Speranza Scappucci : "Que l'Orchestre ait toujours un sens, raffiné et théâtral"
Speranza Scappucci, quels sont les principes essentiels de votre direction d'orchestre ?
Être toujours alerte, contrôler tout le son, chaque instrument, choriste, soliste. Pour faire la musique ensemble.
Comment répétez-vous ?
Le travail est très différent entre une nouvelle production avec un mois pour répéter chaque détail et un récital où il faut trouver très rapidement une entente avec un soliste, l'accompagner. Je travaille énormément avec l'Orchestre avant que n'arrivent les solistes et c'est justement ce que permet un poste de Directrice musicale. Être d'une maison, c'est œuvrer sur le long terme. L'Orchestre doit toujours travailler les couleurs, les intentions dans le moindre détail.
Comment définiriez-vous votre Orchestre de l'Opéra Royal de Wallonie-Liège ?
L'Orchestre a un grand niveau et je dois remercier le maestro avant moi, Paolo Arrivabeni qui a apporté de nouveaux musiciens, de grands professionnels. Depuis ma prise de fonction, j'ai continué à opérer de nouveaux recrutements. Nous cherchons à renouveler cette qualité, toujours avec des musiciens qui ont l'esprit et le son justes.
Depuis ma prise de poste, je travaille à créer un son raffiné et reconnaissable. Que les gens se disent "ah c'est Scappucci qui dirige cet orchestre". Il faut mettre sa marque sur le son, sur les manières différentes de faire du répertoire français ou italien ou autre. Je suis très contente car nous avons parcouru beaucoup de répertoires différents et toujours d'un haut niveau. Quelques fois nous partons de loin au début des répétitions mais nous faisons un grand travail de construction.
Comment définissez-vous ce son Scappucci ?
Ça c'est à vous de le faire. Mais je travaille toujours pour que le son de l'orchestre soit riche et uni, qu'il s'agisse d'un immense accord ou d'un microscopique pizzicato, d'un grand mouvement ou d'un tout petit geste. Il faut toujours qu'il y ait un sens, lié au mot, à la théâtralité. Jamais de vulgarité, toujours de l'élégance.
Qu'est-ce qui vous a décidée à accepter le poste à Liège de Cheffe principale invitée puis de Directrice musicale ?
J'ai été invitée pour diriger la rare Jérusalem de Verdi [compte-rendu Ôlyrix, ndlr] et je voulais la faire en version intégrale comme l'occasion rare nous était donnée non seulement de la retransmettre en streaming mais également de la graver. Dès les premières répétitions s'est instaurée une très bonne entente avec l'Orchestre et le Chœur. J'ai accepté la proposition car, même si mon calendrier était déjà très rempli, avoir un point fixe dans mon parcours professionnel, un premier poste (qui j'espère mènera vers d'autres) était important. Un lieu fixe permet de faire son répertoire. Surtout, j'ai vu que les musiciens à Liège sont flexibles, permettent de construire. L'ambiance de surcroît est très amicale.
Votre mandat de 5 ans dure jusqu'à 2021/2022, avez-vous déjà évoqué la suite ?
Non. Nous verrons. 5 ans est déjà un beau chapitre et nous allons voir comment développer la relation, je suis ouverte à différentes solutions. Entre un chef et un orchestre, c'est toujours une question d'énergie et c'est seulement dans le travail qu'on découvre cette énergie. Quand j'ai été invitée à Liège, avant d'arriver en répétitions, je savais qu'il y avait la possibilité d'obtenir un poste mais il a fallu attendre de se rendre compte que quelque chose de spécial se passait. C'est impossible à prévoir. L'objectif est donc, toujours, de faire bien les choses.
Comment travaillez-vous avec le Directeur général Stefano Mazzonis di Pralafera pour élaborer une saison ?
Il est magnifique ! Il est italien mais avec un esprit international. Il fait les plannings longtemps à l'avance mais j'ai eu l'occasion de pouvoir entièrement choisir avec lui la prochaine saison, des titres rares, que je veux vraiment diriger. Et les chanteurs qui vont avec !
Avec le Directeur de l'Opéra de Liège, Stefano Mazzonis di Pralafera, vous avez constitué comme une enclave esthétique italienne en Wallonie ?
Non, l'Italie est dans la tradition de ce théâtre, depuis bien avant mon arrivée. Mais certes, nous la renforçons encore plus avec Stefano en regardant même ensemble le Calcio et en supportant la Juventus de Turin. Sur le plan musical et dramatique, les répertoires sont comme partagés entre les maisons belges, avec de nettes différences entre Liège, Bruxelles, Vlaanderen. Dans mon calendrier, j'ai aussi d'autres répertoires, invitée par d'autres maisons musicales. J'aime toutes les traditions.
