Chiara Skerath : "Suzanne me correspond dans la vie, je rêve de ce rôle !"
Chiara Skerath © Gerardo Garciacano
Vous avez étudié au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, puis avez rencontré Ruben Lifschitz qui vous a enseigné le lied et la mélodie à la Fondation Royaumont. Quelle importance a eu cette rencontre pour vous ?
Ruben, c'est mon mentor. Il m'a tout apporté. Il m'a appris tellement de choses sur le lied et la mélodie ! C'est quelqu'un qui fait passer le texte avant la musique. Sans lui, je ne serais pas là. Travailler avec Ruben a vraiment été une expérience très enrichissante. Il m'a aussi beaucoup appris en dehors de la musique ! Ces rencontres-là sont décisives dans une carrière.
Celle avec Marc Minkowski aussi, non ?
Bien-sûr ! Je travaille beaucoup avec lui en ce moment. On a plusieurs projets ensemble, notamment une tournée pour le Requiem de Mozart. Il m'a énormément aidée et m'a donné beaucoup de rôles. J'ai fait l'ouverture du Festival de Salzbourg avec lui dernièrement [Die Schöpfung de Haydn le 18 juillet, ndlr]. C'est toujours fabuleux d'être avec lui.
Vous avez interprété de nombreux rôles mozartiens. Vous avez été Despina dans Cosi Fan Tutte à Bern et Francfort, Barbarina dans Les Noces de Figaro, Servilia dans La Clémence de Titus à l'Opéra du Rhin en février dernier, et vous serez Cinna dans Lucio Silla à Vienne et à Versailles au printemps prochain. Que représente Mozart pour vous ?
Mozart est le compositeur que je préfère chanter et celui qui me correspond le plus. J'adore ses personnages. D'ailleurs, j'aimerais beaucoup chanter Suzanne [Les Noces de Figaro, ndlr] ! On me l'a déjà proposé, mais je n'étais jamais libre. J'aimerais bien rechanter Despina aussi. Vous savez, les rôles de femmes de ménage ne me dérangent pas (rires) !
Vous avez abordé pour la première et unique fois la comédie musicale en incarnant le rôle d'Elisa Doolittle dans My Fair Lady à l'Opéra Grand Avignon en 2013, aimeriez-vous revenir à ce répertoire ?
J'aimerais beaucoup ! La comédie musicale est un exercice difficile car il faut maîtriser énormément de choses en même temps. Pour My Fair Lady, j'ai dû apprendre énormément de textes. Ce n'était pas évident pour moi car le français n'est pas ma langue maternelle. J'ai aussi dû me mettre aux claquettes ! La comédie musicale évacue la pression de l'opéra. On me disait par exemple que je chantais trop « joli ». La technique vocale s'expérimente aussi différemment. Déjà, il y a le micro. Le chant est facilité mais c'est plus fatigant car on est constamment en mouvement. D'ailleurs, lorsque les danseurs faisaient des claquettes, je dansais une version simplifiée au milieu. (rires) Le résultat était plutôt réussi et j'étais assez fière de moi. Je ne pensais pas que j'étais capable de faire ça ! (rires) Aux Etats-Unis, les chanteurs sont davantage formés à danser et chanter en même temps. En France, c'est vraiment un plus.
Cette année vous avez parcouru les scènes françaises en incarnant Rosalinde dans La Chauve-Souris de Strauss à l'Opéra Comique, Pamina dans La Flûte Enchantée de Mozart à l'Opéra de Saint-Etienne, une Coryphée dans Alceste à l'Opéra de Paris. Vous semblez apprécier les maisons françaises, non ?
La première fois que je suis montée sur la scène de Garnier, j'ai eu une petite larme.
