Ottavio Dantone pour La Cenerentola par Guillaume Gallienne : « Nous sommes tout de suite tombés d'accord. »
Retrouvez les trois autres épisodes de notre reportage sur La Cenerentola de Garnier :
- Lisez notre interview avec le metteur en scène Guillaume Gallienne
- L'entretien que nous a accordé le jeune Ramiro : Juan José de Leon
- Notre interview de Teresa Iervolino, la lumineuse Cenerentola.
Ottavio Dantone, pourriez-vous retracer pour nous l'historique d'une telle production ?
Le travail a commencé bien avant les premières répétitions, par la rencontre avec Guillaume Gallienne. Nous avons parlé de la mise en scène et nous sommes tout de suite tombés d'accord. Je suis très intéressé par cette vision méditerranéenne, napolitaine avec un décor qui exprime la décadence de la famille, sa destruction potentielle avec la lave qui colle à la scène. Il exprime l'aspect mélancolique de l'histoire, avec une fin amère : Cenerentola devient reine et pardonne, mais depuis une position de supériorité, de domination, comme dans la Clémence de Titus.
Surtout, j'ai tout de suite vu que Guillaume Gallienne est un metteur en scène théâtral et j'en suis très content car ce sont des artistes très concentrés sur l'expression naturelle des gestes. Il permet au chanteur de transmettre exactement l'émotion. Les interprètes écoutent, réagissent au rythme, aux silences.
Retrouvez notre interview exclusive avec Guillaume Gallienne
Puis, nous avons fait la répétition musicale, avec les chanteurs, pour bien définir les tempi, les cadences, le style vocal. J'ai beaucoup dirigé Rossini et je cherche toujours à éviter à la fois l'excès de légèreté et de drame. Cela se joue dans ce travail musical : la tristesse et la mélancolie ne doivent pas forcément imposer un tempo lent, elles peuvent s'incarner par les nuances, les effets. C'est notamment pour cela que j'établis un accord avec le metteur en scène. J'aime pouvoir intervenir aussi pendant le travail de mise en scène et je laisse également le metteur en scène intervenir pendant le travail musical. Il n'y a pas : "la répétition du Chef d'orchestre" contre "la répétition du Metteur en scène". J'aime être le plus présent possible durant les répétitions, sentir les respirations même. Nous faisons un travail en commun. C'est excellent : le spectacle se monte comme un ensemble.
Pour faire travailler l'orchestre, nous avons eu une lecture et deux Italiennes, mais ces musiciens sont très habitués à ce répertoire. Ils ont joué Cenerentola en novembre 2012 et ils sont très à l'écoute, très flexibles. J'ai apporté des changements, mais rien n'est définitif avant le travail à Garnier.
Marie Lambert (Collaboration artistique), Guillaume Gallienne (Mise en scène) et Ottavio Dantone (Direction musicale) - La Cenerentola en répétitions (© Eléna Bauer - Opéra national de Paris)
La vision de Guillaume Gallienne doit beaucoup influencer votre travail.
Son approche est très respectueuse de la musique et je travaille avec les idées théâtrales. Par exemple, lors du duetto Dandini / Don Magnifico, Guillaume Gallienne a demandé de jouer davantage la surprise, alors j'ai adapté les dynamiques (je suis sûr que beaucoup de choses changeaient à l'époque de Rossini). De même, je peux demander de rapprocher le chœur pour des raisons musicales. C'est une collaboration, la musique doit servir le texte et réciproquement.
L'autre idée révolutionnaire, c'est la harpe ! Guillaume Gallienne avait cette vision mélancolique et amoureuse. Il a demandé si le récitatif pouvait être fait avec la harpe. Et pourquoi pas ? À l'époque, elle était aussi un instrument de basse continue et le choix des instruments du continuo n'était pas figé, il dépendait des théâtres. Rossini n'a pas mis "harpe" dans le continuo, mais il n'a pas non plus mis "forte-piano", il a juste écrit basse. J'ai aussi ajouté la harpe dans l'orchestre, à quelques moments, afin qu'elle donne à timbre onirique.
Depuis combien de temps travaillez-vous à cette Cenerentola ?
Deux ans.
Votre travail de musicologue a dû vous aider dans ce choix.
La musicologie permet de constater que l'expression musicale a beaucoup changé entre le baroque et le XIXe siècle, mais par un mouvement graduel. Des gestes demeurent, documentés par des ouvrages. Par exemple, le plus bel ornement de la voix, le messa di voce [tenue d'une ligne avec crescendo puis decrescend
L'époque était un passage vers le romantisme, mais toutes les indications ne sont pas encore écrites. Un autre élément important est la conception du forte. Par exemple, Rossini peut écrire fortissimo tutta forza (ou ffff avec tous les vents dans La Petite messe solennelle). Les indications sont très importantes, mais il faut interpréter leur caractère, opérer une alchimie.
La vraie philologie musicale ne consiste pas simplement à utiliser la partition et les instruments d'origine, mais à faire une recherche sur le langage. On peut jouer bien ou mal sur instruments modernes et d'époque. C'est pourquoi la présence d'une harpe ne doit pas être un scandale, comme le nombre de violons (qui dépendait aussi des théâtres). Plus j'ai de temps, plus je vais chercher les détails dans la partition : le choix le plus précis des nuances, le travail des voix intermédiaires (par exemple, demander aux altos de mettre le vibrato sur la dissonance) permet le raffinement. Dans Rossini, il se passe beaucoup de choses au milieu de l'orchestre.
Le travail ne change-t-il pas absolument entre instruments anciens et modernes ?
Quand l'orchestre a fait un travail sur l'expression de la musique, les deux sont possibles. Avec les instruments anciens, les nuances, les messa di voce sont plus faciles. Mais les instruments modernes peuvent obtenir les effets, avec concentration. À Turin, j'ai fait un Vivaldi qui passait très bien avec un orchestre moderne et passionné.
Cela change-t-il complètement votre gestuelle ?
Avec l'orchestre moderne, il faut diriger très précisément. J'ai beaucoup de respect pour l'habitude des instrumentistes modernes à suivre une direction très détaillée. J'ai commencé avec la baguette mais je ne l'utilise plus parce que la main autorise davantage de douceur, de souplesse dans les tempi modérés.
Votre métier de claveciniste doit beaucoup vous aider.
Oui, j'ai beaucoup accompagné les chanteurs et je prends le piano pendant des répétitions.