Juliette Mey, au service de Mozart et Rossini
Juliette Mey, qui êtes-vous ?
Je suis une mezzo-soprano colorature toulousaine. J’étudie au CNSM à Paris où j’ai passé ma Licence en juin dernier, après avoir étudié le violoncelle et le chant à Toulouse. Je me reconnais particulièrement dans le répertoire Italien vocalisant, même si j’aime aussi beaucoup explorer d’autres répertoires.
Comment décririez-vous votre voix ?
Je me sens très bien dans le répertoire vocalisant italien, mais je prends aussi beaucoup de plaisir à explorer les parties plus allemandes de ma voix. Ce sont deux répertoires assez opposés. J’aime essayer d’équilibrer au maximum mon instrument pour garder une longueur dans la voix. Je recherche la liberté du son et du souffle : c’est, je pense, ce qui touche le plus l’auditeur.
À quel moment avez-vous compris que vous vouliez faire du chant votre métier ?
Il y a eu différentes étapes. J’ai commencé la musique par le violoncelle à l’âge de six ans. Puis, un an après, j’ai fait de la chorale : c’était un premier niveau de découverte avant de rejoindre la Maîtrise de Toulouse à 11 ans. J’ai passé sept ans là-bas. Je chantais sept heures par semaine : ça a été une expérience formidable. J’ai commencé à avoir quelques solos, puis de plus en plus fréquemment. En 2015, en parallèle de la maîtrise, j’ai pris des cours de chant lyrique avec Léa Pasquel à Toulouse. Je ne voulais pas en faire mon métier : cela ne me semblait pas possible d’en vivre. Lors de ma première audition de la classe de chant où j’ai chanté "Voi che sapete", j’ai eu une sorte de révélation et j’ai commencé à envisager d’en faire mon métier.
Vous avez commencé la musique par le violoncelle : que gardez-vous aujourd’hui de cet apprentissage ?
C’est une vraie richesse pour le chant car c’est un instrument assez proche de la voix, pour le phrasé et la musicalité notamment. Quand j’ai commencé le chant, dès la maîtrise, j’ai tout de suite été fascinée par l’absence d’instrument : je pouvais traduire musicalement ce que souhaitais sans obstacle. Ça a été très libérateur.
Que vous a apporté le Conservatoire ?
Cela fait deux ans que je suis au Conservatoire. Au-delà des professeurs, bien entendu, il y a une grande richesse dans les camarades qu’on y rencontre et qui seront nos futurs collègues. Même si les projets qui s’ajoutent au Conservatoire n’aident pas, j’essaie de créer du lien avec un maximum d’élèves. Nous avons des cours qui nous préparent à la scène, ce qui est très utile, même si, ayant eu plusieurs expériences professionnelles, j’ai aussi déjà beaucoup appris sur le terrain. J’ai été un peu plus vite que le cursus habituel (même si je ne suis pas la seule) et j’ai ainsi pu avoir ces deux expériences très complémentaires.
Qu’y avez-vous appris sur vous ?
J’ai appris beaucoup sur la gestion du travail personnel parce que le Conservatoire demande beaucoup d’investissement, et qu’il faut aussi gérer les projets à côté. Je me connais mieux, et ai appris à gérer la pression. Ce ne sont pas des années très faciles, surtout au début, quand on arrive seule à Paris depuis la province.
Comptez-vous poursuivre au CNSM jusqu’au Master ?
Il y a eu des discussions parce que j’aurai l’an prochain plusieurs engagements qui me prendront beaucoup de temps. Nous avons finalement considéré avec la Direction du Conservatoire que cela était faisable. Je souhaitais poursuivre ce cursus car c’est un accompagnement important. C’est un luxe de pouvoir préparer des rôles, de bénéficier d’un accompagnement dans ma professionnalisation.
Vous avez chanté le rôle-titre de la version participative de La Cenerentola à Rouen et au TCE : qu’est-ce que cette expérience vous a apporté ?
C’est une expérience parfaite pour débuter. C’est un premier rôle, mais dans une version réduite sur laquelle il y a moins à chanter. Et puis c’est l’un de mes rôles favoris, que je travaille depuis longtemps, mais que je n’aurais jamais pensé chanter si tôt. J’ai appris énormément sur le fonctionnement d’une production professionnelle, sur le travail de création de la mise en scène. Je n’avais jamais fait de théâtre en scène et nous avions là des dialogues parlés en français. Ajouté au travail que nous menons au Conservatoire, cela m’a permis de progresser dans ce domaine. J’ai adoré cette expérience.
Vous avez chanté lors d’un Apér’Opéra à Avignon : comment cela s’est-il fait ?