Stefano Mazzonis di Pralafera est également metteur en scène, avec son esthétique, quel type de mise en scène appréciez-vous ?
J'aime tout, mises en scène traditionnelles ou modernes tant qu'il y a un sens logique, un propos, une évolution dramatique. Le théâtre peut se faire en jean-basket et en merveilleux costumes, tant qu'il y a un sens. C'est surtout difficile quand les metteurs en scène ne connaissent pas bien la musique et empêchent le chef de travailler, mettant les chanteurs dans des situations complexes. Mais il faut toujours parler, collaborer, coopérer.
Le premier mot du Directeur Stefano Mazzonis di Pralafera est Respect pour l'œuvre, est-ce que cela vous oriente beaucoup dans le travail musical ?
Oui, nous cherchons à respecter, mais tout en faisant des choses nouvelles : le finale de Butterfly [compte-rendu Ôlyrix, ndlr] était inattendu et bouleversant, La Somnambule aussi sera une chose spéciale.
[Stefano Mazzonis di Pralafera vous présente la saison 2019/2020 en interview à cette adresse, et ci-dessous avec Speranza Scappucci en vidéo :]
Comment est le public à l'Opéra de Liège ?
Le public est magnifique ! Ils sont très chaleureux et ils aiment l'opéra. C'est un public local mais aussi international, et un public très jeune aussi car le théâtre fait énormément de travail de médiation, de pédagogie (lire notre dossier dédié à ce sujet). L'Opéra à Liège est un épicentre culturel et social.
Mes rapports avec le public sont très amusants, depuis la toute première représentation que j'ai dirigée. C'était donc Jerusalem et j'étais étonnée qu'ils n'applaudissent pas, comme s'ils ne réagissaient pas. Je me suis dit que c'était peut-être car l'opéra est très peu connu. Mais en fait, je me suis rendu compte qu'ils conservent et accumulent toute leur énergie pour la fin du spectacle, où ils explosent. Les plus grandes ovations que j'ai reçues ont été à Liège. Quand ils aiment ils offrent une chaleur incroyable. Alors qu'en Italie le public s'exprime à chaque air. Dès le début j'ai ressenti que le public Liégeois m'aimait.
Comment trouvez-vous la vie à Liège ?
Je dois confesser que je vis très peu la ville car lorsque j'arrive à Liège, je suis submergée d'obligations, répétitions, concours. Je n'ai presque jamais un jour de libre. Cela étant, j'ai retrouvé dans le quartier de l'Opéra et le centre tous mes magasins préférés. Et j'ai rencontré dans la ville de Liège de très belles personnes, qui ne sont pas forcément du théâtre. Mais en effet j'ai très peu de vie autre... de vie tout court.
Comment composez-vous votre calendrier de travail bien chargé ?
J'ai mes engagements essentiels ici à Liège et j'aime particulièrement les nouvelles productions d'opéra qui permettent de vraiment construire quelque chose (je fais le maximum pour être présente dès le début des répétitions et tout au long du travail). Le théâtre ne fonctionne pas avec un metteur en scène qui envoie son assistant et un chef qui arrive à la dernière minute. Pour le reste, les invitations, nous regardons avec mon agent selon l'intérêt de la pièce, mes périodes libres, le théâtre. J'aime aussi beaucoup le symphonique alors lorsque Lyon, par exemple, m'a proposé L'Enfance du Christ de Berlioz, j'ai tout de suite été intéressée.
Comment préparez-vous tous ces projets différents ?
En pensant toujours au concert suivant, à la suite. Le temps de préparation est variable, selon le compositeur, la complexité du projet. Je prends une partition en différentes phases d'études, de plus en plus détaillées et je prends mon temps entre les concerts, sur plusieurs mois. Cela demande beaucoup d'anticipation, d'étude, de choix.
Vous jouez les partitions au piano (comme on le voit dans certaines vidéos en ligne), pouvez-vous nous raconter votre apprentissage de la musique ?
J'ai commencé à apprendre le piano à 4 ans et demi avec une dame âgée professeure de musique qui habitait en face de chez nous à Rome. Puis à 10 ans, je suis entrée au Conservatoire Santa Cecilia à Rome, en piano et musique de chambre. À 19 ans, je suis partie aux Etats-Unis, j'ai été admise à la Juilliard School où j'ai également fait un Master de chef de chant.
