Nadine Sierra : « J’ai toujours été comme un papillon »
Nadine Sierra, nous avons dénombré 58 dates de spectacle dans votre saison, ce qui est énorme : comment vous préparez-vous pour donner le meilleur de vous-même dans un calendrier si chargé ?
D’abord en ne regardant pas la réalité en face : vous m’apprenez ce chiffre et je ne me rendais pas compte que mon programme était si chargé. Je cherche à vivre le plus normalement possible et j’éloigne tout ce qui peut me mettre la pression. Je prends donc les événements comme ils viennent. Ensuite, je me prépare du mieux que je peux avec mes professeurs et les coachs. C’est la passion pour mon travail qui me tire vers le haut.
Vous avez de nombreuses prises de rôles programmées cette saison : comment vous y préparez-vous ?
Je suis très entourée. Je connais mon professeur et mon coach depuis quatorze ans : je les ai rencontrés très jeune [elle a 28 ans, ndlr]. J’étais encore une enfant. Je chantais déjà quand je les ai rencontrés en Floride. Je recherchais alors un entrainement intense spécialisé dans l’opéra. Quand je les ai connus, j’ai immédiatement su que nous formerions une équipe pour la vie. Ils m’entourent vraiment pour chacune de mes prises de rôles ou pour mes débuts dans de nouvelles maisons d’opéra. Mon coach, Kamal Khan, va par exemple venir à Paris depuis l’Afrique du Sud pour me préparer à ma prochaine prise de rôle. Nous voyageons souvent autour du monde pour se rencontrer et travailler ensemble. Il est important pour moi d’arriver aux répétitions aussi préparée que possible.
Vous chanterez au mois de janvier dans la Flûte enchantée à l'Opéra Bastille. Vous connaissez déjà le rôle de Pamina : quelle est votre vision de cette jeune femme ?
Pamina est comme toutes les adolescentes. Ma propre adolescence n’est pas si éloignée, je me souviens de cette période de grands changements hormonaux où l’on doit apprendre ce que c’est que d’être une femme. Pamina en est là. Dans la Flûte enchantée, il y a beaucoup de sexisme : c’est intéressant de voir comme les hommes et les femmes sont perçus. Sarastro dit par exemple à Pamina que le seul moyen pour elle d’avoir une belle vie est d’avoir un homme à ses côtés. En ce qui me concerne, je trouve Pamina bien plus forte que Tamino. Elle a un mental de conquérante, et c’est elle qui est aux côtés de Tamino à la fin de l’opéra pour l’aider à aller au bout de ses épreuves, à traverser le feu et l’eau. Je ne crois pas qu’il y parviendrait sans elle. Je la vois comme une jeune héroïne.
Vous chanterez aux côtés de certains des jeunes artistes français les plus en vue, comme Stanislas de Barbeyrac, Sabine Devieilhe ou encore Florian Sempey : les connaissez-vous ?
Je ne les connais pas personnellement mais je connais leur travail. Celui de Sabine Devieilhe, en particulier : j’aime beaucoup sa voix et ses aigus. J’ai vu un enregistrement de son interprétation d’Olympia [dans les Contes d’Hoffmann d’Offenbach, ndlr]. Je l’ai regardé en boucle en me disant que chanter avec elle serait un beau moment. C’est un honneur de chanter avec de tels artistes, surtout dans leur propre pays. J’espère que nous parviendrons à créer une ambiance d’équipe comme celle qui nous a unis sur Eliogabalo.
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Sierra et Fagioli dans Eliogabalo (© Agathe Poupeney)
Vous reviendrez par deux fois en France en fin de saison pour chanter le rôle de Gilda dans Rigoletto, d’abord à l’Opéra Bastille, puis au Théâtre antique d’Orange. Qu’est-ce qui vous attache à ce personnage que vous avez souvent chanté ?
C’est le personnage que j’ai le plus chanté jusqu’à présent. Je m’identifie fortement à cette jeune femme. Enfant, j’avais un père possessif. Mes parents cherchaient à tout contrôler. J’ai donc ressenti la même envie de me rebeller que Gilda, pour me construire mes propres expériences de la vie. Parfois, cela c’est bien passé, mais parfois j’ai dû apprendre dans les larmes. Comme Pamina, elle est très jeune et doit se confronter de manière très soudaine à la dureté de la vie réelle. Elle doit prendre des décisions importantes et elle finit par décider de se faire tuer à la place de l’homme qu’elle aime. Elle ne le fait pas que pour le Duc, d’ailleurs. Peu de gens le perçoivent, mais elle le fait aussi pour son père. Pour sauver son âme et lui éviter l’enfer. Elle est très religieuse : aller à l’église est d’ailleurs la seule activité qui lui est autorisée. La morale qu’elle énonce à la fin est superbe : on ne répare pas le mal par le mal. Du mal ne peut pas naître le bien. Et elle paie un prix élevé pour transmettre ce message. Elle agit de manière très intelligente, pour une personne aussi jeune et inexpérimentée.
