Les Tessitures à l'Opéra (2/6) voix masculines dans la terminologie italienne
Première partie : les tessitures féminines, la terminologie italienne
Deuxième partie : les tessitures masculines, la terminologie italienne
Troisième partie : les tessitures féminines, la terminologie allemande
Quatrième partie : les tessitures masculines, la terminologie allemande
Cinquième partie : les tessitures selon la terminologie baroque française
Sixième partie : les tessitures par antonomase
Tenore leggero o di grazia : Tito Schipa
Il s'agit d'un ténor léger et "gracieux", son timbre lyrique et son élasticité vocale le rendent capable de parcourir les passages exigeants dans les cimes de son diapason et de rendre les lignes expressives du grand répertoire d'opéra italien (comme Afredo de La Traviata par exemple).
La mélodie qui figure parmi les plus célèbres de l'histoire de l'art lyrique : "Una furtiva lagrima" de L’Élixir d'amour de Donizetti est ici chanté par un des plus grands "ténors de grâce" Tito Schipa. Vers la fin du deuxième acte, Nemorino a aperçu une larme dans les yeux d'Adina et comprend qu'elle l'aime. Adina s'approche et lui annonce qu'elle a racheté son engagement militaire, et lui demande de rester. Nemorino lui dit préférer mourir en soldat, puisqu'il n'est pas aimé. Adina lui dévoile alors son amour.
Tenore lirico spinto o lirico drammatico : Plácido Domingo
Comme la soprano lyrique "spinto", son homologue ténor est un chanteur au timbre clair mais qui sait, dans une certaine mesure, projeter sa voix avec du poids dramatique. Ce piment vocal "spinto" se rapporte donc à l'ampleur additionnelle que ce type de voix exhibe (en comparaison surtout avec un ténor lyrique tout court).
Plácido Domingo entonne ici l'air de Cavaradossi "E lucevan le stelle" dans Tosca, sa lettre d'adieu qu'il écrit pendant qu'il attend dans la cellule sa peine de mort par fusillade.
Tenore drammatico o di forza : Lauritz Melchior
Ténor "de force" est un chanteur qualifié pour les plus grandes prouesses vocales à l'opéra. Il est pourvu d'un volume sonore assez considérable, son timbre étant barytonnant. Il équivaut au Heldentenor (ténor héroïque) dans la terminologie allemande.
Un des plus grands ténors wagnériens fut l'artiste danois Lauritz Melchior que voici présenté avec son enregistrement du "Winterstürme" au premier acte de La Walkyrie. Siegmund et Sieglinde se reconnaissent comme frère et sœur jumeaux, fils et fille du borgne Wälse, et comme amants et époux (« Winterstürme wichen dem Wonnemond »). Siegmund retire l’épée du frêne et la nomme Notung, c’est-à-dire Détresse. Les deux amants s’étreignent passionnément, décidés à fuir ensemble avant l’aube.
Baritenore : Anthony Rolfe Johnson
L'appellation "baryténor" vient du XIXe siècle pour désigner principalement les chanteurs des opéras rossiniens. C'est une voix polyvalente qui possède les qualités de deux registres : un baryton avec les aigus larges ou bien/et un ténor au registre bas agrandi. Or, c'est sa tessiture centrale qui est majoritairement exploitée. Si les personnages qui lui sont attribués représentent souvent les gens de la basse société, il peut aussi être un dieu comme en témoigne l'exemple ci-dessous.
Un des rares baryténors de nos jours est le chanteur britannique Anthony Rolfe Johnson. Il interprète l'air de Jupiter de l'oratorio Semele de Haendel. Dans l'acte II, Semele réclame l’immortalité auprès du dieu Jupiter. Les amours et les zéphyrs accourent suite à sa demande. Jupiter annonce à son amante qu’il a fait chercher Ino sa sœur pour qu’elle ne soit plus seule. Il lui fait également miroiter les plaisir divins qu’il est à même de lui apporter malgré sa condition de mortelle ("Where'er you walk"Où que tu marches).