J'ai formé un quintette piano et cordes, ainsi qu'un duo piano-violoncelle. Je jouais aussi dans un trio. J'ai joué énormément de musique de chambre, de toutes les traditions esthétiques avant de devenir cheffe de chant et cheffe d'Orchestre. C'est un riche bagage. Mes amis chambristes me disent que déjà j'avais une personnalité de cheffe, en petit groupe. Et bien entendu, ça m'a permis de connaître toutes les techniques de cordes, d'archet. Puis les cours à la Juilliard sont très avancés, spécifiques. Basse continue, beaucoup de récitatifs, réduction au piano, le continuo du clavecin, etc.
Cette formation comportait aussi des cours de direction de chœur, d'orchestre, de composition... Le chef de chant prépare les productions et doit donc connaître toutes les œuvres et tout des œuvres. J'ai fait carrière près de 15 ans en tant que cheffe de chant, beaucoup aux États-Unis et en Europe, dans énormément de maisons et festivals prestigieux. Les dernières années ont été partagées entre Vienne et le Met, je suis devenue cheffe de chant attitrée de Riccardo Muti. Il n'était plus en poste à La Scala, donc il m'emmenait dans toutes les plus grandes maisons à travers le monde. Je suis devenue comme son assistante et surtout pour le travail avec les chœurs et solistes, c'est ainsi que j'ai commencé à diriger les répétitions et effectué cette transition de cheffe de chant à cheffe d'orchestre.
Comment est Riccardo Muti dans le travail ?
C'est un génie, un incroyable musicien, un grand maestro. Il a une rigueur absolue dans le travail de la partition mais nullement dogmatique ou stérile, il cherche toujours à comprendre les liens entre les mots et la musique. J'avais déjà cette passion pour le lien du texte au son, mais avec lui je l'ai développée. Au point que le temps vint pour que nos routes se séparent et que j'explore ma propre voie.
Quelle a été sa réaction ?
Il était très heureux, il m'a beaucoup encouragée et donné confiance, puis il m’a donné sa bénédiction et il m’a laissée tracer ma route sans jamais l’influencer ni intervenir dans ma carrière. Comme j'avais déjà beaucoup travaillé dans de grands théâtres, j'ai eu de nombreuses opportunités à travers le monde et j'en suis très reconnaissante. Cela m'a aussi menée à ce poste à Liège, grâce à l'audace imaginative de Stefano Mazzonis di Pralafera.
Comment se sont déroulés vos débuts de cheffe d'orchestre ?
J'ai fait mes débuts comme cheffe en 2013. Diriger un orchestre à 35 ans peut sembler tardif de nos jours où l'on voit des jeunes prodiges mais j'ai fait beaucoup d'études et de travail sans avoir ce projet : diriger s'est imposé comme la continuité logique. Et je suis très chanceuse qu'on m'ait proposé la Direction musicale d'un théâtre dès 2017. Avoir son propre orchestre est une belle expérience et une grande chose, qui permet d'apprendre constamment. C'est comme un laboratoire de travail intense et il est beau de voir un orchestre tel que celui de Liège continuer à grandir et se développer dans une direction qui est aussi la mienne. Je dois également dire combien je suis heureuse d'avoir des engagements en France. Je ressens chaque fois quelque chose de spécial avec le public français et avec les lieux. Une énergie, une vie culturelle et musicale qui fait toujours envie. En Italie aussi il y a un patrimoine, mais à Paris, en France il y a un je-ne-sais-quoi. Et puis j'y ai désormais des amis.
Y'a-t-il eu un événement déclencheur pour que vous preniez la baguette d'un orchestre ?
Pas vraiment, c'était une phase d'immersion sur deux ans. Je préparais les opéras pour les chefs et j'avais l'impression de tout construire. J'ai senti en moi à la fois l'accomplissement du travail mais aussi le manque de l'amener jusqu'au public. C'était une maturation lente. Et puis tout d'un coup s'est présentée une opportunité presque par hasard. La responsable du département d'opéra à l'université de Yale, que je connaissais depuis des années m'avait contactée pour savoir si je connaissais un maestro italien qui pourrait diriger Cosi fan tutte avec ses élèves. Elle voulait un italien pour s'assurer de la qualité des récitatifs. Elle voulait que je lui recommande quelqu'un. Alors j'ai dit pourquoi pas moi. C'étaient mes débuts. En travaillant l'Orchestre, j'ai certes toujours gardé l'amour pour les voix (et je fais donc des opéras), mais j'aime aussi énormément la musique symphonique car c'est comme une extension de la musique de chambre. Une symphonie de Schubert ou Mozart est comme un grand opus chambriste. J'aime beaucoup varier. On pense toujours aux chefs d'opéra comme des maestri "mineurs", qui ne font pas une œuvre mais accompagnent seulement les chanteurs. Alors que le chef qui fait bien l'Opéra opère la "concertazione", la recherche, l'unité de l'ensemble.
