Les Promenades musicales du Pays d'Auge : Farinelli à Livarot
Les Promenades musicales parcourent le pays d'Auge, à la frontière du Calvados, de l’Orne et de l’Eure, au pays du cidre et du calva, du camembert, du livarot et du Pont-l'Évêque.
Comme l'annonce son leitmotiv : "15 concerts, 15 lieux, 15 découvertes ! ", les Promenades proposent aux mélomanes des visites guidées en avant-concerts. En ce samedi 22 juillet, le public de Livarot admire ainsi la machine à vapeur qui fournissait l'électricité pour l'usine de boîtes à fromage, avant de se délecter du concert hommage à Farinelli en l'église Saint-Ouen. Le programme propose en effet des airs qui furent interprétés par le castrat superstar du XVIIIème siècle, extraits d'opéras de compositeurs italiens (à l'exception de Johann-Adolf Hasse et George Friedrich Haendel, certes nés en Allemagne mais composant des opéras en italien, avec grand succès en Italie pour l'un, imposant le genre en Angleterre pour l'autre).
Vincent Dumestre (© Per Buhre)
Ce concert est le fruit d'une rencontre et d'un grand travail entre l'Orchestre Régional de Normandie et le Poème harmonique. Élancé, le filiforme chef Vincent Dumestre se colle à son pupitre, s'allonge au-dessus de sa partition et vers ses musiciens. Son dos rebondit avec les souples soubresauts de sa phalange. Ses longs bras à la souplesse remarquable balayent les airs et emportent les élans des douze archets. Il travaille les intentions et l'implication par la densité du son, sans avoir besoin de recourir à de brusques variations de nuances. L'acoustique du lieu met en valeur l'ample timbre des instruments et du chant qui savent articuler avec précision pour mieux déployer des sons filés.
Né à Palerme, comptant à son répertoire des rôles-titres interprétés en Italie, à Nancy ou encore à Versailles, Paolo Lopez est sopraniste, un homme qui chante à la tessiture d'une soprano (avec un son et un placement davantage élevés qu'un contre-ténor).
Les phrases mezzo forte et mezzo piano se répondent. L'ouverture d'Artaserse de Hasse se déploie avec ses contrechants sur temps faibles, puis la musique se suspend pour laisser entrer le chant, amplement articulé, ses paroles dégustées, savourées par la bouche de Paolo Lopez, tour à tour ronde et oblongue. L'ensemble instrumental se meut en une seule vague avec cette mâchoire inférieure agile qui accompagne les ornements. Émouvantes par-dessus tout, les fins de phrases, droites, meurent en volume, tout en conservant leur intense émotion gracieuse. Le sopraniste disparaît certes dans les passages graves mais il conserve son implication et en profite pour fondre sa voix à celle de l'orchestre. La voix de poitrine ancre la douleur, mais sortant du registre pur de sopraniste, elle n'est convoquée qu'en deux moments fugaces mais saisissants.
Dès Polifemo de Porpora et son air "Dolci Fresche Aurette", la voix trouve certaines fréquences qui entrent en résonance avec les voûtes en ogive de la nef octogonale, portée par ses colonnes corinthiennes. L'œil et le sourire du chanteur renforcent le caractère tour à tour mélancolique et vindicatif du programme.
Lopez se fait récitant emporté pour "Nel già bramoso petto" (Iphigénie en Aulide de Porpora). Plongeant dans une humeur mélancolique, la main gauche se serre sur le cœur, la droite se lève, écrase une larme métaphorique. Il balaye l'assistance, puis, soudain, capte et accroche le regard d'un spectateur et le pétrifie.
Une fougue baroque non-maîtrisée prive de justesse et de mise en place le Concerto de chambre pour violoncelle, 2 violons et basse continue d'Antonio Caldara, mais la première violoniste Mira Glodeanu et le claveciniste Clément Geoffroy parviennent tout de même à tirer leur épingle du jeu par leur musicalité à toute épreuve, extériorisée et opulente pour elle, intériorisée et assurée pour lui.
Les phases haletantes des instrumentistes s'enchaînent en des descentes depuis l'aigu, qui se font poignards lorsqu'entre Lopez avec la terrible douleur de "Sposa non mi conosci" (air de La Merope de Geminiano Giacomelli).
Après cette prestation vocale enthousiasmante, le dernier morceau est hélas un incident de parcours. Les aigus savaient auparavant soulever cette voix. Certes, ils étaient parfois lancés avec emportement, mais sur cet ultime air "Senti il Fato" (on sent en effet le triste destin de cet autre extrait du Polifemo de Porpora), ils sont tout bonnement caquetants, dans une mesure ultra-rapide qui pousse à l'effort (mais que les instrumentistes assurent de bout en bout).
Heureusement, la voix se hisse aux altitudes angéliques du bis, le célébrissime Lascia ch'io pianga (Rinaldo de Haendel), indissociable de Farinelli.
Outre les traditionnelles fleurs, les artistes de ce Festival reçoivent pour récompense des produits typiques selon la ville du concert : des miracles à Lisieux, des biscuits d'Orbec, du Pont l'Évêque et bien entendu ce soir du Livarot qui vient mêler son fumet aux odeurs d'encens et de colophane.
Le lendemain, une visite de Beuvron-en-Auge, ville relais sur la route du cidre, avec ses maisons en colombage, mène au concert du trio Georges Sand, où piano, violon et violoncelle se conjuguent au féminin. Leur remarquable entente, leur complicité audible est au service du génie mesuré mais incommensurable de Mozart, son Trio en mi majeur tendant vers les Fantasiestücke de Schumann, tour à tour exaltées et mélancoliques. Les surprises du Trio en la majeur de Haydn réjouissent avant l'émotion abyssale et mordorée de Tristia, transcription effectuée par Liszt lui-même de sa pièce pour piano "La Vallée d'Obermann". L'œuvre et le concert se concluent sur une inspiration, inattendue, un temps suspendu.
Après avoir parcouru Lisieux, Deauville, Mézidon-Canon, Victot-Pontfol, les Promenades musicales poursuivent leur route vers Saint-Ouen-le-Pin, la Briqueterie de Glos, les Greniers à sel d'Honfleur, le Marché couvert de Pont-l’Évêque, la salle des fêtes de Cabourg, avant Saint-Pierre-en-Auge, Orbec et La Chapelle-Yvon.