Tenore contraltino : Luigi Ottolini
Ce type vocal est hautement spécialisé et rare. Sa spécificité tient à ses notes très aiguës sans employer la voix de tête (falsetto). Son usage commence et se développe avec les opéras de Rossini, qui depuis son arrivée en France, en pénurie de castrats, écrit les rôles dans la tradition des haute-contres, en élargissant la frontière supérieure de l'étendue habituelle d'un ténor.
Le ténor contraltiste Luigi Ottolini se fit remarquer, entre autres, dans le rôle d'Arnold (Guillaume Tell de Rossini). Au quatrième (et dernier) acte, Arnold souhaite se venger de l'arrestation de Guillaume Tell par Gessler et chante l'air "Ne m'abandonne point, espoir de la vengeance... Asile héréditaire...". Il se réjouit de l'arrivée de ses confrères armés de la confédération dont il sollicite l'aide pour libérer le héros populaire suisse, Tell.
Baritono leggero o Baritono chiaro : Georg Nigl
Comme toutes les voix "légères" et colorées, le baryton léger (ou baryton clair) arbore un timbre lumineux et pur dans les aigus (ce qui le rapproche du ténor), habile à chanter les extraits virtuoses. Les rôles convenant à cette voix sont souvent bouffes et présents parmi les œuvres baroques, classiques ou contemporaines.
Le premier chef-d'œvre du genre opéra, Orphée de Monteverdi, y fait déjà recours : entouré des bergers et des nymphes, Orphée enchante les plaines de Thrace du son de sa lyre. La fête est interrompue par la Messagère, qui annonce qu’Eurydice a succombé à une morsure de serpent. Ne pouvant accepter ce triste destin, Orphée décide d’aller chercher sa bien-aimée aux enfers ("Tu se’ morta, mia vita"). Ses compagnons pleurent avec lui, ainsi que la Messagère. Bergers et nymphes accablent le sort cruel ayant touché les infortunés amants.
Baritono lirico o cantabile : Christian Senn
Le Baryton lyrique ou chantant porte une voix riche, élastique et quelque peu légère. Il se produit dans le répertoire belcantiste et exploite ses registres central et aigu.
En cherchant à fuir Orlando Furioso (de Vivaldi), amoureux d’elle, Angelica a perdu son amant Medoro. La magicienne Alcina lui promet de lui rendre son bien-aimé : Angelica exulte. Surgit justement Orlando, à la recherche d’Angelica : Alcina s’en éprend et le convainc de rester sur son île en lui révélant qu’Angelica s’y trouve également. Astolfo explique à Orlando qu’Alcina dispose de l’immense pouvoir prodigué par les cendres de Merlin l’Enchanteur, qu’elle fait garder par l’invulnérable Aronte. Orlando n’en est toutefois pas effrayé. Astolfo lui révèle alors l’amour qu’il porte à la magicienne ("Costanza tu m'insegni"). Le rôle d'Astolfo est interprété par le baryton chilien Christian Senn :
Baritono lirico spinto o lirico-drammatico (baritono verdiano) : Ludovic Tézier
Le baryton lyrique "spinto" est souvent nommé "verdien" en raison de son emploi récurrent dans les opus du maître italien d'opéra, Giuseppe Verdi. Son chant peut varier, d'un air très lyrique et/ou plaintif à la l'action hautement dramatique. Sa voix est volumineuse et l'étendue large, le registre central particulièrement exploité.
Ludovic Tézier figure aujourd'hui comme le véritable baryton verdien, ayant gagné sa reconnaissance internationale grâce à ce répertoire. Le voici dans le rôle de Rodrigue en Don Carlos, extrait tiré de la production à l'Opéra de Paris aux côtés de Jonas Kaufmann notamment. Il s'agit de l'air de la mort de Rodrigue et de l'adieu à son ami fidèle Don Carlos (acte III).
Baritono drammatico : Sherrill Milnes
Les barytons dramatiques sont les grands méchants de l'opéra romantique. Verdi et Puccini leur ont attribué d'importants personnages de ce type (Scarpia, Jago, Jack Rance). La couleur de sa voix est lourde et sombre, tandis que la force sonore s'avère imposante, conformément aux exigences des caractères.
