David Hermann avant Ariane à Naxos, à Nancy : « Véritablement aimer le théâtre »
David Hermann, pourriez-vous nous dévoiler les enjeux de votre mise en scène d’Ariane à Naxos ?
Ariane à Naxos est en fait composé de deux opéras. Le Prologue est une pièce effrénée, presque une comédie (montrant les coulisses, les événements fous qui s’y déroulent et la nervosité générale). L’enjeu était donc de trouver l’énergie folle du trac, mais aussi de la créativité. Pour souligner cette créativité, la scénographie défie la logique : des portes s’ouvrent sur un élément, puis sur un autre quelques instants plus tard. La créativité change le monde. Il y a même une opposition entre deux visions de la créativité : celle du compositeur (raisonnée) et celle de Zerbinetta (spontanée). Puis, dans l’opéra lui-même en deuxième partie, l’enjeu est de révéler les deux aspects de Strauss : la violence de Salome et Elektra ainsi que le rococo de Capriccio et du Chevalier à la rose. J’ai cherché l’Elektra dans Ariane, avec une peinture colorée à la Watteau, très belle et mélancolique, en parfait contraste avec le drame sombre.
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Comment se déroulent les répétitions ?
Très bien. Le travail avec les 17 chanteurs est très intéressant. Je suis très content du casting, ils se soutiennent dans une belle dynamique d’équipe.
Vous laissez les interprètes apporter des propositions ?
Oui. Je cherche à comprendre leur expérience et à leur transmettre l’idée, puis je leur laisse de la liberté pour trouver des nuances, des variations, explorer de nouveaux aspects. L’échange les stimule.
Participez-vous au casting vocal ?
Cela dépend. Berlin est loin de Nancy, et j’aime me laisser surprendre, mais j’ai donné mon avis.
Quelle est pour vous la qualité principale d’un interprète ?
D’intérioriser les situations. Être complètement dans le jeu tout en sachant communiquer avec la voix.
Pourriez-vous nous parler du travail avec Rani Calderon, chef d’orchestre et directeur musical de Nancy ?
C’est très intéressant pour moi car il connaît très bien cette partition très riche. J’ai encore appris plein de choses ! Il est aussi très réactif, positif et ouvert, notamment à cette part sombre. Ce n’est pas toujours le cas. Beaucoup de chefs se désintéressent. Ils ne sont pas présents et ils viennent trop tard pour le travail, c’est très frustrant, très désagréable. J’avais beaucoup de tolérance dans ma jeunesse, mais je ne supporte plus les chefs qui travaillent très tard. Travailler avec eux, ne serait-ce qu’un an avant est alors impossible : ils ne connaissent pas la partition. Un chef d’orchestre doit véritablement aimer le théâtre. C’est le cas de Rani, qui a une conception globale et fait aussi des propositions très justes sur le rythme d’ensemble.
Qu’en est-il de la collaboration avec le reste de l’équipe scénique ?
J’ai déjà beaucoup travaillé avec Fabrice Kebour, l'un des éclairagistes les plus sensibles que je connaisse. Il est très présent et attentif durant les répétitions. C’est ma première collaboration avec Paul Zoller mais j’ai déjà beaucoup apprécié ses décors, de même pour Michaela Barth qui a beaucoup travaillé sur le théâtre parlé, notamment avec Michael Thalheimer pour les grands classiques Grecs : parfait pour Ariane à Naxos !
Ariane à Naxos par David Hermann (© Opéra National de Lorraine)
Quelle importance accordez-vous à l’accueil du public ?
C’est compliqué. Je ne suis présent qu’à la première et le public y est différent. Je demande ensuite comment le spectacle a été reçu, j’aime bien sûr l’enthousiasme et les énergies positives, mais cela ne me dérange pas si des spectateurs se sentent remués. Un mixe me va bien. En revanche, si le public déteste absolument, c'est que quelque chose a dû être raté : ce n’est pas le but du théâtre.
Lisez-vous les critiques ?
Oui, les mauvais papiers sont assez blessants et les articles sont souvent très courts, passant avec quelques mots sur un travail complexe, ou bien le journaliste donne sa propre vision de la pièce. Les articles qui me plaisent décrivent au lecteur une vision, le laissant aussi se faire son avis.
Que faites-vous un jour de première ?
Je suis nerveux. J’arrive tôt au théâtre et je vais un peu partout, pour remercier et si besoin pour régler certaines choses. Parfois je reste pour la représentation. Souvent, je reste dehors et je pense. Pour Ariane à Naxos, j’hésite encore, je vais peut-être assister à la première partie.
Vous venez de finir une trilogie d’opéras de Křenek à Francfort (Der Diktator, Das Geheime Königreich et Schwergewicht), comment y avez-vous travaillé ?
Francfort a fait la demande trois ans en avance, ce qui a permis de connaître les œuvres, de les concevoir. Il y a aussi des liens avec Ariane à Naxos : nous avons fait un triptyque de Krenek et Ariane à Naxos est en fait un double opéra (j’avais donc 5 opéras dans l’esprit). Pour Krenek, nous avons construit un fil rouge avec le dictateur, en composant une connexion intime entre les pièces et une narration du déclin. Le dictateur devient finalement fou, se prenant pour l’empereur des oiseaux.
Quel bilan tirez-vous de votre dernière venue à Nancy, pour l’Armide de Lully en 2015 ?
J’ai beaucoup appris et fait de découvertes sur cette œuvre grâce au travail avec le chef Christophe Rousset. J’étais également content du travail vidéo et technologique pour retraduire l’enchantement très présent dans cet opéra. J’adore ce travail avec deux temporalités sur scène : baroque et moderne. En tant que novice dans le répertoire français, je me suis senti très à l’aise.
