Teresa Iervolino avant Cenerentola à Garnier : « J'aime les personnages héroïques qui transmettent des valeurs. »
Retrouvez les trois premiers épisodes de notre reportage sur La Cenerentola de Garnier :
- Lisez notre interview avec le metteur en scène Guillaume Gallienne
- Celle avec le chef Ottavio Dantone
- L'entretien que nous a accordé le jeune Ramiro : Juan José de Leon
Teresa Iervolino, vous vous apprêtez à faire vos débuts à l'Opéra de Paris dans le rôle-titre de La Cenerentola, dans la mise en scène de Guillaume Gallienne et sous la direction musicale d’Ottavio Dantone. Quel est votre état d’esprit ?
La première fois que je suis entrée au Palais Garnier, j'ai été subjuguée par la beauté du lieu : c'est un théâtre magique. J'ai ressenti la même chose pour la scénographie lorsque nous l’avons découverte il y a quelques jours. Ce que Guillaume Gallienne a fait de cette œuvre est en parfaite adéquation avec l'idée que je m’en fais personnellement, c’est pourquoi j’ai tout de suite accroché au projet. Guillaume a raison : ce n'est pas un opéra buffo parce que le livret n'est pas comique, mais tragique. Certes, la fin est heureuse, mais le reste de l'histoire est tout de même dramatique. Les enfants que sont Cenerentola et Ramiro sont confrontés à la violence. La seule chose qu'elle veut, c'est trouver la lumière et la liberté. Cette production met en lumière cet aspect. Ce que je trouve intéressant, c'est cette recherche de l'innocence au fond de soi. Ces personnages nous montrent qu'il est possible de trouver la lumière et la liberté. Cenerentola nous donne une vraie leçon : elle montre qu’il est toujours possible de pardonner. Comme elle le dit, sa vengeance est son pardon. Elle ne cherche pas à retourner la violence qu’elle a reçue contre sa famille. Elle désire au contraire qu'ils puissent trouver l'amour et la paix.
Guillaume Gallienne disait qu'en entendant votre voix, il a tout de suite su que vous seriez sa Cenerentola. Comment cela s’est-il passé ?
Notre première rencontre a été fantastique. C’était ma deuxième performance en tant que Cenerentola : je venais de prendre le rôle. Il était à la porte de ma loge et m'a félicitée avec beaucoup d’enthousiasme. J’étais très impressionnée car je ne m’y attendais pas du tout. Nous avons dîné ensemble et avons chacun exposé nos idées à l'autre. Une réelle connexion s'est immédiatement créée. Il semblait très admiratif, il m'a fait beaucoup de compliments. J'en ai pleuré d'émotion, parce que c'est très rare qu'un lien comme celui-ci se crée avec un metteur en scène.
Guillaume Gallienne et sa Cenerentola : Teresa Iervolino (© Eléna Bauer - Opéra national de Paris)
Qu'avez-vous appris de Guillaume Gallienne ?
Mes collègues et moi avons appris beaucoup de choses, mais je crois que la plus importante d'entre elles, c'est l'importance à donner aux détails. Chaque regard, chaque mouvement, même le plus léger mouvement du petit doigt, a son importance. En tant que chanteurs, nous pensons toujours plus à notre voix qu'au jeu. Bien sûr, nous savons jouer et interpréter notre personnage, mais il faut transmettre l'énergie de ce personnage que nous incarnons. Le public ressent cette énergie.
Quand avez-vous appris que vous chanteriez à Paris ?
C'était il y a deux ans, lorsque j'ai auditionné dans ce théâtre. Dès que j'ai mis un pied ici, tout le monde est devenu comme une famille. Ils m'ont fait me sentir à l'aise, ce qui est très important, surtout pour un jeune chanteur. Lorsque j'ai appris que je chanterais ici, j'étais très heureuse, c'était un rêve devenu réalité. Je n’ai pas célébré cette nouvelle : j'ai immédiatement commencé à étudier la partition et le rôle. Chaque fois que j'apprends que je vais participer à une production, je me mets tout de suite au travail pour que tout soit parfait et pour canaliser mon excitation.