J’ai eu cette opportunité grâce au Concours d’Avignon. C’était le premier concours que je faisais. J’y ai été au départ pour me préparer à l’audition de Génération Opéra. J’y suis donc allée avec beaucoup de naïveté, sans me mettre de pression, et j’y ai obtenu trois prix. Je ne connaissais rien, ni du milieu ni des personnes. Ça a été une très belle surprise et ça m’a confortée dans l’idée que je pouvais en faire mon métier.
Est-ce à cette occasion que vous avez trouvé votre agent, Réda Sidi-Boumedine de l’agence RSB ?
En effet, je l’ai rencontré suite au Concours d’Avignon, puis nous avons discuté pendant quelques mois, j’ai passé une audition et nous avons signé. C’était très étrange au début car c’est arrivé très vite et je ne m’attendais pas à avoir un agent si tôt. C’est une forme de reconnaissance et un grand soutien de pouvoir discuter avec des gens qui m’accompagnent en douceur et sont à l’écoute, même lorsque je refuse des propositions.
Vous êtes membre de la Promotion 2022 de Génération Opéra : qu’est-ce que cela vous a apporté ?
D’abord, ils m’ont apporté de la visibilité, notamment grâce à la production de vidéos professionnelles : j’ai eu très peu de temps pour enregistrer, mais cela m’a appris à être efficace. Nous avons aussi été mis en avant via les réseaux sociaux de Génération Opéra. Ils proposent également des concerts. Je n’en ai pas encore fait, mais ça devrait venir. Cela m’a aussi permis de rencontrer d’autres chanteurs : Antoine Foulon, qui était sur Une Cenerentola, est aussi dans cette promotion, tout comme Cyrielle Ndjiki Nya que j’ai ensuite croisée à l’Académie d’Aix-en-Provence.
Quel souvenir gardez-vous de l’audition Génération Opéra, devant un public de professionnels ?
Quand j’y repense aujourd’hui, je me rends compte que j’étais très innocente : je n’avais absolument pas conscience de chanter devant autant de directions d’institutions. Aujourd’hui, je serais beaucoup plus consciente des enjeux que cela représente de faire une audition unique pour toutes les maisons de France. Cette audition a été une très belle expérience. Même si c’était au Studio, il y avait quelque chose d’incroyable à chanter dans les murs de l’Opéra Bastille.
Vous avez également participé au Concours Reine Elisabeth, où vous avez obtenu un sixième prix : comment l’avez-vous vécu ?
C’était un marathon : le concours est étalé sur deux semaines. J’y ai appris beaucoup sur ma gestion du stress, comment préserver ma voix afin d’être au maximum de mes capacités au moment des épreuves. Ce fut également très enrichissant de chanter avec l’Orchestre de La Monnaie, sous la direction d’Alain Altinoglu. Quand on fait ce genre de concours et qu’on arrive en finale, on espère bien sûr le remporter, mais j’ai tellement appris qu’avec le recul, je n’éprouve aucune déception.
Tout a été très vite pour vous : est-ce un risque ?
C’est quelque chose qui m’a toujours fait peur. J’ai envie de faire une longue carrière, ce qui nécessite de faire des débuts en douceur. Je choisis mes rôles après beaucoup de réflexion. Il peut être difficile de refuser des engagements, parfois dans de prestigieuses maisons, mais qui mettraient ma voix à l’épreuve par la largeur des rôles. Je privilégie pour l’instant le baroque, qui correspond bien à la jeunesse de ma voix, qui n’a pas fini sa croissance. Je ne chanterais par exemple pas la version longue de La Cenerentola tout de suite. J’en aurais très envie mais ce ne serait pas une bonne idée.
Quelles sont les rencontres les plus marquantes de votre début de carrière ?
J’ai rencontré le pianiste Paul Coispeau à l’Académie d’Aix-en-Provence, mais j’ai aussi retrouvé Pierre Venissac au Conservatoire de Paris, un pianiste qui était avec moi à Toulouse : nous avons commencé quasiment en même temps en primaire et nous faisons désormais des concerts de musique de chambre ensemble. J’ai aussi retrouvé des amis de très longue date qui ont formé le Quatuor Varen, qui commence à se produire et avec lequel je réfléchis à de futures collaborations.
Vous chanterez Junon dans Platée de Rameau à Versailles la saison prochaine : qu’en attendez-vous ?
C’est tout à fait le type de projet que j’attends aujourd’hui : ce n’est pas un très gros rôle, et un répertoire baroque. Ce sera une version concert qui donnera lieu à un enregistrement.
Vous êtes également distribuée dans Alceste de Lully au TCE et à Versailles : comment cela s’est-il fait ?
J’ai été contactée directement par Stéphane Fuget [Directeur de l’ensemble Les Épopées, ndlr]. Il fallait parvenir à imbriquer les emplois du temps car je serai en même temps sur la production de Fairy Queen, avec le Jardin des Voix qui me prendra aussi beaucoup de temps.
Quels seront vos autres projets ?
