Eugénie Joneau en route pour Operalia 2023 : "se faire confiance"
Eugénie Joneau, comment avez-vous décidé de candidater à Operalia ?
J'étais libre sur cette période, je me suis dit pourquoi pas ! Avoir été sélectionnée est déjà une fierté et il s'agira certainement du dernier concours dans ma carrière donc autant finir en beauté [rires].
Je ne dirais pas que c'est un passage obligé mais je me suis toujours sentie à l'aise dans les auditions et les concours : c'est un one-shot donc il faut se faire confiance, et cela permet de se tester. C'est un exercice très intéressant et qui m'a appris pas mal de choses sur moi-même, sur la manière de gérer la pression.
Vous avez décroché un Prix au prestigieux concours Neue Stimmen l'année dernière, comment avez-vous vécu cette expérience et comment abordez-vous les concours en général ?
Neue Stimmen était un concours particulier : nous sommes tous ensemble pendant toute une semaine, ensemble pour les repas, pour des séances de photos collectives... C'était très agréable, et, j'ai pu aborder ce concours comme j'aborde les autres : je reste naturelle et moi-même.
Que faites-vous pour que les concours se passent au mieux ?
Pour préparer un concours, le choix du répertoire est bien entendu important : il faut choisir un répertoire sûr, où on sait que ça va aller quoi qu'il se passe. Je choisis donc souvent l'Air des Lettres de Charlotte, qui est un peu comme mon "tube". Je peux le chanter même si je ne me sens pas au mieux le jour J. Il faut un répertoire que l’on maîtrise bien, pour ne pas se rajouter du stress et être dans les meilleures conditions.
Le plus important pour moi, outre bien entendu le travail en amont, ce sont les répétitions avec le pianiste ou le chef d'orchestre. Il faut trouver une complicité, car c'est avec lui ou elle que se fait la musique et car c'est la personne qui connaît l'orchestre. Si le lien est établi avec le chef, il l'est avec l'orchestre, et il l'est avec le jury et le public.
D'ailleurs les Concours sont très importants en termes de carrière et de visibilité mais aussi énormément pour les contacts qu'ils permettent de nouer avec les jurés.
Vous avez remporté la Victoire de la Musique Classique dans la Catégorie Révélation Artiste Lyrique l'année dernière. Vous y attendiez-vous et aviez-vous préparé un discours ?
Pas du tout. Bon, on se prépare toujours aux deux cas de figure dans ces occasions, mais si je ne l'avais pas emporté j'aurais été très contente pour l'une de mes deux collègues avec lesquelles je m'entendais très bien. Et pour le discours comme pour tout je préfère la spontanéité du moment. D'autant qu'on ne peut que dire merci dans ces cas, et savourer son bonheur. J'ai aussi eu comme une vague d'émotion et de réalité qui est tombée sur moi, d'être ainsi reconnue.
Lors de la soirée des Victoires, vous avez chanté un air de "Las Hijas del Zebedeo", zarzuela (opéra-comique espagnol) de Ruperto Chapí. Comment avez-vous choisi ce morceau ?
Au moment où nous faisions des propositions pour la soirée des Victoires, je préparais le Concours Viñas, durant lequel j'ai chanté ce morceau (qui m'a d'ailleurs permis d'y décrocher un prix). Dans ma liste de propositions pour les Victoires, j'ai donc ajouté un petit p.s. pour mon agent, évoquant le fait que je connaissais aussi ce morceau,... en passant. Et c'est au final celui qu'ils ont retenu.
C'est un style que je découvrais à l'occasion de ce concours, c'est vraiment un répertoire plaisant. À chaque répétition, à chaque concert, on sent un immense engouement : le public est ravi, les artistes aussi. C'est une musique qui porte beaucoup les gens, c'est très vivifiant de voir combien elle est toujours au goût du jour.
Et bien entendu, je compte sur ce morceau porte-bonheur pour la catégorie Zarzuela dans la compétition Operalia. Techniquement, ce répertoire est très organique, j'aime y chanter toute cette expression de sentiments, riches et différents : je m'y retrouve bien pour cela.