Dans l'acte II de l'Otello de Verdi, Jago poursuit son plan malicieux et retrouve Cassio, qui se plaint de sa déchéance. Jago lui conseille de rechercher le soutien de Desdemone, dont les souhaits sont toujours exaucés par Otello, afin qu’elle obtienne sa réhabilitation. Resté seul, Jago chante sa croyance en un Dieu cruel qui l’a conçu à son image. Ses paroles sont particulièrement cyniques : il méprise les justes qu’il juge hypocrites et voit la vie comme une dérision qui s’achève avec le néant de la mort ("Credo in un Dio crudel"). Le baryton américain Sherrill Milnes endosse la partie de Jago, l'un des plus grands méchants de l'histoire du répertoire opératique.
Basso buffo o leggero : Fernando Corena
La basse comique est caractéristique des rôles de ce type, qui nécessitent une voix point trop massive et assez agile dans son mouvement. Elle trouve habituellement son emploi dans l'opéra bouffe italien.
Fernando Corena incarne le rôle bouffe de Don Pasquale, un célibataire septuagénaire, trépignant d'impatience dans sa demeure romaine, devant le retard de son convive. Arrive alors enfin le docteur Malatesta, qui lui annonce, par ruse, il lui a trouvé une épouse : une femme douée de toutes les qualités qui se trouve être sa propre sœur. Don Pasquale exulte et le presse de la lui présenter, certain que l'amour lui fera retrouver la jeunesse et imaginant ses enfants courir autour de lui ("Ah! Un foco insolito").
Basso-baritono : Albert Dohmen
Comme son nom le suggère, cette voix demeure entre les deux tessitures. Sa couleur sombre émerge de son registre grave fort et dominant. Les basses-baryton interprètent souvent le répertoire russe ou allemand, particulièrement wagnérien comme c'est le cas du chanteur américain Eric Owens que l'on écoute dans L'Or du Rhin au Metropolitan Opera (rôle d'Alberich).
Dans les forges souterraines du Nibelheim, Wotan et Loge cherchent l'or qu'Alberich vola aux filles de Rhin. Loge le flatte mais met en doute le pouvoir réel de son heaume. Pour lui prouver sa puissance, Alberich se mue en un gigantesque serpent, puis reprend son apparence normale. Loge sous-entend alors qu’il lui semble plus facile de se changer en un être plus grand qu’en un être plus petit. Alberich remet alors son heaume pour apparaître en crapaud. Wotan et Loge en profitent pour se saisir de lui, voler son heaume et le ramener prisonnier, vers le grand air ("Was wollt ihr hier ?").
Basso-cantante : Nicolaj Ghiaurov
La basse chantante a une texture plus aiguë et légère que les basses-profondes, mais sa sonorité reste puissante et foncée.
Don Carlos de Verdi met en scène la basse chantante qu'est le Roi Philippe II : dans son cabinet (début de l'acte III), celui-ci médite sur la trahison de son fils Don Carlos et l’infidélité de sa femme Elizabeth de Valois ("Ella giammai m'amò!"Elle ne m'aima jamais). En voici l'interprétation d'une des plus grandes basses du XXe siècle (notamment dans le rôle de Boris Godounov), le chanteur bulgare Nicolaj Ghiaurov.
Basso profondo : Walter Berry
La basse-profonde est la voix charnue, épaisse et la plus grave qui soit, adaptée pour une variété des personnages : autant les figures distinguées que les personnalités risibles. Elle se distingue certes par sa puissance vocale, souvent employée pour les figures symbolisant l'autorité politique ou morale.
La basse autrichienne Walter Berry fit sa carrière principalement dans le répertoire germanophone, dont le rôle comique du Baron Ochs de l'opéra Le Chevalier à la rose de Richard Strauss. Ceci est un extrait de la fin du deuxième acte, où ce personnage chante et danse la valse. Il retrouve la bonne humeur après avoir été blessé au bras suite au duel avec Octavian qui souhaite épouser Sophie à sa place ("Da lieg' ich...Ohne mich, ohne mich...").