Et la production précédente, Iolanta en 2013 ?
C’était une production très moderne et futuriste, que je retravaillerais peut-être pour la connecter davantage à la Lorraine. J’ai voulu construire un grand contraste, par la distance entre la musique très expressive de Tchaïkovski et une esthétique scénique assez froide.
Qu’est-ce qui vous attire autant à l’Opéra de Nancy ?
L’Opéra de Nancy n’est pas un théâtre de répertoire, il est donc concentré sur une production pour quatre semaines. Le décor reste ainsi sur scène, ce qui permet un travail beaucoup plus fin sur la scénographie. C’est un vrai luxe par rapport aux opéras allemands qui enchaînent les œuvres.
En outre, la taille est idéale pour les prises de rôle et j’ai un grand plaisir à travailler avec des chanteurs pour leur première interprétation d’un personnage. Enfin, la ville est très ouverte et le public très passionné. Ils n’ont pas peur de lectures approfondies et modernes. Nancy est une très belle ville, étudiante et jeune. Je suis toujours impressionné par la quantité de classes qui viennent assister aux répétitions. Je suis très heureux de voir des dizaines d’élèves, de collégiens (le public de demain) concentrés, qui sentent le travail, sa dimension réactive.
Cela ne vous dérange pas d’être observé pendant votre travail ?
Pas du tout. J’y suis très ouvert. J’ai senti ma propre vocation du théâtre en assistant à des répétitions et le “virus” de la scène se transmet ainsi.
L'Italienne à Alger par David Hermann, Nancy 2012
Est-ce que vous adaptez vos mises en scène à la ville de représentation ?
Oui, notamment sur Nancy, j’ai travaillé sur le lieu. Pour Armide, nous avons ainsi fait un grand travail sur le Prologue (une ode au Roi) en tournant un film dans lequel Stanislas se rend à l’Opéra. Pour cette Ariane à Naxos nous avons créé un Prologue avant le Prologue : le spectateur va entendre de la musique en entrant dans le foyer. J’ai voulu cette installation pour le très beau foyer de Nancy.
Selon vous, combien de temps doit vivre une mise en scène ?
Bonne question. Je ne suis pas triste lorsqu’une mise en scène disparaît. Le travail se fait beaucoup avec les acteurs. Une mise en scène demande du temps pour s’adapter à d’autres artistes. Je préfère qu’elle disparaisse plutôt que de survivre dans une qualité moindre. D’ailleurs, si beaucoup de spectateurs ont vu une mise en scène de qualité, elle continue à vivre par leur souvenir et leur parole. Par exemple, il n’y a eu que cinq représentations de l’Orestie de Xenakis (au Deutsche Oper de Berlin, en septembre 2014) pour un petit public. Beaucoup de gens voulaient voir cette production ensuite, alors ils se sont informés, s’y sont intéressés.
Orestie de Xenakis mise en scène par David Hermann (© DR)
Comment arrive-t-on à monter des œuvres allant de Monteverdi à Xenakis ?
C’est ce qui me fascine beaucoup dans ce travail : la différence entre les projets. Je commence toujours par une page blanche et j’apprends toujours un élément nouveau. J’aime me promener dans différents genres et surprendre. C’est même très important pour moi d’avoir plusieurs écritures. Avoir une “signature” ne m’intéresse pas du tout, seulement faire un travail de qualité.
Que pouvez-vous nous dire de votre prochaine mise en scène : De la maison des morts de Janáček à Francfort ?
Patrice Chéreau a fait une mise en scène qui plane sur cette œuvre, je suis content qu’elle soit encore donnée mais il met la barre très haut.
Comme tous les étés depuis quatre ans, je vais également au Viet-Nam faire une Chauve-Souris. Je tiens beaucoup à cette collaboration avec le Goethe Institut et cette belle petite maison d’opéra à Hô-Chi-Minh-Ville initiée par les français. Ils ont un orchestre, une troupe, un chœur et un ballet mais peu d'expérience dans les opéras. Nous avons déjà fait La Flûte enchantée et j’aime énormément leur envie d’apprendre.
Quand et pourquoi avez-vous décidé de devenir metteur en scène ?
C’était un hasard. J’avais un don pour la musique (le piano) et le théâtre. Après le baccalauréat, je voulais devenir manager dans la culture, mais en lisant les brochures de formations, j’ai vu “mise en scène d’opéra” à la page suivante. J’ai postulé, j’ai été pris.
Quel souvenir gardez-vous de vos études à la Hochschule für Musik „Hanns Eisler“ de Berlin ?
Ambivalent. C’était sévère et dans l’esprit d’Allemagne de l’Est avec beaucoup de Brecht, de Hegel. Je n’y étais pas du tout à l’aise. Au bout de deux ans je voulais abandonner. Heureusement, j’ai rencontré Hans Neuenfels, le grand penseur du Regietheater allemand [tradition théâtrale dans laquelle le metteur en scène peut changer des éléments de l’œuvre, ndlr] et je suis devenu son assistant. J’ai alors compris la liberté artistique.
Vous avez remporté l’International Competition of Staging and Stage Design de Graz en 2000, qu’est-ce que cela représentait pour vous ?
Je n’avais que 23 ans et je n’étais pas sûr d’avoir assez de talent pour passer d’assistant à metteur en scène. Ce prix était donc un bon signe. Mais il ne m’a pas du tout aidé (rires). J’ai postulé à des maisons d’opéra, mais malgré ce prix, j’étais vu comme trop jeune. Le prix était assorti d’un engagement pour une mise en scène, mais à cause de changements de directeurs, je n’ai jamais vu cette mise en scène.
Retrouvez très prochainement notre compte-rendu d'Ariane à Naxos par David Hermann à l'Opéra de Nancy