Myriam Mazouzi, Directrice de l’Académie de l’Opéra de Paris : « Décloisonner ! »
Myriam Mazouzi, vous dirigez l’Académie de l’Opéra de Paris : pouvez-vous nous rappeler le principe de cette institution ?
L’Académie a été créée en septembre 2015 et faisait partie des grands projets du mandat de Stéphane Lissner, à l’instar de la Troisième Scène. À titre personnel, j’ai accompagné et conseillé Stéphane Lissner dans sa prise de fonction. Je lui ai ensuite demandé de me confier l’Académie. Nous y avons rassemblé tout ce qui avait trait à la transmission, en particulier la pédagogie et l’éducation artistique, ainsi que ce qui était alors l’Atelier lyrique ou l'Opéra Studio, une formation dont sortent beaucoup de grands chanteurs français comme Roberto Alagna ou Natalie Dessay. Nous avons donc à présent deux pôles : l’éducation artistique et les artistes en résidence.
Pouvez-vous nous décrire plus en détails ce second pôle ?
Il s’agit de la nouvelle forme prise par l’Atelier lyrique, ouverte à d’autres métiers que le chant : au-delà des douze chanteurs, nous avons dix instrumentistes, un metteur en scène et quatre chefs de chant. Stéphane Lissner tenait vraiment à amener de jeunes metteurs en scène français à se confronter à la mise en scène d’opéra. Depuis l’an dernier, nous avons également ouvert l’Académie aux métiers de l’artisanat d’art. Dix jeunes apprentis viennent se former aux métiers pour lesquels l’Opéra de Paris rencontre des problèmes de formation et de recrutement : couture, perruque-maquillage, tapisserie, menuiserie et matériaux composites.
Concrètement, dans quelles conditions ces académiciens évoluent-ils ?
Quel que soit le domaine de formation, tous les académiciens sont logés à la même enseigne. Ils sont en contrat de professionnalisation, à temps plein avec l’Opéra de Paris, qui assure également les temps de formation et garantit des mises en situation professionnelles. Ainsi, les chanteurs et musiciens interprètent La Ronde à l’Amphithéâtre, le metteur en scène a officié comme assistant de Christiane Lutz et les étudiants en artisanat d’art évoluent dans les ateliers avec un système de tutorat. Les académiciens perçoivent un salaire de 1870 euros bruts dans le cadre de leur contrat d’apprentissage.
Verra-t-on une production mise en scène par un artiste de l’Académie d’ici la fin du mandat de Stéphane Lissner ?
Cette décision appartient à Stéphane Lissner : je ne peux donc pas répondre. En revanche, il est certain que nous continuons à les accompagner après la fin de leur cursus à l’Académie. C’est ainsi que Mirabelle Ordinaire, issue de notre première promotion, mettra en scène notre seconde production de la saison, Kurt Weill Story. À la fin de son parcours, elle a présenté un projet pour lequel elle a eu deux semaines de plateau, des chanteurs, des musiciens, un budget de 3.000 euros et l’accès à la caverne d’Ali Baba de la maison où elle a pu se fournir en costumes et accessoires. Son travail était très joli : nous avons donc décidé de lui donner les moyens de développer son projet, qui est donc programmé au mois de mars.
Comment le processus de sélection se déroule-t-il ?
Philippe Jordan a souhaité qu’il soit très international. Nous mettons des annonces sur des médias spécialisés et prévenons certains grands professeurs de par le monde. Il y a d’abord une pré-section sur dossier, puis une semaine d’auditions. Cette année, j’ai souhaité que la phase qualification inclue des cessions de travail avec des professeurs afin de tester les candidats en situation et voir leur capacité à évoluer et s’adapter. Cela permet notamment d’estimer le potentiel de progression du chanteur et de détecter de belles voix qui auraient perdu leurs moyens en phase d’audition. Bien sûr, lors de la finale, la décision est prise par Christian Schirm, le Directeur artistique de l’Académie, Ilias Tzempetonidis, le Directeur de casting de l’Opéra de Paris dont la présence est très importante, et moi-même.
Quel bilan tirez-vous des deux premières saisons de l’Académie ?
Le bilan est positif : les artistes voudraient tous rester plus longtemps. Nous offrons un programme le plus souple possible dans une maison très structurée, afin de nous adapter aux personnalités que nous accueillons.
Dans le documentaire l’Opéra (dont le réalisateur nous parlait ici), on voit le jeune Timoshenko travailler avec Bryn Terfel : s’agit-il d’interactions encouragées par l’Académie ou d’un événement isolé ?
Il s’agissait en effet d’un événement isolé, mais nous organisons en revanche des masterclasses, aidés par le Directeur du casting, Ilias Tzempetonidis. Ainsi, Ildar Abdrazakov a-t-il fait travailler les académiciens, hommes et femmes, en fin de saison dernière. Autre exemple d’interaction : Farrah El Dibany s’est payé des cours avec Elina Garanca et a trouvé cela fantastique.
Il a été question de partenariats avec les académies du Bolchoï et du Metropolitan : qu’en est-il ?
Nous cherchons en permanence à décloisonner et à ouvrir l’Académie. Nous allons donc avoir quatre chanteurs du Bolchoï pendant un mois à partir de fin janvier. Ils assisteront au gala de l’Académie à Garnier, puis participeront à l’ensemble des activités de l’Académie jusqu’à un concert commun qui couvrira le répertoire allemand. L’an prochain, si nous trouvons des mécènes pour le financer, des académiciens de Paris iront au Bolchoï. Rien n’est fait à ce stade avec le Metropolitan, même si nous discutons également avec eux.
Quelles seront les évolutions des prochaines années ?
