me demander comment faire pour me ménager jusqu’au bout de l’opéra : j’arrive maintenant au Gralserzählung en bien meilleure forme qu’avant, la voix presque fraîche. Car au moment où j’arrive à ce passage dans Lohengrin, l’acte III de Tristan et Isolde ne fait que commencer : il reste alors une heure, dont quarante-cinq minutes où il n’y a presque que Tristan qui hurle à la mort et devient fou.
Stuart Skelton et Heidi Melton chantent Tristan et Isolde :
J’essaie toujours de chanter, quel que soit le rôle, comme si j’allais annoncer ma retraite à la fin de la représentation. Les gens paient un prix conséquent pour être dans la salle : il faut leur donner une très bonne raison de payer ce prix. Dès lors, la moindre des choses est de leur donner tout ce que l’on a, autant vocalement que scéniquement et physiquement. Nous avons ensuite trois jours pour nous remettre en état et recommencer.
Cette année, vous chanterez trois de vos rôles majeurs : Laca dans Jenufa de Janacek, Siegmund dans La Walkyrie de Wagner et le rôle-titre de Peter Grimes de Britten. Qu’aimez-vous tant dans ces rôles ?
Ce sont des rôles amusants à chanter. Ce sont trois rôles très différents, ce qui est intéressant. Siegmund est le héros traditionnel brandissant l’épée, bien qu’il débute l’opéra en fuite, ne comprenant pas pourquoi tout le monde trouve mal ce qu’il pense faire bien. Laca est aussi très abîmé, mais il obtient une rédemption à la fin de l’opéra. Quant à Peter Grimes (les yeux embués), c’est celui qui m’est le plus cher. J’ai parfois l’impression de le porter comme une seconde peau. Il est dur mais il a été bon avec moi. Nous avons marché ensemble pendant longtemps : j’ai pris le rôle il y a près de quinze ans. Il compte beaucoup pour moi. C’est aussi un personnage qui débute l’opéra détruit. Il passe son temps à essayer de cacher sa blessure. Mais plus il essaie de la dissimuler, plus elle devient visible, jusqu’au moment où le volcan ne peut plus être retenu et où il entre en éruption. C’est un rôle très difficile car je ne peux pas le rendre crédible sans penser que tout y est vrai. Il faut donc traverser avec lui toutes les épreuves à chaque représentation : il est difficile de s’en remettre le lendemain. Mais c’est aussi cela qui rend ces performances si captivantes pour le public. En fait, la vraie raison pour laquelle je reviens souvent à ces rôles, c’est que je les aime : j’aime ces personnages, j’aime ces musiques et j’aime l’implication qu’ils demandent. Je suis vraiment privilégié de pouvoir chanter ces œuvres magnifiques aussi souvent que je le fais.
Vous disiez que Tristan serait probablement votre dernier rôle majeur : n’y a-t-il pas d’autres rôles qui vous font envie, chez Britten, par exemple ?
Si : Captain Vere dans Billy Budd ! J’y ai souvent pensé au cours de ma carrière et je crois que j’arrive à l’âge où cela pourrait devenir pertinent. Je pense en effet qu’il vaut mieux avoir un chanteur de l’âge du vieux Captain que l’on voit au début, qui se rajeunisse pour sa version jeune du flashback de l’histoire, plutôt que l’inverse qui me semble moins pertinent vocalement.
Dans les autres répertoires, et en dehors de nouvelles créations, je ne vois pas vraiment de nouveaux rôles qui me correspondent. En revanche, il y a des rôles que j’ai peu faits et que j’aimerais faire plus, comme Hermann dans la Dame de Pique de Tchaikovski, Canio dans Paillasse de Leoncavallo ou Samson dans Samson et Dalila de Saint-Saëns. J’aimerais chanter encore quatre fois Le Vaisseau fantôme : j’aurais alors atteint les cent représentations et je pourrai sans regret dire adieu au personnage. Dans le répertoire verdien, à part Otello, il n’y a pas vraiment de rôle fait pour moi. Dans le répertoire français, il pourrait y avoir Hérodiade de Massenet, mais ça n’est jamais donné.
Vous donnez souvent des représentations de Lieder : que trouvez-vous dans ce répertoire que vous n’avez pas déjà dans l’opéra ?