Avez-vous vu la mise en scène de Claus Guth ?
Oui, je l’ai vue. J’étais à la Première la saison dernière, puis j’y suis retournée trois fois. Je voulais comprendre cette vision particulière de l’œuvre. Dans cette mise en scène, Rigoletto est âgé et il se replonge dans ses souvenirs.
Qu’en avez-vous pensé ?
C’est un point de vue intéressant. Plus on vieillit, et plus on est amené à regarder en arrière, à jeter un regard critique sur ses actions. Il y a des choses qu’on aimerait pouvoir changer : pour certaines, on ne peut rien changer, il faut alors parvenir à faire son deuil. Lui voit à quel point la perte de sa fille l’a détruit : il peut se poser la question de savoir si ses décisions passées étaient les bonnes. Le public peut voir très clairement qu’elles ne l’étaient pas. Ses actions ont empiré sa situation. J’ai trouvé cette mise en scène très émouvante et plus triste que dans les autres productions. J’ai beaucoup aimé la vidéo projetée de Gilda enfant, courant dans un champ, qui s’enchaîne avec son apparition sur scène, complètement détruite. On ressent une grande empathie car on comprend que même quand nos enfants grandissent, ils restent des enfants à nos yeux. La fonction protectrice du parent ne s’éteint jamais, quoi qu’il arrive.
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À Orange, vous chanterez en extérieur : comment appréhendez-vous cela ?
Je suis attirée par les défis
Ce sera la première fois que je chanterai en extérieur. Je m’attends à une expérience assez amusante. Ce sera forcément différent de ce que j’ai l’habitude de faire, mais je suis toujours attirée par les défis. Je suis contente de participer à ce festival qui est très apprécié du public.
Leo Nucci, l’un des plus grands Rigoletto actuels, chantera le rôle-titre : qu’aimeriez-vous apprendre de lui ?
J’ai déjà chanté Rigoletto avec Leo lorsque j’étais encore étudiante. Dès notre rencontre, une relation père-fille s’est instaurée. Il m’avait déjà beaucoup appris sur la relation entre Gilda et son père. Leo n’est pas un simple chanteur : il pourrait tout à fait devenir metteur en scène s’il choisissait un jour d’arrêter de chanter. Il m’a vraiment inspiré de belles idées scéniques, plus qu’aucun metteur en scène. La réaction du public avait été très forte : je me souviens m’être dit que j’aimerais rechanter ce rôle avec lui dans une autre mise en scène afin de poursuivre ce travail. J’ai donc bien sûr hâte de le retrouver à Orange. C’est une légende de l’opéra, mais il reste très simple et accessible. J’aimerais être comme lui à son âge !
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Vous aurez passé une grande partie de votre saison en France : en sera-t-il de même les saisons suivantes ?
J’ai en effet beaucoup de projets en France pour les prochaines saisons. Je ne peux rien dire pour l’instant, si ce n’est qu’il n’y a pas de prise de rôle programmée pour l’instant. J’aime la France. Ma mère est portugaise et mon père est américain. Paris a toujours été la ville dans laquelle j’ai le plus aimé voyager. C’est une ville si cosmopolite, ce qui est une caractéristique qu’elle partage avec New-York, mon autre ville favorite. La culture et la gastronomie y sont très riches. J’ai toujours été comme un papillon : je veux explorer plein de choses différentes.
Nadine Sierra (© Merri Cyr)
Quelles seront selon vous les prochaines étapes importantes de votre carrière ?
Je dirais que la plus importante sera la signature d’un contrat avec un label. Je suis déjà en discussion avec plusieurs d’entre eux pour trouver la solution la plus adaptée à mes attentes. Il s’agit là de quelque chose de très important pour tout chanteur d’opéra car c'est un moyen de laisser un héritage durable. J’ai travaillé si dur depuis si longtemps : j’ai commencé à dix ans, et j’étais déjà obsédée par le travail ! Laisser un enregistrement de ce travail est donc très important pour moi.
Vous avez été découverte à 15 ans dans un programme de télé-crochet, From the top : que recherchiez-vous alors ?
