Comment les artistes engagés par les festivals ont-ils été indemnisés ?
Cet article est le 3ème d’un grand dossier en 5 parties, qui détaille les choix, décisions, actions et perspectives des Festivals face à la crise :
1. Les directeurs de festivals en colère contre le gouvernement
2. Pourquoi et comment les festivals ont-ils décidé d’annuler ou non ?
3. Comment les artistes engagés par les festivals ont-ils été indemnisés ?
4. Après les annulations, les regrets des festivals d’été
5. Festivals d’été : comment gérer le « jour d’après » ?
La France a pu s'enorgueillir de disposer d’un système de protection sociale unique au monde, qui a également protégé les artistes et les festivals. Tous le reconnaissent et le soulignent (y compris les artistes français qui intentent des actions judiciaires pour faire davantage valoir leurs droits) a fortiori en se comparant à la situation dans les autres pays. Certes, mais comme le résume un Directeur, “mettre les artistes au chômage partiel, très bien, cela nous permet de les indemniser, mais c'est un crève-cœur.”
Comme sur d'autres sujets, la situation demeure floue : chacun a dû se renseigner, faire des déductions, des choix, des paris comptables et juridiques. Bien sûr, l'activité partielle des artistes et intermittents a été le premier recours et a fonctionné pour un certain nombre de concerts et d'ensembles. "Nous étudions ceux qui peuvent en bénéficier au plan individuel, nous explique le Festival de Saintes. Pour les ensembles, on fait ce qu'on peut, avec un soutien de l'ordre de la participation aux répétitions, 15 à 20% du budget initialement prévu, en forme de dédit, et de remboursements des dépenses. Les ensembles et artistes qui ont pu être maintenus gardent évidemment leurs cachets." À Saintes, plus de 80% de la programmation est reportée en 2021. Or en cas de report, il n'y a pas d'activité partielle possible. Alors d'autres festivals ont annulé les contrats 2020 et réengageront les artistes en 2021 mais cela entraîne des frais supplémentaires.
"Nous avons dédommagé tous les artistes touchés par les annulations, affirme Pierre Audi (Directeur du Festival d'Aix-en-Provence). C’était un principe auquel je tenais absolument. Parallèlement, l’organisation de #lascenenumerique a permis de maintenir une activité pour les solistes, pianistes et quatuors à cordes qui y sont engagés, mais aussi pour le Balthasar Neumann Ensemble et le LSO. Concernant les personnels, nous avons utilisé les dispositifs très efficaces d’activité partielle mis en place par le gouvernement et les dispositions spécifiques prises pour les intermittents, ce qui nous a permis de maintenir les salaires. Sur tous ces sujets, nous avons beaucoup échangé pendant toute cette période avec le Ministère afin de leur faire remonter des informations et des besoins précis venant du terrain, pour que les dispositifs gouvernementaux les prennent en compte et s’ajustent à cette réalité."
Il en va de même pour La Chaise-Dieu : “Dans nos échanges avec les artistes, nous avons pu mesurer encore combien le soutien est capital, pour tous (et combien la célébrité n'empêche pas la précarité). Nous avons proposé soit le report simple (donc sans indemnisation) dans le cas d’événements pensés pour le festival ou de tournées avec lesquelles nous voulons nous inscrire à nouveau, soit la ré-invitation dans un autre programme. Et puis il y a eu des annulations "sèches" (indemnisées ou avec mise en place du chômage partiel). Nous avons dû prendre le temps de mettre en place un système qui s'adapte le mieux possible aux situations. Nous sommes en cours de négociation avec tous les ensembles artistiques, ce qui est très compliqué puisque nous sommes privés de la moitié de nos ressources (celles de la billetterie), il faut aussi négocier le maintien de subventions en particulier pour pouvoir faire ce geste envers les artistes et puis il faut évaluer au plus juste tous les frais de fonctionnement restants. D'autant que nous apprenons encore au fil de l'eau les décisions gouvernementales.“
Reporter l'édition 2020 à 2021 n'était tout simplement pas possible dans de très nombreux festivals, c'est ainsi le cas à Beaune "car les productions se construisant deux ou trois ans à l’avance, il aurait fallu que les artistes et nos coproducteurs le puissent aussi en fonction de leurs calendriers. Nous envisageons en outre d’autres reports en juillet 2022, à l’occasion du 40e anniversaire de la création du Festival. Sur les six opéras programmés en juillet 2020, nous avons pu en reporter trois en juillet 2021 (La Flûte Enchantée de Mozart dirigée par Jérémie Rhorer, Le Retour d’Ulysse dans sa patrie de Monteverdi dirigé par Stéphane Fuget, nouveau chef invité du Festival, et le Trionfo del Tempo de Haendel dirigé par Ottavio Dantone qui se transformera probablement en Agrippina de Haendel, en reprogrammant tous les solistes de ce Trionfo)."