Nous étudions l’intérêt de créer une académie digitale, déconnectée de l’actualité, qui mettrait à disposition de tous, et notamment des publics empêchés ou éloignés, des contenus produits par l’Opéra de Paris, qu’il s’agisse de textes, de photos ou de vidéos, y compris d'opéras intégraux. Nous y utiliserons peut-être également la réalité augmentée.
La saison de l’Académie a débuté avec le récital du mois de septembre (compte-rendu ici) : qu’en avez-vous pensé ?
Nous avons cette année de très jolies voix et de très belles personnalités. Angélique Boudeville, Sarah Shine ou encore Danylo Matviienko, pour ne citer qu’eux, sont merveilleux, et très heureux d’être ici.
Sur quoi doivent-ils progresser plus particulièrement ?
Ils doivent encore évidemment travailler leur technique vocale et poursuivre leur apprentissage et leur compréhension du répertoire. À ce titre, ils auront de nouveau une masterclass avec Philippe Jordan. L’an dernier, Pauline Texier avait travaillé avec lui l’air d’Olympia [dans les Contes d’Hoffmann, ndlr]: cette séance de travail n’est probablement pas pour rien dans le prix de l’AROP qu’elle a remporté. Surtout, nous allons les faire travailler sur le plan scénique : le rapport à la scène, au public.
Au-delà de la soirée de gala, les chanteurs sont-ils confrontés aux grandes scènes de l’Opéra ou restent-ils cantonnés à l’Amphithéâtre ?
Bien sûr, nous aimerions qu’ils puissent être plus souvent confrontés aux grandes scènes, mais ils investissent tout de même Garnier à plusieurs reprises : pour la remise du prix lyrique, le gala, ainsi que pour des opérations de mécénat de l’AROP. Après, ils ne seront pas tous sur la scène de Bastille dans dix ans. Nous travaillons donc également beaucoup sur la compréhension du rapport à la salle : selon le lieu, on ne chante pas de la même manière et on ne s’habille pas pareil, car les chanteuses ne vont par exemple pas porter une longue robe à traîne à l’Amphithéâtre, ce qui correspond en revanche au contexte de Garnier. De même, à l’Amphithéâtre, le public est trop proche : il ne faut pas surjouer, ce qui peut être utile à Bastille où le public est loin. Dans le même esprit, ils ont participé à l’opération Opéra Pompidou, avec là encore un rapport à l’espace et au public très différent.
L’Académie présente La Ronde de Boesmans : comment s’y sont-ils préparés ?
Ils ont commencé à répéter tout début septembre. Ils ont travaillé avec un chorégraphe sur leur rapport au corps. En effet, La Ronde est un sujet en plein dans l’actualité qui réclame de nombreux contacts physiques, ce qui n’était pas évident quand ils ne se connaissaient pas. Les couples de l’opéra ont donc été formés et ils ont fait un travail de désinhibition au cours duquel ils ont appris à se toucher, à s’embrasser. Ils ont également eu un coaching d’allemand, dont nous apprécions grandement le résultat : même ceux qui ne parlent pas un mot d’allemand ont une bonne prononciation et sont très compréhensibles. Jean Deroyer [le Directeur musical de la production, ndlr] les a également beaucoup fait travailler. Il a une battue très sûre et très précise. Il a été assistant de Pierre Boulez et il connaît très bien cette musique. Son assistant Yoan Héreau, qui vient de finir l’Académie en tant que chef de chant, et qui connait également très bien cette œuvre, a aussi aidé à l’apprentissage des chanteurs.
La gestion de la pression est un élément essentiel de la carrière d’un chanteur : les y préparez-vous ?
Nous les accompagnons sur ces sujets via des cours de Feldenkrais ainsi qu'avec la méthode Alexander. Mais plus que cela, c’est à eux de trouver les ressources dans les mises en situation professionnelles. Par exemple, Jonas Kaufmann [qui est le compagnon de Christiane Lutz, metteur en scène de La Ronde, ndlr], est venu assister à plusieurs répétitions. La première fois, l’un des chanteurs a perdu intégralement ses capacités à cause du trac. Nous en avons discuté pour identifier les problèmes (il ne connaissait pas suffisamment bien sa partition pour rester sûr de lui), et des solutions pour mieux gérer une telle situation à l’avenir.
Ilias Tzempetonidis sera présent à la Première de La Ronde : comment interagit-il avec l’Académie ?
Il les écoute et se rappelle longtemps après de ce qu’il a entendu : lorsqu’il pense à un chanteur pour un rôle, nous organisons une mini-audition. De même, nous organisons dans quinze jours une audition pour le Directeur de casting du Met, comme nous l’avions fait l’an dernier pour Covent Garden : cela passe par Ilias.
Dans le cadre de la saison de l’Académie, vous programmez également SEX’Y (dont l’auteur, Marie-Ève Signeyrole, nous avait déjà parlé en interview il y a 18 mois) : pouvez-vous nous décrire ce projet ?
Cela se fait dans le cadre du pôle Éducation artistique. Ce projet, très expérimental, ne concerne pas les chanteurs de l'Académie puisqu’il se fait avec des amateurs : pendant un an et demi, de jeunes amateurs, étudiants ou en recherche d’emploi, ont ainsi pris des cours de chant avec le chef de chant Morgan Jourdain, des cours de danse avec le chorégraphe Martin Grandperret. C’est très exigeant ! Marie-Ève Signeyrole a mis en scène le Monstre du Labyrinthe qui déjà faisait appel à de nombreux amateurs. Le dispositif scénique inclura le public [comme elle l’a fait pour la Soupe Populaire, ndlr]. Nous voulions un sujet atemporel et qui concerne la jeune génération : l’opéra parlera donc de sexualité. Musicalement, nous voulions décloisonner : c’est donc un groupe électro québécois, les Dear Criminals, qui ont une formation classique, qui ont composé l’œuvre.