Juan José De León avant Cenerentola à Garnier : « la simplicité est souvent la plus belle chose qui soit »
Retrouvez les trois autres épisodes de notre reportage sur La Cenerentola de Garnier :
- Lisez ici notre interview avec le metteur en scène Guillaume Gallienne
- …et là celle avec le chef Ottavio Dantone !
- Notre entretien avec Teresa Iervolino, la lumineuse Cenerentola.
Juan José de León, vous vous apprêtez à chanter le rôle de Ramiro dans La Cenerentola au Palais Garnier, dans la mise en scène de Guillaume Gallienne et sous la direction musicale d’Ottavio Dantone : comment vous sentez-vous dans cette production très attendue ?
Nous sommes en pleines répétitions. Aujourd'hui, nous avons répété dans les décors et avec les costumes : cela permet de voir s’ils gênent dans certains mouvements. Par exemple, à la fin, Cenerentola porte une très longue robe et un voile : il lui est plus difficile de se mouvoir. Ce sont des répétitions très difficiles pour les chanteurs parce que nous passons de longs moments debout sur scène, à attendre. Mais ces répétitions sont très importantes parce qu'elles permettent aux techniciens de répéter.
J'ai beaucoup de chance de faire partie de cette distribution. C'est un groupe de chanteurs fantastiques, et des collègues géniaux. J'ai eu le privilège de jouer aux côtés de Teresa Iervolino par le passé. Toute l'équipe est très jeune et dynamique. Tout le monde s'entend bien, ce qui est très important, notamment pour de la musique d'ensembles, comme l’est celle de Rossini. Si l'alchimie entre les chanteurs n'est pas bonne, celle entre les personnages ne l'est pas non plus sur scène.
Juan José de León (© DR)
La mise en scène est très différente de ce qui est fait d'habitude sur cette œuvre. Pouvez-vous nous en parler ?
Elle a été modelée par l’expérience de Guillaume Gallienne à la Comédie Française et au cinéma. À l’opéra, les acteurs ont tendance à jouer de manière très étendue, pour que les personnes au fond de la salle puissent les voir. Le Palais Garnier étant une salle plus intimiste, Guillaume Gallienne voulait que nous soyons plus dans la vérité des émotions, sans surjouer. Seul Don Magnifico dispose de passages qui se prêtent à une interprétation buffa. En dehors de ces quelques passages, cette version de La Cenerentola n'est pas buffa, contrairement à ce qui se joue partout dans le monde : nous essayons de faire ressortir la vérité de chaque personnage.
Quelle est la vérité de votre personnage dans cette production ?
Le fil rouge pour tous les personnages est la perte d'innocence : nous la perdons tous d'une manière ou d'une autre. Pour mon personnage, nous jouons sur l'idée qu'il est handicapé d'une jambe et qu'il est né comme ça. Ramiro est un Prince, il se sent donc différent des autres à double titre. Pour lui, toute l'histoire commence lorsqu'il veut trouver le grand amour, quelqu'un qui l'aime pour ce qu'il est et non pour son titre. C'est pour cela qu'il se déguise. Ce handicap ajoute ainsi de la profondeur au personnage : cela permet de découvrir son côté fragile. Puis, peu à peu, grâce à l'aide des autres personnages, il trouve la Cenerentola. L'homme qui sommeille en lui s’éveille alors. Il ne s'apitoie pas sur son sort, mais il n'a pas encore assez d'assurance pour prendre les choses en main. Même lorsqu'à la fin il décide de la retrouver, il a peur. Il finit par laisser sa colère s'exprimer librement contre Magnifico et ses filles lorsqu'il annonce qu'il désire l'épouser et que ces derniers rigolent. Pour la première fois, le public le voit enfin comme le prince qu'il est. À la fin, lorsque le couple se retrouve, le cercle se referme : il retrouve son innocence avec elle. Elle a éveillé en lui l'homme, mais avec elle, il reste un garçon.
Comment cette vision du personnage influence-t-elle votre chant ?
Je pense que ça m'aide à chanter. La voix se libère parce que je ne pense plus de façon technique, mais émotionnelle. Je pense à chaque mot et à ce qu'ils expriment l’instant de l’intrigue où ils sont prononcés. C'est l'essence même du jeu d'acteur. Guillaume vous observe et s'assure que vous pensez à ces détails : c'est formidable pour un chanteur. Beaucoup de chanteurs d'opéra n'ont jamais reçu une telle formation au jeu. Cela rend les moments tendres, plus tendres encore. Les passages de colère sont vrais, et la voix suit. De bien des façons, cela a rendu ma voix plus chaude et plus riche. Je n'ai pourtant rien changé à la technique. Dans ce costume, avec ce handicap à jouer, je suis aussi plus à l'aise, plus subtil, plus simple. Je ne cours pas dans tous les sens !
Guillaume Gallienne dirigeant ses chanteurs (© Eléna Bauer - Opéra national de Paris)
Quels conseils de Guillaume Gallienne garderez-vous en tête pour les productions futures ?