La saison prochaine, je chanterai également Isaura dans Tancrède de Rossini à Rouen en mars, et L’Amour et Le Valet dans Le Couronnement de Poppée à Toulon en avril. La saison suivante reste à construire.
Avez-vous réfléchi à une stratégie de carrière ?
L’idée est de commencer avec des rôles qui ne brusquent pas l’instrument, même si je peux décider de chanter des rôles qui me sortent de ma zone de confort (je vais par exemple chanter en soprano pour le Jardin des Voix). L’avantage du baroque, c’est que je n’ai pas de pression de volume : il est plus facile de passer un continuo qu’un orchestre symphonique. Le volume viendra avec l’âge. Dans un répertoire plus tardif, les rôles de pages me semblent accessibles, et je prends beaucoup de plaisir à les chanter.
À plus long terme, quelle est votre ambition ?
J’aimerais beaucoup chanter Mozart et Rossini : je me sens extrêmement bien dans ce répertoire, et je sens qu’il correspond bien à ma voix. Bien sûr, je ne suis pas encore prête à assumer un premier rôle dans du Rossini, mais c’est ce vers quoi je voudrais aller. À plus long terme encore, selon l’évolution de ma voix, j’aimerais peut-être un jour aller vers du Richard Strauss. Mais je veux garder la surprise des rôles que m’offrira l’évolution de ma voix. Parmi les lieux qui me font rêver, il y a d’abord le Théâtre du Capitole, parce que c’est chez moi et c’est là que j’ai vu mes premiers opéras. Bien sûr l’Opéra de Paris est un rêve également : j’ai déjà chanté à Garnier en octobre, dans le cadre de ballet Mayerling de Kenneth MacMillan. Ce fut une expérience incroyable : je pense avec beaucoup d’envie à la prochaine fois que je chanterai dans ce théâtre, même si j’ai conscience qu’il faut du temps pour arriver sur ce type de scène. Grâce au Jardin des Voix, je vais chanter à La Scala et aux États-Unis : c’est une chance incroyable. Cela ouvre la porte à des rêves de grandes scènes.
Avez-vous des rôles-modèles ?
La mezzo américaine Jeanne Piland, qui a beaucoup chanté en Allemagne, est la professeure de ma professeure : c’est une personne que j’admire beaucoup. J’ai hérité d’une grande partie de sa technique et je lui suis vraiment reconnaissante. Sa carrière m’inspire. Bien sûr, Cecilia Bartoli m’inspire aussi beaucoup : on m’a d’ailleurs souvent comparée à elle, même si je ne prétends pas être la nouvelle Bartoli. Je m’inspire de l’énergie et de la générosité qu’elle communique quand elle chante. Je m’intéresse aussi à Frederica von Stade, qui a un répertoire proche du mien : Chérubin, Cenerentola, etc. J’écoute fréquemment ses versions. Christa Ludwig aussi évidemment, j’ai découvert son livre quand j’étais toute jeune chanteuse et cela a été une grande source d’inspiration.
Si vous deviez tout miser sur un rôle pour lancer votre carrière, lequel serait-il ?
Pour lancer ma carrière, le rôle de Cherubino peut être le rôle idéal. Il correspond à ma voix, et c’est en chantant ce rôle que j’ai décidé de devenir chanteuse professionnelle. J’ai beaucoup d’affection pour Cherubino, je le chante depuis toujours et je commence à le connaître.
[Mise à jour du 18 février 2024] Vous êtes nommée dans la Catégorie Révélation Artiste lyrique aux Victoires de la Musique Classique cette année, que représente cette nomination pour vous ?
Je suis très heureuse d’être nommée dans cette catégorie, il y a beaucoup de grands artistes français qui sont passés par cette nomination, c’est un véritable honneur d’être nommée à mon tour.
Où étiez-vous lorsque vous avez appris votre nomination ?
Je cuisinais chez moi quand mon agent m’a appelée pour m’annoncer la nouvelle.
Qu’en attendez-vous ?
Indéniablement les Victoires apportent aux artistes de la médiatisation, j’attends de cette opportunité de faire découvrir/connaître la musique que j’aime à un nouveau public, et qu’après nous avoir écoutés à travers un écran, ce public ait envie de revenir voir les trois révélations sur scène. J’aimerais donner envie à des gens de venir à l’opéra.
Qu’allez-vous chanter lors de la cérémonie et comment avez-vous fait ce choix ?
Je chanterai "Non più mestà" de La Cenerentola de Rossini. C’est un air que j’adore, qui déborde de joie, je pense qu’il est idéal pour une occasion comme celle-ci. Mon objectif est d’apporter un peu de bonheur au public avec cet air.
Retrouvez nos interviews de Lauranne Oliva et de Léo Vermot-Desroches également nommés dans la catégorie Révélation Lyrique aux Victoires de la Musique Classique 2024