Cette Victoire a-t-elle eu un impact flagrant sur votre carrière ?
Les deux saisons qui ont suivi ont continué d'être marquées par le post-Covid, ce qui a sans doute amoindri l'effet Victoires (même si je ne manquais pas de travail). Mais les effets bénéfiques se font sentir dès la saison 2024-2025 et les suivantes, qui se sont bien remplies pour moi.
Avant ces Victoires, vous étiez restée deux années à l'Opéra Studio du Rhin. Est-ce la bonne durée pour vous ?
Pour un opéra studio, deux ans c'est bien et cela permet de partir ensuite chanter ailleurs, développer sa carrière, trouver un agent. L'Opéra national du Rhin restera toujours la première maison où j'ai pu faire mes premiers pas professionnels sur scène. Je leur en suis reconnaissante et leur fidélité est précieuse : j'y ai chanté La Flûte enchantée en décembre dernier, j'y retourne au printemps prochain pour Guercœur.
C'est toujours un bonheur d'y retourner et c'est très précieux de connaître les lieux : on y est plus à l'aise, c'est moins de stress quand on connaît les équipes et les murs. D'autant que pour La Flûte enchantée, nous chantions les trois dames avec Julie Goussot qui avait été avec moi à l'Opéra Studio et Liying Yang qui faisait alors partie de l'Opéra Studio.
C'était donc aussi l'occasion d'un échange sur cette expérience et d'une transmission.
Qu'est-ce qui vous intéresse dans le Guercœur d'Albéric Magnard que l'Opéra National du Rhin remet à l'affiche en avril/mai 2024 ?
J'ai pu découvrir cette très belle œuvre grâce à cette proposition et je trouve merveilleux que cette musique soit remise sur la scène, en l'occurrence par l'Opéra du Rhin. Elle fait partie de ces œuvres qui méritent d'être redécouvertes. J'aime beaucoup l'orchestration, un savant mélange dans l'expression des sentiments. C'est une musique qui touche directement et profondément, on peut vraiment s'y retrouver.
Étiez-vous ou êtes-vous intéressée par l'idée de rejoindre une troupe ?
C'est très bien pour les jeunes chanteurs et pour ceux qui aiment ce fonctionnement, d'enchaîner les rôles en restant attachée à une maison. Mais pour ma part j'aime bien bouger, j'ai ce désir de développer mes activités en France et à l'international.
Qu'est-ce qui vous a menée à participer à une Master-Classe de Philippe Jaroussky à Montpellier ?
J'étais à l'Opéra Studio du Rhin, donc je n'allais pas m'engager pour un an dans son Académie, alors le format master-class était parfait. Philippe Jaroussky est un artiste et une personne incroyable, il m'a apporté des conseils et des idées (en l'occurrence pour "Ô ma lyre immortelle" de Sapho) : de garder cette ligne. Ils ont beaucoup de chance à l'Académie de l'avoir en professeur et à Montpellier de l'avoir en résidence.
Vous avez fait partie de la promotion 2022 soutenue par Génération Opéra (ex Centre Français de Promotion Lyrique). Êtes-vous encore en lien avec eux après cette année de soutien et de concerts ?
En effet, il y a un suivi et des liens noués. Ils nous ont fait de très belles vidéos (très utiles pour notre communication). J'ai eu l'opportunité d'aller en Allemagne et de rencontrer de jeunes chanteurs. Ils sont impliqués dans la promotion des jeunes artistes, ce qui est très chouette (et je reçois de temps en temps des messages de félicitations pour mes rôles de la part de membres de Génération Opéra, et de son président Jérôme Gay).
Vous faisiez partie cet été de l'Académie du Festival d'Aix-en-Provence, mais vous n'avez pas pu en profiter pleinement. Pouvez-vous nous raconter cela ?
J'étais hyper-heureuse de faire partie de cette Académie d'Aix. Dès que j'ai commencé à chanter vers 20 ans, cela faisait toujours partie de mes rêves que de chanter dans cette ville mythique pour l'opéra qu'est Aix-en-Provence. Et quand on y est, on savoure, d'autant que le cadre où nous chantions est magnifique (et sonne bien) : la cour de l'Hôtel Maynier d'Oppède.