Madame Butterfly de Puccini a évidemment Cio-Cio San comme protagoniste, mais toute l'empreinte de l'Opéra se fait ensemble, en Tutti. L'orchestre d'opéra ce n'est pas boum-pam-pam qui accompagne le chant : l'Orchestre est protagoniste. Symphonique et Opéra sont certes deux mondes, l'opéra a ses immenses difficultés (gérer le chant bien entendu) mais passer au symphonique permet de travailler différemment les timbres, la vocalité des instruments. Pour moi, tous les grands chefs de l'histoire savaient faire les deux.
Avez-vous d'autres modèles que Muti ?
Beaucoup de maestri du passé, Kleiber, Karajan pour certains répertoires. J'aime aussi beaucoup entendre les enregistrements de Toscanini. Il y a un maestro encore vivant, que je n'ai jamais rencontré mais qui est formidable, c'est Herbert Blomstedt. Ce qui m'intéresse est la qualité d'interprétation évidemment, mais surtout s'il transmet des émotions à travers l'Orchestre. Je ne cherche pas la perfection (comme je ne la cherche pas pour moi : je la vise mais je ne l'atteins pas).
Bien sûr je n'aime pas les directions trop "flashy", je pense que nous sommes au service de la musique. Le chef est un interprète, donc avec sa personnalité, mais qui ne doit pas prendre le pas sur le contenu musical. Comme certains chefs qui détruisent complètement la structure de la musique, pour choquer (sauf s'il y a un sens souverain et une cohérence). D'accord, en tant qu'interprète nous devons comprendre et vitaliser la chose écrite mais il y a des règles de base, notamment du phrasé, à respecter.
De surcroît, la tradition d'interprétation a parfois ancré des habitudes qui ne correspondent pas à ce qui est écrit dans la partition, comme par exemple un "a tempo" chez Puccini, alors je cherche à comprendre pourquoi ces changements se sont installés. Parfois, c'est parce que c'était difficile à jouer. Et si Puccini était encore vivant, peut-être ferait-il lui-même ces changements. Mais la partition telle qu'elle est écrite est si belle et si théâtrale, qu'il faut la suivre. Je parle de Puccini comme aussi de Verdi car leur musique a cette part théâtrale avec un rubato (souplesse musicale) qui permet de suivre le texte (infiniment précis sur la partition) en sublimant l'expression... pour qui connaît bien la langue italienne. Parfois c'est très difficile car les orchestres qui ont toujours joué Tosca ou La Bohème d'une manière identique regardent avec étonnement une approche nouvelle. Par exemple "Vecchia zimarra" dans La Bohème est à 2 temps, pas à 4 et c'est écrit dans un tempo assez allant. Si on le faisait vraiment comme c'est écrit, cela semblerait très différent mais comme c'est le seul solo de la basse, il a été pris de plus en plus en plus lent.
Il faut cependant faire des compromis, que tout le monde soit convaincu pour être convainquant. Un chef peut avoir son idée d'un tempo mais être face à un artiste qui ne peut pas le faire aisément, alors il faut être flexible.
Négociez-vous les questions musicales avant d'accepter un contrat ?
Tout à fait, on négocie avec le metteur en scène pour des nouvelles productions mais pour une reprise il faut aussi respecter la grandeur du théâtre qui invite. Quelques fois il est possible de bien faire les coupures mais avec intelligence. Des fois, on peut couper les ajouts d'autres compositeurs ou des récitatifs. Des fois dans d'autres maisons, il faut couper pour des raisons économiques, ne pas dépasser une certaine durée. Mais quand nous avons un casting d'exception comme à Liège pour Les Puritains par exemple [compte-rendu Ôlyrix, ndlr], il fallait absolument faire une véritable version intégrale.
Comment gérez-vous la célébrité ?
En me concentrant sur le travail. Bien entendu, c'est plaisant d'avoir des applaudissements et de la reconnaissance mais lorsqu'ils arrivent, la prestation est déjà passée. Il faut donc toujours travailler, vers la suite. Le travail est toujours passionnant, stimulant, il y a toujours des choses à découvrir et approfondir.