Force majeure ? Cruel et pas si simple !
Il a été dit, écrit et répété un peu partout que les employeurs (maisons d'opéra, festivals et ensembles en l’occurrence) auraient pu simplement activer la "clause de force majeure dans les contrats" pour ne pas avoir à payer les artistes : de nombreux producteurs de spectacles ont ainsi expliqué main sur le cœur qu'ils se refusaient à le faire, pensant aux artistes. Or, souvent, ils n'en auraient simplement pas eu le droit, ou au moins, auraient-ils pris alors de grands risques.
La force majeure est caractérisée, selon l’article 1218 du Code civil, « lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. » Les festivals prendraient donc d'importants risques face à l'incertitude de la situation en voulant appliquer le cas de force majeure. Si les contrats ont été signés en 2020, le risque pandémique pouvait alors sans doute être "raisonnablement prévu", si le contrat été signé avant, le Festival aurait pu aménager son édition en 2020, et il est possible de considérer que les "mesures appropriées" peuvent encore et toujours être prises (avec distanciation, fourniture de gels et de masques).
"Pour des raisons qui nous échappent, explique la Direction du Festival de Beaune, le gouvernement n’a pas décrété pour ce Covid-19 l’état de sinistre sanitaire national, qui aurait permis d'activer le cas de force majeure et ainsi de pouvoir associer les compagnies d’assurance au maintien de nos manifestations. Cette pandémie est traitée différemment des catastrophes naturelles, alors que l’annulation de la quasi-totalité des festivals représente un vrai désastre artistique, culturel, économique et social." D'autres directeurs de Festivals nous donnent une explication : "Si des torrents de boue submergent votre maison, un sinistre national est déclaré. Mais l'État n'a pas décidé cela pour la pandémie de Covid-19 pour préserver le secteur de l'assurance qui a fait pression."
Le Festival Sinfonia en Périgord, de son côté, rappelle que, même en annulant, il poursuit le soutien aux artistes "dès cette année, en finançant un projet discographique pour La Tempête, et en prenant en charge la VHR (Voyages, Hôtel, Restauration) pour des artistes venant en résidence, dans un espace de création pour préparer l'avenir." Mais bien évidemment la situation dans l'ensemble reste extrêmement compliquée. Seuls les festivals qui ont pu faire des gestes pour les artistes nous communiquent des chiffres. Les autres expliquent que c'est en cours de négociation et qu'ils restent optimistes ou au moins battants. Le fait est que les structures qui étaient déjà grevées de déficits n'auront pas beaucoup de choix.
Pour un tour d’horizon complet, après cet article sur les Directeurs de Festivals (et notre dossier sur l’été), retrouvez notre grand format du point du vue des Directeurs d’Opéras, la situation vue et vécue par les artistes et des chiffres aussi détaillés pour ce qui concerne les ensembles artistiques
Cet article est le 3ème d’un grand dossier en 5 parties, qui détaille les choix, décisions, actions et perspectives des Festivals face à la crise :
1. Les directeurs de festivals en colère contre le gouvernement
2. Pourquoi et comment les festivals ont-ils décidé d’annuler ou non ?
3. Comment les artistes engagés par les festivals ont-ils été indemnisés ?
4. Après les annulations, les regrets des festivals d’été
5. Festivals d’été : comment gérer le « jour d’après » ?