Le répertoire de récital, que ce soit le Lied ou la mélodie, est beaucoup plus effrayant pour l’interprète que l’opéra car il n’y a rien entre lui et le public. Il n’y a que le chanteur, le piano, les spectateurs et la poésie. D’un autre côté, vous êtes proche de votre public, vous pouvez le voir, ce qui n’est pas le cas à l’opéra car l’éclairage cache le public. L’autre avantage c’est que ce répertoire donne accès à des musiques de compositeurs fantastiques qui n’ont pas écrit pour l’opéra, comme Hugo Wolf ou Gustav Mahler : c’est là notre seule chance de chanter leur magnifique musique. Pour Poulenc, c’est un peu pareil : sur ses deux opéras qui sont joués régulièrement, les rôles masculins sont faméliques. C’est un répertoire qui est passionnant à explorer, et d’une telle poésie ! De même qu’il est agréable d’alterner du confit de canard ou des saucisses de Morteau aux lentilles avec des mets plus délicats, j’apprécie d’alterner opéra et récital : c’est mon régime à moi. Cela m’aide à préserver ma santé vocale. Par ailleurs, cela force le chanteur à se concentrer sur l’intensité de l’interprétation : il faut faire passer beaucoup de choses avec une grande économie de moyens. Cela est ensuite très utile dans le travail à l’opéra.
À quoi votre prochaine saison ressemblera-t-elle ?
Elle va être très chargée, ce qui est appréciable ! Tout n’a pas été annoncé donc il m’est difficile de trop en dévoiler, mais il y aura principalement dans les deux prochaines années des Fidelio, des Peter Grimes, des Otello et des Walkyries. Mais mon interprétation de ces rôles va changer, parce que ma physiologie évolue : je ne peux plus chanter Peter Grimes en 2017 comme je le chantais en 2009. Je sautais sur une table depuis le sol : mes genoux ne me le permettraient plus aujourd’hui. J’aurai également Tristan au menu, mais pas avant un an : je veux me laisser un an sans ce rôle après chaque année où je l’aurai chanté. Il s’agit en effet d’un rôle chanté par peu de ténors : lorsque votre performance est acceptable, vous devenez très sollicité pour le faire, et il peut y avoir la tentation de ne plus chanter que cela. Mais il me semble que ma voix se fatiguerait très vite si je faisais cela : fatalement, il faut un jour payer le prix lorsqu’on interprète ce rôle, mais je préfère le payer le plus tard possible. Avec le recul, je pense d’ailleurs en avoir trop fait l’an dernier. Et puis, cela m’empêcherait de retrouver les autres rôles que j’aime tant chanter. Je continuerai bien sûr également à chanter en récital le Chant de la Terre de Mahler. Il y aura aussi une création, dans deux ans car ces projets prennent du temps. Il y aura dix solistes, un grand orchestre et un chœur.
Quels sont les rôles d’autres tessitures, que vous ne chanterez probablement jamais, mais qui vous font envie ?
Il y en a deux. J’aurais aimé imaginer chanter Rigoletto : le rôle-titre, pas le Duc. Ce serait intéressant ! Il y a aussi Gurnemanz dans Parsifal : c’est le plus beau rôle de basse jamais écrit. Je donnerais cher pour pouvoir le chanter un jour !
Stuart Skelton (© Sim Canetty-Clarke)
À l’inverse, quels sont les rôles qui seraient dans votre voix mais que vous ne souhaitez pas chanter ?
Il y a deux rôles que je me suis promis de ne pas chanter, même s’ils sont dans mon registre. Le premier est Tannhäuser, qui est comparable à Lohengrin mais bien plus difficile à chanter : je ne veux pas me brûler les ailes. Le second est Siegfried [dans Siegfried et dans Le Crépuscule des dieux, les deux derniers épisodes du Ring de Wagner, ndlr] : lorsque j’entends le son parfait d’un Siegfried dans ma tête, cela ne correspond pas à ma voix. Je ne pense simplement pas être en mesure de faire un bon travail sur ce rôle. Il y a tant de chanteurs qui chantent ce rôle à merveille : je ne veux pas être celui qui le chante moyennement.
Ceci étant, j’ai évité Tristan pendant très longtemps, et j’ai malgré tout fini par prendre le rôle. C’était mon Everest. J’avais peur de ne plus avoir de rêve une fois parvenu au sommet de cet Everest. La prise de rôle s’est décidée grâce à Sir Simon Rattle : je ne pouvais pas lui dire non. Et les conditions étaient les bonnes : il s’agissait d’une nouvelle production, ce qui permettait d’avoir une longue période de répétition. Et les deux sopranos étaient formidables. Je ne regrette pas un seul instant de l’avoir fait.
Auriez-vous aimé aborder le répertoire comique ?
J’ai chanté Piquillo dans la Périchole quand j’étais étudiant : j’y ai pris un plaisir inimaginable ! J’adorerais pouvoir chanter Falstaff : ce serait une expérience hilarante. C’est un rôle intrinsèquement drôle, tout comme Alfred dans La Chauve-Souris. Je ne suis certainement pas la personne à laquelle on penserait en premier pour un rôle comique, mais cela m’amuserait beaucoup. Je n’ai aucune idée de la qualité de ce que je pourrais faire. Mais après tout, les plus grands comiques sont souvent très tristes intérieurement.
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