Le Festival de Verbier forme les artistes de demain
Au-delà de la présentation d’œuvres de musique classique, le Festival de Verbier se fixe comme objectif de former les artistes de demain. Instrumentistes et chanteurs venus du monde entier, ces jeunes prodiges bénéficient durant toute la durée du Festival, de master-classes et d’occasions de se produire lors des nombreux concerts proposés chaque jour. Les chanteurs ont ainsi bénéficié de plusieurs cycles de master-classes, dont l’un, placé sous la houlette d’Anna Tomowa-Sintow et centré sur l’opéra, et un autre, donné par le baryton Thomas Quasthoff et s’intéressant plus particulièrement au Lied.
L’exercice de la master-class permet à ces jeunes chanteurs de bénéficier des commentaires et des conseils d’artistes expérimentés sous l’œil curieux d’un public souvent connaisseur. Il rappelle qu’avant de peut-être devenir un jour un artiste adulé pour lequel des mélomanes acceptent de traverser le monde, il faut faire cet exercice d’humilité qui consiste à se confronter publiquement à la critique, à butter sur un aigu déraillant sous les rires des spectateurs, et à répéter inlassablement les mêmes trois notes, sans cesse interrompu par un maître exigeant. C’est à ce prix que l’artiste en devenir peut appréhender la précision diabolique d’une interprétation de haut niveau.
Pour le spectateur, ces séances sont également enrichissantes, éduquant des oreilles pourtant fines déjà pour la plupart, à mieux identifier la moindre inflexion vocale, la plus petite accentuation, comme l’œnologue doit toujours affiner l’éducation de son palet. Souvent, les participants, triés sur le volet, commencent par chanter leur air intégralement : déjà, le public apprécie le talent teinté de travail qui permet une interprétation pouvant paraître d’ores-et-déjà d’excellente facture. Pourtant, lorsqu’il le reprend quelques dizaines de minutes plus tard, le saut qualitatif effectué étonne le spectateur dont le corps est cette fois parcouru de frissons. Tel est l’objectif de ces classes : passer d’une bonne interprétation à une interprétation capable de transporter un public. Cela réclame beaucoup d’exigence.
Les deux intervenants de ces cycles ont des styles bien différents. Anna Tomowa-Sintow prépare les jeunes chanteurs à l’interprétation d’Eugène Onéguine qui sera donné début août dans le cadre du Festival. Elle donne ses instructions tantôt en allemand et tantôt en russe. Lorsque nécessaire, la chef de chant Caroline Dowdle, qui accompagne la séance au piano, traduit en anglais les propos, gardant en permanence un œil sur sa partition, un autre sur la professeure, et même un autre encore sur les chanteurs ! Très concentrée sur la technique, la professeure n’hésite pas à montrer l’exemple de son chant, indiquant une inflexion, une variation de nuance ou une accentuation. Elle indique également avec précision les muscles à solliciter pour faciliter l’exécution d’une difficulté technique. À l’occasion d’un piano subito demandé par Tchaikovski, elle initie avec patience un long mais passionnant travail sur la différence entre nuance et intensité du chant : c’est en effet l’apanage des grands artistes que de savoir exécuter des pianissimi si intenses qu’ils emplissent les plus grandes salles de leur son minuscule. Vu le haut niveau des académiciens, le travail se concentre sur des détails : jusqu’où pousser un legato ? Comment clore subtilement une phrase musicale ?
Thomas Quasthoff
Le travail avec le baryton Thomas Quasthoff est différent, plus centré sur l’intention et la prosodie. Accompagnant son propos d’une importante dose d’humour qui réjouit le public, il met en œuvre de nombreuses techniques pour obliger les interprètes à libérer leurs sentiments. La première consiste à leur enlever le pupitre : libérée de cet outil accaparant son attention, la soprano Anna-Maria Palii peut ainsi se concentrer davantage sur les émotions. Pour faciliter sa déclaration d’amour, trop abstraite à son goût, le professeur fait monter un autre élève sur scène pour jouer l’amant : le chant s’en trouve littéralement transformé. Plus tard, pour forcer la chanteuse à se libérer, il vient la titiller, lui chatouillant le bras tandis qu’elle chante. Il cherche avec les élèves le meilleur moment pour respirer afin d’améliorer le phrasé sans nuire à la beauté du chant, ou bien la manière dont la nuance influe sur la diction, rappelant une règle d’or : plus le chant est piano, plus la diction doit être accentuée. Il travaille enfin sur les couleurs vocales, comparant le chanteur à un peintre qui dispose d’une palette infinie pour ériger l’impression d’ensemble que procurera son tableau. Ainsi, chaque mot ou chaque phrase doit produire sa propre couleur, selon le sens révélé par le texte ou par la musique (un passage en mode mineur, par exemple, doit impacter la couleur vocale).
Lorsqu’enfin le chanteur parvient au résultat attendu, un large sourire apparaît sur le visage du chef de chant James Baillieu qui accompagne cette séance au piano, manifestement impliqué, comme l’ensemble des intervenants du Festival, dans le succès de ces jeunes artistes. Comme l’illustre Quasthoff : « Le monde a besoin de bons chanteurs. J’ai eu la chance de chanter avec les plus grands musiciens au monde : j’éprouve le besoin de partager cette expérience avec les jeunes interprètes. La musique est ma vie : trouver de nouvelles couleurs est ma passion. »