Les académies c'est hyper chouette car on rencontre des gens adorables, c'est un cocon où on tisse des liens (en production, on a moins le temps de lier des amitiés). Et au niveau technique, c'est l'occasion de travailler avec des gens qu'on n'aurait pas rencontrés sinon. J'ai eu beaucoup de coaching, avec Darrell Babidge et Adam Nielsen (tous deux américains), c'était très intéressant de connaître la technique d'un autre pays.
J'ai fait la première semaine avec le premier concert sur les grands airs d'opéra, mais malheureusement je suis tombée malade sur les deux semaines restantes et je n'ai donc pas pu faire le reste de l'aventure.
En même temps que le début de cette Académie, vous avez pu chanter à L'Olympia, dans le cadre du Festival de Paris. Comment était cette expérience ?
Je peux dire que j'aurais chanté une fois dans ma vie à L'Olympia [rires] ! C'était incroyable, déjà pour la salle et pour le fait de chanter avec Pretty Yende que j'ai tant admirée. L'Orchestre plein de jeunesse des Frivolités Parisiennes rajoutait aussi à la très bonne ambiance. C'était la première fois que je chantais l’air I am easily assimilated du Candide de Bernstein avec orchestre, c'était un grand moment d'amusement.
Vous avez donné un récital au Festival Radio France Occitanie Montpellier avec Florent Lattuga à l'été 2022. Comment avez-vous rencontré ce pianiste et construit votre programme ?
J'avais candidaté pour faire une audition à l'Opéra de Fribourg en Suisse, c'est lui qui accompagnait. Nous avons eu un coup de cœur musical réciproque, nous nous sommes donc écrit et nous avons continué de travailler ensemble : des fois la vie met ainsi des personnes sur notre chemin. Le programme pour Montpellier était constitué de pièces que nous travaillions ensemble, mais le thème du Festival étant alors porté sur la musique anglaise, ils m'ont demandé si je pouvais mettre des œuvres en lien dans le programme. Je suis tombée sur ce cycle Cabaret songs de Benjamin Britten que j'ai adoré : il est très drôle, on peut dire beaucoup de choses.
Nous aimerions ainsi continuer de faire des récitals ensemble, dès que l'opportunité se présentera. Nous avons beaucoup de plaisir à jouer ensemble, à monter des récitals. C'était aussi une très belle expérience de Festival et le public a répondu présent ! C'est impressionnant de voir la ferveur du public sur ce Festival. La salle était pleine, à midi ! C'est l'un des plus beaux récitals que j'ai pu faire.
Comment avez-vous vécu l'expérience Musiques en fête, concert retransmis en direct des Chorégies d'Orange auquel vous avez participé également à l'été 2022 ?
Cela fait partie des rêves que j'ai depuis toute petite ! D'autant que ma maman regardait les émissions toutes les années, ma grand-mère aussi, qui adorait l'opéra. M'y retrouver c'était, wow, un rêve éveillé ! C'était une expérience magique. C'est Alain Duault qui m’a demandé d’y participer après les Victoires. C’est toute une soirée qui reste gravée en mémoire et j'espère pouvoir y retourner.
Les filles de Cadix de Delibes que j'ai chanté était une de leurs propositions et ce style très espagnol me parle bien alors le choix s'est vite fait. Je n'ai aucune origine espagnole mais je suis de Saint-Rémy-de-Provence, donc du Sud (et ce répertoire ibérique résonne beaucoup pour moi, sans doute car j'ai été bercée avec Carmen).
Justement vous avez incarné votre première Carmen cet été au Festival du Toûno en Suisse, comment avez-vous vécu cette expérience ?
C'était très stressant, car toute mezzo a envie d'aborder ce rôle un jour, et d'être à sa hauteur. Je voulais vraiment la chanter, et avant mes trente ans. J'ai réussi et j'en suis très fière (et j'espère la chanter à nouveau bientôt). C'est un rôle qui résonne beaucoup et traverse le temps en restant toujours d'actualité. On trouve toujours une vérité en elle.