J'adore les maisons françaises, on y est toujours bien accueilli. Surtout à l'Opéra de Paris, où je faisais mes débuts. J'arrivais à la fin de ma grossesse et j'ai été traitée comme une princesse. C'était amusant aussi de parler français avec les collègues. Magique et émouvant aussi ! La première fois que je suis montée sur la scène de Garnier, j'ai eu une petite larme. Lorsque tu regardes dans la salle, tu te dis qu'il y a plein de personnes que tu admires qui ont chanté là. Après, une fois passée cette première impression, on y travaille comme ailleurs !
Cette saison 2014/2015 a décidément été très chargée. Comment l'avez-vous vécue ?
Très bien. Mon bébé m'a accompagné partout. Il ne pourra pas se plaindre, parce qu'il a écouté énormément de musique dans mon ventre ! Ma collègue, Véronique Gens, me disait : « Tu verras, quand tu vas monter sur scène, ton bébé va se mettre dans un coin et arrêter de bouger ». Mais il bougeait dans tous les sens, dès que je chantais ! Dès que Véronique commençait à chanter aussi d'ailleurs (rires). J'ai eu de la chance : mes collègues ont été très attentionnés et j'avais une chaise à chaque fois que j'étais en coulisses. J'ai chanté jusqu'à sept mois et demi et j'ai bien tenu. Bien-sûr, j'étais contente d'arrêter. Les hormones de grossesse font que l'on chante très bien, mais on est aussi plus vite essoufflée.
Travaillez-vous avec un coach vocal ?
En récital, il faut apporter sa propre interprétation et arrêter de vouloir imiter tout le monde !
Oui, avec José Van Dam et avec Glenn Chambers, mon ancien professeur du CNSM. Je travaille aussi beaucoup avec Antoine Palloc. On fait des récitals ensemble. Le lied, la mélodie, la musique de chambre, c'est là où je suis vraiment heureuse. Le récital, c'est très important pour moi même si cela devient difficile car il y a de moins en moins de public. Il faut le rendre vivant, plus moderne aussi et ne pas en faire une pièce de musée. Je trouve que l'on y chante avec beaucoup trop de chichis. Les gens ne comprennent pas qu'il faut le faire évoluer, le rendre moins poussiéreux, apporter sa propre interprétation et arrêter de vouloir imiter tout le monde ! C'est aussi grâce à Ruben [Lifschitz, ndlr] que j'ai compris ça.
Avez-vous des habitudes de travail pour préparer une prise de rôle ?
D'abord, je chante mon rôle pour vérifier que je peux le faire, tout simplement. Il ne faut pas d'emblée accepter un rôle : il faut être capable de l'interpréter ! J'ai aussi la chance de savoir parler beaucoup de langues, donc la traduction ne me prend pas trop temps. Ensuite je regarde le livret, puis la musique. Une fois que j'ai tout appris, je vais voir mon coach pour être sûre que tout est en place. Comme j'aime bien arriver très préparée en répétition, je m'y prends six mois à l'avance. Bien-sûr, lorsqu'on enchaîne les rôles, ce n'est pas possible. On est un peu dans le stress et on doit faire un peu à la dernière minute. Dans ce cas, je me concentre sur le livret, puis sur la musique. Quand je peux, je fais des listes de tout ce que mes personnages aimeraient ou n'aimeraient pas, pour leur donner de la profondeur. Après, c'est aussi au metteur en scène d'enrichir ce travail.
Comment choisissez-vous vos rôles ?
Dans ce métier, il ne faut pas croire que seule la chance vous fera réussir.
On me les propose. Après, il y en a que je refuse. Quand c'est trop tôt, notamment. Pour Capriccio, par contre, le rôle de la chanteuse italienne était idéal pour moi. Je parle italien avec ma maman et c'est du répertoire allemand. Il y a aussi beaucoup de hasards ! La chance que j'ai, c'est d'être entourée de gens qui m'aiment, me donnent ma chance et du travail. C'est grâce à la confiance de Josquin Macarez [Conseiller artistique de l'Opéra de Saint-Etienne de 2011 à 2014, ndlr] que j'ai pu faire mes débuts dans le rôle de Pamina à Saint-Etienne, un rôle qui m'a beaucoup apporté. Et puis je bosse dur ! Dans ce métier, il ne faut pas croire que seule la chance vous fera réussir. Il faut savoir dire non, ne pas accepter des rôles trop tôt et suivre l'évolution de sa voix. Par exemple, le rôle de la Comtesse [Les Noces de Figaro de Mozart, ndlr] ne m'intéresse pas encore. Je suis encore trop jeune. Je préférerais faire Suzanne. Elle me ressemble dans la vie. Si l'on peut interpréter des personnages qui nous correspondent, c'est plus facile sur scène !