La chose la plus importante que j'ai apprise de Guillaume est que la simplicité est souvent la plus belle chose qui soit. Si votre jeu est réfléchi, vous dressez un mur entre le public et vous. Il nous répète souvent : « Ne joue pas le personnage : sois le personnage ! ». Sur scène, je suis souvent très énergique, dans une sorte de frénésie anxieuse. Je cours dans tous les sens. Cet aspect va beaucoup m'aider à l'avenir parce que je commence à me rapprocher d'un répertoire plus lyrique, tel que Bellini, qui réclame ce type de jeu.
Vous avez joué dans La Cenerentola à Limoges en avril (lire notre compte-rendu), sous la direction d’Antonello Allemandi (à retrouver ici en interview). Musicalement parlant, en quoi son approche était-elle différente de celle d’Ottavio Dantone ?
Ils sont tous les deux géniaux à leur manière. Je dirais que la grande différence, c'est qu'Allemandi a dirigé des centaines de Cenerentola, alors qu'il s'agit de la première d'Ottavio. Allemandi tire son interprétation de l'expérience : il connaît très bien Rossini, ce répertoire est au centre de sa carrière, et cela favorise les versions les plus buffa. Ottavio a posé sur l’œuvre un regard neuf. Il n'a pas voulu aller dans le sens du public et faire ce à quoi les gens s'attendent. Il a par exemple accepté de faire les longues pauses que demandait Guillaume pour réaliser des effets théâtraux. Beaucoup de chefs auraient refusé. En ce qui concerne mon rôle, c'est l'air que Ramiro chante à la fin du premier acte qui change. La plupart du temps, les chefs demandent à ce qu'il soit chanté au tempo. Là, Dantone m'a demandé de le chanter comme une chanson napolitaine, avec beaucoup de voix. Cette approche m’a donné plus de liberté dans le chant. Ces deux expériences étaient formidables, mais je pense que travailler avec Ottavio m'a laissé plus de liberté quant au jeu.
L'année dernière, vous avez chanté dans Capriccio avec Chiara Skerath (lire notre compte-rendu) : êtes-vous heureux de la retrouver ?
Chiara est une très bonne amie. Nous nous sommes rencontrés l'année dernière et comme nous formions un duo de comprimari [rôles secondaires, ndlr], nous nous sommes vite rapprochés. C'est une belle personne : elle est toujours souriante et drôle. C'est une joie pour moi que de jouer avec elle à nouveau, même si nos rôles sont très différents. Nous nous sommes beaucoup amusés à jouer un couple d'italiens qui se disputent. Cette année, son personnage me regarde avec mépris parce qu'il pense que je ne suis qu'un valet. C'est très drôle de jouer avec elle. Elle est brillante !
Juan José de Leon et Chiara Skerath dans Capriccio (© Vincent Pontet / OnP)
Prévoyez-vous déjà de revenir jouer à Paris ?
Rien n’est encore planifié mais je l'espère ! Je souhaite que ma relation avec l'Opéra de Paris puisse continuer. Je suis très honoré qu'ils me laissent chanter un tel rôle dans une production si attendue, à mon âge. Ma carrière professionnelle est très jeune, j'ai terminé mon Programme pour jeunes artistes en 2013. Jouer Ramiro à Garnier, c'est le rêve ! Le personnel de l’Opéra est très chaleureux : c'est génial d'évoluer dans cet environnement.
Vous avez mentionné vos débuts dans le répertoire bellinien, pouvez-vous nous parler de ce projet ?
Il s’agit de La Somnambule à Stuttgart. Je n'ai pas encore commencé à étudier la partition, je suis un peu nerveux. Bellini fait partie du répertoire bel canto : je pense que ma voix sera très adaptée. Rossini repose sur de merveilleuses coloratura et un ton comique. Bellini est un tout autre animal : il fait partie d'un répertoire plus lyrique, nécessitant de longs phrasés legato. Ce sera une première pour moi, même si j’ai déjà chanté des petits rôles dans Falstaff et Capriccio.
À quoi ressemblera votre prochaine saison ?
Je vais avoir un peu de temps libre après cette production. Puis, dès la rentrée, je pars pour Düsseldorf pour chanter La Cenerentola, que je jouerai aussi à Montréal. Je chanterai La Somnambule à Stuttgart, puis je jouerai mon premier Turc en Italie à Sydney.
Quels autres rôles aimeriez-vous jouer ?
J'ai toujours voulu chanter Le Duc dans Rigoletto, Alfredo dans La Traviata et Edgardo dans Lucia di Lammermoor. Nous verrons ensuite le chemin que ma voix prendra. J'ai toujours voulu chanter des rôles s’éloignant des princes vers lesquels mon registre vocal me retient pour l’instant. Bien sûr, j’ai toujours voulu chanter Pinkerton dans Madame Butterfly, mais je sais bien que cela n’arrivera probablement jamais. En revanche, dans une maison bien choisie, pas trop grande, je pourrais peut-être chanter plus tard un Rodolfo (La Bohème). J'essaie de ne pas trop m'attacher aux rôles que je pourrais aborder à l'avenir car c'est la voix qui les dicte. De nombreux jeunes chanteurs ont fait l’erreur de ne pas assez écouter leur voix et ont vu leur carrière s'arrêter prématurément en se jetant vers des répertoires inadaptés. J'aimerais que ma carrière ressemble à celle d'Alfredo Kraus, qui était un chanteur très intelligent !
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