Ce programme promeut tout type de musiciens qui ont pour objectif de devenir professionnels, sont passionnés et talentueux. J’étais moi-même passionnée et je travaillais dur pour en faire mon métier. Lorsque j’avais six ans, j’avais un cours de chant par semaine. Ma mère s’asseyait à côté de moi pendant les cours. Elle m’a dit un jour que si je voulais devenir professionnelle, il fallait que je m’entraîne tous les jours. C’est ce que j’ai fait. Je n’avais pas le temps de voir des amis ou d’aller au cinéma : j’étais très sérieuse. Je me sentais différente de mes camarades de classe et pas toujours acceptée. Durant ce concours, les autres participants me ressemblaient, avaient mon âge et la même passion : cela m’a donné envie d’y participer.
Plus tard, vous avez intégré l’Adler Fellowship Program de San Francisco. Quels souvenirs gardez-vous de cette période ?
J’y suis entrée directement après la fin de mes études à New York. J’ai été intégrée dans cette compagnie : c’était le meilleur stage au monde. C’était difficile, mais j’y ai rencontré les plus grands chefs, les plus grands metteurs en scène, les plus grands chanteurs. Cela m’a permis de mieux comprendre le monde dans lequel je mettais les pieds. En effet, dans les écoles de chant, les enseignements sont concentrés sur la voix, l’expression corporelle, la comédie. Mais on n’y apprend rien sur les aspects business ou sur le mode de vie des chanteurs, qui peut être très solitaire. Vous devez constamment prendre soin de vous. Si cela ne correspond pas à votre personnalité, à votre mentalité, il vaut mieux le savoir tôt pour décider en conscience de poursuivre ou non dans cette voie. Tout cela est enseigné à l’Adler Fellowship Program, et cela m’a été particulièrement utile.
Vous avez fait vos débuts à Paris l’an dernier dans Don Giovanni à Bastille : vous êtes-vous sentie attendue ?
Tout à fait ! J’avais l’impression d’être dans un film. C’était la première fois que je mettais les pieds à Paris : il y avait donc beaucoup de choses nouvelles en peu de temps. L’Opéra Bastille est réputé dans le monde entier comme l’un des meilleurs opéras. C’était un rêve qui se réalisait. J’ai eu la même impression lors de mes premières représentations à l’Opéra Garnier. Ce sont des lieux tellement chargés d’histoire !
Don Giovanni de Haneke avec Sierra et Rado (© C. Pele - OnP)
Quels sont vos rêves à présent ?
Je voudrais déjà avoir la chance de chanter dans toutes les plus grandes maisons au monde. Ainsi, je vais bientôt aller à Munich. J’adorerais chanter à Chicago et à Vienne. J’ai déjà chanté à l’Opéra d’Etat de Berlin, mais l’opéra était en travaux, j’ai donc chanté hors-les-murs : il faudra que j’y retourne ! Enfin, j’aimerais rechanter à la Scala.
En termes de rôles, de quoi rêvez-vous ?
Un jour, j’aimerais chanter Traviata. Plus tard encore, j’aimerais chanter Mimi dans La Bohème. C’est mon rêve, mais ma voix n’est pas adaptée aujourd’hui. C’est le premier opéra que j’ai vu lorsque j’étais enfant. C’est probablement lui qui m’a donné envie de faire ce métier. Il y a quelque chose chez ce personnage qui parle à mon âme. Cela me fascinerait de l’interpréter.
Y a-t-il des artistes avec lesquels vous rêvez de travailler ?
J’adorerais travailler avec Mariella Devia. Comme Leo Nucci, c’est un monstre de la nature : elle peut tout chanter. Ils ont quelque chose en commun. Ils sont tous deux italiens et ont à peu près le même âge. Leurs voix et leur technique sont toujours parfaites : j’aimerais apprendre d’elle comme j’ai appris de Leo. Leur longévité parmi les artistes les plus brillants de la planète les rend vraiment spéciaux.
Quels seront vos principaux projets au cours des prochaines saisons ?
Je suis très excitée à l’idée de prendre le rôle Ilia dans Idoménée au Metropolitan, qui est une maison d’opéra où j’aime beaucoup chanter. Ce qui rend ce projet spécial à mes yeux est aussi que James Levine est annoncé à la direction. J’espère vraiment que j’aurai cette opportunité de travailler avec lui. Ce sera probablement cette fois ou jamais. Travailler avec un tel artiste à 28 ans est inespéré. C’est un compatriote dont je suis le travail depuis que je suis une enfant. Je considérerais une collaboration avec lui comme un accomplissement. Par ailleurs, Idoménée est son opéra de Mozart favori : son apport sur ce rôle en particulier serait inestimable.
"Je veux vivre", extrait de Roméo et Juliette de Gounod, par Nadine Sierra :
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