Daniele Callegari, nouveau chef principal et "maestro concertatore" à Nice
Daniele Callegari, vous êtes présenté comme un chef symphonique et lyrique, et cette saison à Nice vous dirigez l'Orchestre dans des programmes instrumentaux et lyriques, ces deux pans de votre activité sont-ils indissociables pour vous ?
Depuis le début de ma carrière, mon activité a vraiment toujours été partagée à moitié-moitié entre symphonique et lyrique. Je n'aime donc pas qu'on me nomme chef d'opéra ou chef symphonique : un chef d'orchestre est un chef d'orchestre, complet, depuis Toscanini dans l'école de direction italienne. L'envie de diriger du répertoire symphonique reste toujours aussi importante pour moi. Mais comme je suis italien, on m'appelle beaucoup pour faire de l'opéra et en particulier de l'opéra italien. Les théâtres d'opéras français m'ont toutefois demandé de diriger aussi d'autres répertoires.
Bien entendu, le fait pour moi d'avoir dirigé 21 opéras de Verdi (et de m'approcher ainsi de l'intégralité des 27 opéras formant son catalogue lyrique), c'est comme un rêve qui s'accomplit. Mon autre grand amour est aussi, bien entendu, Puccini. J'ai commencé ma carrière avec Donizetti et Rossini mais mon cœur est attaché à la période romantique, mais également au répertoire après Puccini, moins connu : Leoncavallo, Mascagni, Wolf-Ferrari, Zandonai, Casella, Malipiero, etc.
Quels sont vos objectifs en tant que Chef Principal de l'Orchestre Philharmonique de Nice
Avec le Directeur de l'Opéra, Bertrand Rossi, nous sommes pleinement d'accord pour que mon travail et mon mandat visent à apporter quelque chose en plus : améliorer encore la qualité de l'Orchestre, qui est le moteur du théâtre, sans lequel rien n'est possible. J'ai déjà participé (et je serai là souvent et longtemps pour participer) à de nombreux concours afin de recruter de nouveaux musiciens pour Nice, et nous avons trouvé de très bons éléments. Le contact avec l'Orchestre est excellent, dans la disponibilité, la discipline, la qualité du travail : c'est magnifique. Je suis là pour apporter beaucoup d'énergie à l'institution et j'aimerais vraiment que nous portions l'Orchestre jusqu'à la labellisation nationale.
Je cherche à établir une complicité avec l'orchestre : je pense que l'orchestre doit être fidélisé avec son chef. C'est trop facile (et cela ne m'intéresse pas) de seulement venir, diriger, repartir. La saison prochaine, je dirigerai un opéra initialement prévu durant la pandémie qui a été reporté, et un autre titre que j'ai choisi, avec tous les solistes (en cherchant bien entendu à mettre en avant les chanteurs français, ce qui met en évidence l'activité du théâtre pour soutenir ses interprètes nationaux et revendiquer son label national). Je dirigerai également cinq concerts symphoniques (dont la désormais traditionnelle Réunion de famille qui nous donne le plaisir de présenter la saison, ainsi que le concert du Nouvel An).
Vous avez déjà démontré une grande diversité dans les choix des programmes que vous avez dirigés cette saison à Nice, est-ce que votre mandat poursuivra dans cette direction ?
Absolument. Je ne veux pas être trop traditionnel dans mes choix et j'adore sortir des sentiers battus. Le grand répertoire de Beethoven ou de Brahms est déjà défendu depuis longtemps, très régulièrement et par les plus grands orchestres du monde. Notre orchestre a besoin d'apporter du renouveau, et d'élargir le répertoire. Notre prochain concert (les 29 et 30 avril) réunit ainsi les Quatre derniers Lieder de Richard Strauss et la Symphonie n°1 d'Anton Bruckner. Ce sera également l'occasion d'inviter la soprano Annette Dasch : j'ai conseillé l'Opéra et travaillé pour convier ainsi des interprètes de tout premier plan qui apportent quelque chose en plus à l'Orchestre, à l'Opéra, à la Ville (exactement comme nous l'avons fait en conviant Sophie Koch et comme nous le ferons à l'avenir).
Quelles sont les qualités de l'Orchestre Philharmonique de Nice et quels sont les enjeux pour qu'il devienne Orchestre national ?
Les qualités de cet Orchestre sont bien entendu musicales avec de très bons interprètes (et nous allons encore améliorer la qualité par les recrutements et le travail). L'Orchestre fonctionne très bien, et leurs qualités sont aussi et avant tout humaines. De fait, je cherche à être un chef mais avant tout un musicien de l'Orchestre : à construire un esprit commun. Je m'appuie pour ce faire sur mon propre parcours : j'ai appris les percussions puis la contrebasse et j'ai rejoint dès l'âge de 22 ans l'Orchestre de La Scala où j'ai appris en jouant pendant 12 années sous la direction des plus grands chefs (cela permet ainsi de comprendre les enjeux des deux côtés du pupitre).