Votre répertoire est très rossinien, comment l'expliquez-vous ?
J'adore Rossini et le pouvoir qu'il a de transformer quelque chose de tragique en comique. C'est la musique qui crée cette transformation. Il se moque des personnages et tourne les situations en dérision. C'est fou. Je me souviens du premier opéra que j'ai écouté : La Bohème de Puccini. J'étais tellement émue que j'en ai pleuré. Mais je me suis vite rendu compte qu’en tant que mezzo, et même contralto, Puccini n'était pas fait pour moi. Puis j'ai écouté Rossini et je me suis dit qu'on était tous les deux un peu fous, et que ça marcherait. Aujourd’hui, en effet, je chante beaucoup ce répertoire : j’avais une Cenerentola avant cette production, et j’aurai une Cenerentola après, puis un Tancrède et une Italienne à Alger. Je suis très reconnaissante envers Rossini de me permettre de tant travailler !
Teresa Iervolino (© Victor Santiago)
Vous chantez également du Haendel : en quoi sa musique est-elle différente de celle de Rossini ?
C'est une façon différente d'exprimer les émotions. Rossini est fou, et voile des situations tragiques sous une musique comique. Au contraire, Haendel est transparent. Il a écrit de beaux rôles de femmes puissantes, comme Bradamante [dans Alcina, ndlr] ou Rosmira dans Partenope, que j’ai enregistré. J'adore aussi sa manière de peindre les situations dramatiques, où tout est suspendu et où il ne reste que la musique. C'est très beau. J’aime aussi beaucoup Monteverdi. J'ai aussi chanté du Donizetti, notamment Orsini dans Lucrèce Borgia : ce rôle est parfait pour ma voix.
Quel est votre rôle préféré ?
Il est très difficile de choisir. Je pense que ce serait Cenerentola ou Tancredi. C'est une histoire de destin et d'honneur. J'aime les personnages héroïques. À travers ces rôles, j'aime transmettre au public un sens et des valeurs.
Comment êtes-vous devenue chanteuse d’opéra ?
Au début, j'étudiais le piano et la composition pour être chef d'orchestre. La musique m'a beaucoup aidée dans la vie. Je chantais beaucoup de musique pop. Un jour, mon père m'a encouragée à étudier la technique vocale : comme la pop ne s’enseignait pas, il voulait que j’étudie le chant lyrique. Je m’y suis opposée un moment, puis, un jour, j'ai écouté La Bohème avec Pavarotti et Scotto, dirigé par Levine. À la fin de l’œuvre, j'étais en larmes : j'ai décidé que je deviendrais chanteuse d'opéra. J'ai arrêté mes études pour aller au conservatoire où je suis restée trois ans. En 2011, j'ai postulé à des concours et j'ai fini par en gagner un au bout d'un an, puis d'autres, et ma carrière a commencé. La première fois que j'ai chanté, ce n'était pas un opéra, mais un ballet ! Il s'agissait de Pulcinella de Stravinsky. C'était fou et divertissant. Puis j'ai écouté Rossini, et j'ai commencé à étudier sa musique. Haendel et Monteverdi sont arrivés plus tard.
Vous reviendrez l'année prochaine à Paris avec Falstaff en version concert à la Philharmonie : qu’en attendez-vous ?
Ce sera une nouvelle expérience. Ce n'est pas un Verdi traditionnel. J'adore Falstaff qui est d’ailleurs encore un opéra à morale.
Quels sont vos projets pour la saison prochaine ?
Je vais faire mes débuts au Festival de Salzbourg avec Lucrecia Borgia, que je reprendrai à Munich, avec la grande Edita Gruberova et Juan Diego Florez qui est l'une de mes idoles. Ensuite, je serai à Nancy avec L'Italienne à Alger. Je chanterai mon premier Arsace dans Semiramide à La Fenice : c'est encore un rêve qui se réalise !