Vers quels rôles aimeriez-vous aller dans les prochaines années ?
J'aimerais bien continuer à faire du Mozart, peut-être faire un peu de bel canto et ajouter de nouveaux rôles progressivement. Tel que c'est parti, ça me va très bien. Tout le monde se plaint toujours de ses rôles, mais moi je suis très contente de ceux que l'on me donne. Tant que je peux chanter du Mozart, je suis heureuse ! J'ai tellement envie de chanter Suzanne, je rêve de ce rôle ! Et Mimi [La Bohème, ndlr], pour plus tard. Quand on commence, on se dit qu'on pourra choisir ses rôles, mais en fait tout se fait en fonction de la voix. C'est la seule chose qui est un peu frustrante dans notre métier. C'est la voix qui décide et non pas tes envies d'artiste ou ton tempérament. Donc, on verra. Pour l'instant, j'essaie d'y aller doucement pour pouvoir encore chanter dans dix ans.
Quelle production (équipes, chanteurs, lieux) vous ferait rêver ?
Les Noces de Figaro à l'Opéra de Paris avec Philippe Jordan, parce que j'aimerais beaucoup travailler avec lui un jour. Le Comte serait Stéphane Degout. Ce serait un luxe, n'est-ce pas ? La mezzo, ce serait ma grande copine Sophie Rennert, une chanteuse autrichienne fantastique qu'il faut absolument aller écouter. Pour le metteur en scène, quelqu'un qui aime travailler avec moi et avec des bonnes idées.
Quelle relation avez-vous avec les autres chanteurs ?
J'ai beaucoup d'amis dans le métier. Je trouve que c'est important d'aimer ses collègues. J'ai rencontré Hasnaa Bennani au CNSM à 19 ans et c'est une super copine. Cela ne sert à rien de se mettre des bâtons dans les roues. C'est simple, il y a des chanteurs avec qui tu sais que ça n'ira pas plus loin que le professionnel. Parfois, c'est le contraire. Quand j'étais à Saint-Etienne sur La Flûte enchantée avec Camille Poul et Romie Estèves [avril 2015, ndlr], on se voyait souvent. On se faisait des dîners, on s'écrivait beaucoup. Cela dépend des collègues !
Avez-vous le temps d'aller vous-même assister à des opéras ?
Oui, beaucoup. J'essaie d'y aller dès que je peux, surtout quand ce sont des amis qui chantent. J'adore aussi ne pas être sur scène : ça change ! Je n'ai pas toujours le temps, mais j'essaie. Quand je travaillais sur Alceste, je suis allée voir Le Roi Arthus et j'ai vraiment adoré. Lorsque j'étais petite, je trouvais tout beau (rires) ! Quand on est professionnel, on est forcément plus critique. Mais l'essentiel, c'est qu'un chanteur me touche. S'il n'a pas une technique parfaite tant pis, il faut que je sorte bouleversée.
Quels sont vos prochains projets ?
Après Capriccio à l'Opéra de Paris, je serai Zerlina dans Don Giovanni avec Marc Minkowski sur la mise en scène d'Ivan Alexandre. Ensuite, je serais Cinna dans Lucio Silla à Vienne et à Versailles. Pour terminer, j’interpréterai Zerlina en Suède avec Marc Minkowski. J'y retrouverai d'ailleurs Stanislas de Barbeyrac.
Propos recueillis le 20 août 2015
(Cover : © Gerardo Garciacano)
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