Le potentiel artistique est très présent à Nice, reste donc la question du choix et du soutien politique national pour la labellisation : il faut que le dossier soit entendu en haut-lieu, qu'il mette en avant les qualités de cette maison et qu'on nous permette de renforcer encore le soutien et les moyens dont nous disposons. L'Orchestre de l'Opéra de Paris est bien entendu "national" pour son niveau mais parce qu'il est à Paris et qu'il a d'immenses moyens : ce sont deux orchestres réunis en un. Idem pour les Chœurs (avec 112 titulaires), alors qu'à Nice nous avons une cinquantaine de choristes dans la maison. Il nous faut aussi les moyens de nous développer, d'inviter de grands solistes et de grands chefs.
Est-ce que le monde de la musique et de l'opéra est encore empêtré dans les crises (sanitaires et politiques) récentes ?
Nous sentons que le moment est venu de tourner la page, nous le voudrions (c'est bien plus avancé en France qu'en Italie où il faut encore mettre le masque) mais nous avons encore eu des changements à opérer à l'Opéra de Nice sur les programmes et les distributions. C'est ainsi le cas pour le prochain opéra, Macbeth : les impossibilités de voyager depuis la Russie et le temps encore nécessaire pour se remettre du Covid font que nous avons dû changer d'interprètes pour Macbeth [Levente Molnár remplacé par Dalibor Jenis, ndlr] et Lady Macbeth [Larisa Andreeva remplacée par Silvia Dalla Benetta, ndlr] : nous les avons remplacés par des artistes extraordinaires avec lesquels j'ai déjà travaillé).
Macbeth de Verdi sera la première production lyrique que vous dirigez à l'Opéra de Nice (du 20 au 26 mai), quels sont pour vous les enjeux musicaux de cet opus ?
La qualité indispensable pour la musique de Verdi est la parola scenica : c'est ce qu'apporteront les solistes, l'Orchestre et les Chœurs à cette partition, pour en souligner le livret et toutes les dimensions sonores. La partition de Macbeth est emplie de musique dans le texte, nombre de situations sont des dialogues théâtraux chantés, avec d'ailleurs une très grande quantité d'indications sur la partition. Près de la moitié de l'opéra doit être chanté mezza voce. Tous mes amis artistes composeront ainsi la scène théâtrale, chaque musicien sera acteur. Macbeth nous permettra donc ainsi et d'emblée de mettre en avant les qualités de l'orchestre et des chœurs.
Vous dirigez donc Macbeth à l'Opéra de Nice en mai, mais vous emmenez aussi ensuite la production à anthéa, Antipolis Théâtre d'Antibes les 8 et 10 juin, puis vous dirigerez le même Orchestre niçois aux Chorégies d'Orange pour La Gioconda de Ponchielli le 6 août. Comment allez-vous adapter le travail et le résultat à ces trois acoustiques si différentes ?
Il y a deux temps et niveaux de travail pour un chef d'orchestre : la lecture de l'opéra (que nous faisons ici à La Diacosmie de Nice) pour mettre en place la partition sur le plan technique, tout en anticipant et préparant le second temps, lorsque nous allons sur place pour adapter le travail à l'acoustique du lieu en nous installant tous dans le juste rapport et la bonne écoute, avec le plateau et l'espace.
Vous savez, le chef d'orchestre est nommé "maestro" mais en fait, la formulation complète de la fonction est "maestro concertatore e direttore d'orchestra". Même en italien toutefois, le terme concertatore est oublié alors qu'il rappelle justement combien le chef d'orchestre a pour responsabilité de trouver le résultat sonore correspondant à l'acoustique. C'est le travail "concertant", pour que toute la musique et les musiciens et les auditeurs puissent ainsi se "concerter", qu'il y ait non seulement la balance entre le plateau et la fosse mais l'esprit de dialogue : que la fosse soutienne le plateau au service de la salle. Le terme pourrait aussi être traduit par "concertation" y compris avec les références au dialogue humain et social entre les forces vives d'une maison artistique.
Chaque théâtre est un espace différent et a son acoustique, à laquelle il faut adapter l'essence même de la partition : mais c'est mon métier. Je ne suis pas préoccupé et je peux déjà témoigner de combien l'Orchestre sonne bien à l'Opéra de Nice sur le plateau et depuis le podium. Pour Antibes, il faudra aussi adapter les dimensions de l'orchestre pour la fosse mais je ne suis pas inquiet.
En vue des Chorégies, nous avons d'ores et déjà planifié beaucoup de répétitions avec l'Orchestre à Nice pour cet opus rare et complexe, et je suis très enthousiaste : La Gioconda est l'opéra que j'aime le plus (aussi parce que j'ai fait mes débuts au Metropolitan Opera House de New York avec La Gioconda). Les Chorégies sont un endroit magnifique et j'ai beaucoup de belles expériences dans les théâtres de plein air (j'ai dirigé durant 11 saisons à Macerata). Ce sera aussi l'occasion de retrouver de grands amis, parmi les chanteurs (Saioa Hernández a fait ses débuts en Gioconda avec moi à Piacenza, comme Francesco Meli d'ailleurs), avec le metteur en scène et Directeur Jean-Louis Grinda également, avec mon grand ami Stefano Visconti à la direction de chœur. C'est très important de travailler avec des gens que vous estimez beaucoup : la production d'un opéra est une lourde tâche mais le spectacle laisse ainsi au final un sentiment d'accomplissement et de bonheur partagé.
Retrouvez également notre interview de Bertrand Rossi, Directeur Réformateur à l'Opéra de Nice