L'Opéra dans un stade de baseball pour reprendre à Tulsa (USA)
L'Opéra a déjà repris en plein air mais avec le public protégé dans son propre habitacle grâce au système du Drive-in à Berlin (et il en fera de même prochainement en Angleterre). Les grandes stars lyriques avaient également rendez-vous Place du Plébiscite à Naples pour fêter l'intronisation de Stéphane Lissner comme nouveau Surintendant du San Carlo. En remontant du Sud vers le Nord, c'est dans un hippodrome que Rome a donné rendez-vous aux mélomanes, tandis qu'à Bologne c'est dans la grande salle de basket-ball (arène couverte) que l'art lyrique -et chorégraphique- fera sa rentrée.
Outre-Atlantique, la situation sanitaire et culturelle est encore plus catastrophique (le retard dans les décisions politiques se combinant avec la précarité des situations économiques). Mais le pays dispose d'infrastructures exceptionnelles : puisque les USA sont parsemés de terrains sportifs et de compagnies lyriques, c'est un stade de baseball qu'investira l'Opéra de Tulsa (deuxième ville d'Oklahoma dans le Centre-Sud du Pays). L'œuvre choisie est Rigoletto (comme à Rome et à Salon-de-Provence d'ailleurs) : l'opus de Verdi d'après Victor Hugo étant probablement choisi parce que l'intrigue impose de déchirantes distances sociales (entre le bouffon bossu et les vils courtisans) et affectives (la séparation de Rigoletto avec sa fille Gilda sera aussi brutale que son trop grand rapprochement avec le duc de Mantoue).
L'équipe de baseball des "Tulsa Drillers" (drillers faisant référence aux foreurs de pétrole qui font la richesse de la région) prêtera donc son terrain à l'art lyrique le 9 octobre 2020 pour le premier spectacle en direct et avec public de la saison locale (et certainement l'un des tout premiers du continent). Les battes de baseball céderont la place à la baguette du chef d'orchestre Steven White qui fera donc ses débuts maison sur une petite colline (pas celle sacrée des Wagnériens à Bayreuth mais celle sacrée par les fans de sports : celle d'où le pitcher lance les balles). Steven White a également fait ses débuts à l'Opéra de San Diego avec Rigoletto (en février 2019) et il a dirigé Verdi au Metropolitan Opera de New York (La Traviata par Zeffirelli avec Angela Gheorghiu et Thomas Hampson en 2010, puis par Willy Decker avec Natalie Dessay et Dmitri Hvorostovsky en 2012). La mise en scène originalement prévue à la même date pour le théâtre (Arts Center de Tulsa) sera adaptée par James Robinson en exploitant pleinement le terrain de baseball : en effet, les interprètes seront disposés aux différentes bases et aux places habituelles occupées en match par les joueurs de baseball (reste à savoir quel sera le résultat acoustique amplifié). L'institution espère d'ailleurs que les fans de ce sport et de l'équipe locale viendront à ce spectacle comme pour un match à domicile. D'autant que Gilda sera incarnée par une enfant du pays, la soprano Sarah Coburn, native de l'Oklahoma. Joshua Wheeker sera le duc (après sa prise du rôle l'été dernier à l'Opéra de Saint-Louis). En Sparafucile, la basse habituée du Met Morris Robinson, son collègue de tessiture Kevin Thompson en Monterone, et pour Maddalena Allegra De Vita. Les rôles de Matteo Borsa, Marullo et du Comte Ceprano sont confiés aux artistes résidents Chris Mosz, Andrew René et Elliott Wulff. Enfin le rôle-titre sera campé par Todd Thomas, qui cherchera à marquer un nouveau home-run dans sa riche carrière américaine. Le Directeur artistique du Tulsa Opera, Tobias Picker, a réduit la partition pour qu'elle tienne en 1h30 sans entracte, avec un ensemble instrumental (quatuor à cordes, contrebasse et piano).
Cette solution permet à l'Opéra de maintenir sa jauge tout en respectant les distances recommandées : le Performing Arts Center accueille en temps normal jusqu'à 2.365 spectateurs (sans distanciation), Tulsa pourra en accueillir 2.700 distanciés. La taille du stade permet en effet de condamner un rang de siège sur deux et même 3 sièges latéralement entre chaque individu ou groupe. Le public se désinfectera (gratuitement) les mains et devra conserver le masque. Les interprètes et personnels seront auscultés pour détecter les symptômes au début de chaque journée de travail. Ils devront rester espacés de 6 pieds (environ 1,83 mètre) et même 25 pieds (7,6 mètres) pour les chanteurs : eux seuls auront droit d’ôter leurs masques, pour chanter en répétition et durant le concert. Chacun devra s'habiller et se préparer dans sa propre chambre d'hôtel.
Comme à l'issue de notre concert du 14 juillet (qui s'est tenu cette année sans public), le spectacle sera suivi par un feu d’artifice. Les places coûteront 25$, 15$ pour les étudiants et 50$ pour une famille de cinq. Le reste de la saison est pour l'instant maintenu dans le théâtre avec Orphée et Eurydice de Gluck le 6 février 2021, suivi par Emmeline de Tobias Picker les 30 avril et 2 mai (remplaçant son nouvel opus Awakenings qui est repoussé à la saison 2021-2022).
Pendant ce temps en France, la représentation de Carmen au Stade de France ayant été prévue pour une pleine jauge le 19 septembre 2020 a été reportée au 18 juin 2022 et l'art lyrique attend encore ses initiatives. Le théâtre parlé a déjà pu en bénéficier : Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès a ainsi été repris par le Théâtre 14 dans le Stade Didot à proximité.