Comment préparez-vous vos grands débuts à l'Opéra national de Paris, pour Rigoletto en juin-juillet 2020 ?
Rigoletto à Bastille est une reprise de production (mise en scène par Claus Guth) mais nous avons des répétitions d'orchestre. Je suis déjà contente qu'on joue la partition sans coupure, comme c'était prévu dans cette mise en scène. Nous verrons avec les musiciens, pour chercher les couleurs originales de la partition. Je regarderai la mise en scène un mois avant. Je connais presque tous les interprètes et pour eux, je peux déjà visualiser mes attentes et le résultat visé. Avec ceux que je ne connais pas, j'instaure un rapport de travail et de confiance. Après, durant le travail, il y a toujours des surprises. Le chef doit savoir et sentir où insister ou non et comment. Il faut respecter les personnalités des artistes. Ce sont aussi beaucoup de compromis mais l'intégrité professionnelle et musicale doit être préservée.
[Réservez vos places pour ce Rigoletto à Bastille]
Qu'est-ce qui pourrait vous convaincre de devenir Directrice musicale à l'Opéra de Paris
D'abord, il faut faire des débuts. Entre chef et orchestre il faut toujours une énergie spéciale. Il ne sert à rien de rêver : il faut attendre et voir comment les choses se développent. On va attendre et voir. Je suis très enthousiaste de faire mes débuts dans la grande maison parisienne après avoir dirigé à Paris au Théâtre des Champs-Élysées, à La Seine Musicale, à la Basilique de Saint-Denis également.
[tous nos comptes-rendus de ces concerts]
Certains orchestres sont-ils plus faciles d'abord, d'autres plus rétifs ?
Nous avons affaire à des personnes, qui ont donc leurs propres énergies. Les sensations sont donc toujours différentes. On ressent donc immédiatement si le déclic se fera rapidement ou pas. Mais cela ne doit nullement influencer le travail. Nous sommes des professionnels. Il est rarissime que je ressente une vibration négative. Et même alors, je travaille de la même manière, et uniquement la musique.
Comment jugez-vous la place des femmes dans le monde musical ?
Je pense que les femmes ont davantage de place désormais. Dans le monde des solistes lyriques, les femmes ont toujours eu une grande place. Parmi les musiciens d'orchestre un peu également. Ces 10-20 dernières années, il me semble qu'il y a eu une grande ouverture et c'est quelque extrêmement positif. Surtout, les femmes se rendent compte, de plus en plus, qu'elles peuvent faire cette carrière. Si on se prépare, si on étudie, si on travaille, on peut y arriver.
Les jeunes femmes en prennent conscience en voyant des modèles. Je reçois de plus en plus de message, de jeunes femmes qui me demandent des conseils et c'est un signe de changement générationnel. J'espère que dans une génération, d'ici 10 à 20 ans, nous n'aurons plus ce problème de nombre : il faut rattraper, c'est important.
Vous personnellement, avez-vous eu l'impression d'avoir les mêmes opportunités qu'un homme ?
Oui, je ne peux pas dire le contraire. Je n'ai jamais ressenti de difficulté liée au fait que je suis une femme. Parce que je suis arrivée à la direction d'orchestre après de nombreuses années de travail et après un parcours particulier. La chance que j'ai saisie était la suite de mon chemin.
Si une très jeune fille me dit qu'elle veut devenir cheffe d'orchestre, je lui dirai d'étudier, le piano, un instrument, la composition, d'aller au conservatoire pour travailler la direction d'orchestre. De nos jours, les concours sont complètement ouverts aux femmes. La société change, évolue. Les orchestres également sont plus habitués à être dirigés par une femme. Ça ne les choque plus. Mes peurs et angoisses, si j'en ai, ne sont pas liées au fait que je suis une femme, mais à la quantité de travail qu'un projet demande.
N'avez-vous jamais eu l'impression d'être traitée différemment ?
Par les musiciens, non. Je pense que dans le monde du travail, en général, certains sont plus machistes que d'autres, certes. J'ai donc pu parfois avoir cette impression, mais ce sont des situations tristement universelles, comme toutes les intolérances, le racisme.
Aujourd'hui, grâce à Dieu, le monde est attentif à être politiquement correct, mais il est impossible de changer la mentalité de quelqu'un qui pense qu'une femme ne peut pas diriger. Ce genre de situation ne m'est arrivé qu'une ou deux fois dans ma vie.