J'ai vraiment hésité, j'ai eu peur que ce soit trop tôt, pour l'avoir vraiment dans le corps et la voix. J'ai tout de même plongé, car c'était dans ce festival où j'étais en confiance. Je suis ravie d'avoir pris cette décision. Maintenant que le rôle est dans mon répertoire, j'aimerais le refaire (c'est un message subliminal).
Beaucoup de stéréotypes sont rattachés à Carmen, mais l'incarner m'a confirmé combien -au contraire- Carmen représente toute femme (qui cherche à s'assumer et à s'épanouir : c'est vraiment ce que j'ai trouvé en elle). Carmen était presque une thérapie. Elle m'a confortée dans le rapport à soi, en tant que femme, à la sensualité également.
En juillet dernier vous avez chanté dans deux visions différentes du Requiem de Mozart, comment les avez-vous vécues différemment aussi ?
C'étaient deux expériences très riches et en effet très différentes. D'abord au Festival Saoû chante Mozart avec Philippe Bernold, un chef incroyable. C'était la première fois que je chantais ce Requiem. La partie de mezzo n'est certes pas très exigeante, mais tout de même. Et c'était donc pour moi un mois de juillet Requiem de Mozart car j'ai ensuite enchaîné pour l'Opéra de Toulon avec la version Bartabas donnée à la scène nationale Châteauvallon-Liberté (petite ville du Sud - où il faisait très chaud). Le climat était d'autant plus estival, d'autant plus original avec les chevaux de Bartabas qui sont au cœur de ce spectacle : ce sont des conditions différentes de nos habitudes du concert (nous étions alignés en surplomb, mais c'était aussi l'occasion de profiter du spectacle). C'était hallucinant de voir ces chevaux, de prêter sa voix à un tel spectacle qui mêle les arts ainsi. C'est beau et ce devrait être fait plus souvent.
Vous chantiez également un Requiem en mai dernier, celui de Verdi à Montpellier. Comment s'est passé le travail avec le chef Michael Schønwandt ?
C'était incroyable, j'ai eu la chance de tomber sur un chef en or. C'était la première fois qu'il dirigeait cette œuvre, c'était donc une première pour nous deux ! Le Requiem de Verdi est une œuvre que je voulais chanter, depuis que j'ai commencé à chanter. C'est une très belle musique et Verdi sied beaucoup à ma voix. J'espère en chanter beaucoup durant ma carrière. Ma voix est en train de me mener de plus en plus vers lui. La ligne de mezzo du Requiem m'y prépare aussi bien : elle est intense et très présente. C'est une très belle opportunité que m'a donnée l'Opéra de Montpellier.
Quels seront les moments forts de votre saison, outre Guercœur ?
Je vais avoir le plaisir de chanter à nouveau du tchèque : je serai Jezibaba, la sorcière dans Rusalka à Nice en janvier prochain, avec des metteurs en scène que je connais : le collectif Clarac-Deloeuil avec qui nous avions fait La Mort à Venise à l'Opéra National du Rhin.
Peu avant, je vais avoir l'occasion de faire mes débuts en Adalgisa, avec le maestro Muti à Milan et Ravenne. C'est incroyable de travailler avec une telle légende, qui a travaillé avec les plus grands, qui a une connaissance encyclopédique du répertoire. J'avais auditionné, pour ce rôle, devant la femme du maestro et le Directeur du Festival de Ravenna, c'est ainsi qu'ils m'ont recommandée.
Comment choisissez-vous et acceptez-vous les concerts qui vous sont proposés ?
Je me renseigne, je regarde la partition, ce qui est la base pour être sûre de ne pas faire de bêtise au niveau du choix et ensuite j'en parle avec mon professeur de chant ainsi que mon agent, Dominique Riber. J'ai beaucoup de chance de les avoir à mes côtés.
Il faut que le projet me parle vraiment (un projet comme celui de Bartabas ou de Guercœur m'intéressent immédiatement, et sans parler de la fidélité à la maison qu'est l'Opéra du Rhin : elle restera toujours pour moi la première maison où j'ai chanté et c'est une scène très prestigieuse, sans parler de ses merveilleuses villes).
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