En Bref
Création de l'opéra
La Quête du Graal
Parsifal vient de Perceval, nom d'un célèbre Chevalier de la Table Ronde, autour de laquelle ils se réunissaient avec le Roi Arthur dans le Château de Camelot, pour organiser la quête du Graal (coupe dans laquelle Jésus aurait bu durant son dernier repas et dans laquelle aurait coulé son sang durant sa crucifixion). Wagner s'inspire de cette légende, notamment telle qu'elle est narrée par l’épopée médiévale Parzival de Wolfram von Eschenbach (début du XIIIe siècle) que Wagner découvre en 1845 et dans Perceval ou le Conte du Graal de Chrétien de Troyes (fin du XIIe siècle). Wagner conçoit le projet d'un opéra dédié à Perceval dès le mois d'avril 1857, le compositeur relate même une légende selon laquelle il aurait eu la révélation avec un rayon de soleil le jour du Vendredi Saint, alors qu'il était hébergé à "l'asile", résidence mise à sa disposition par les Wesendonck, couple de mécènes. Wagner s'amusera toutefois lui-même de cette légende, tout simplement impossible puisqu'il n'était pas encore présent chez les Wesendonck le jour du Vendredi Saint cette année-là. Wagner délaisse ce projet jusqu'en 1865 (pour finir Tristan et Isolde, mais aussi commencer Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg). Il s'interrompt de nouveau jusqu'en 1876 (pour se consacrer à sa Tétralogie) et il y travaille jusqu'au mois de janvier 1882 (six mois avant la création à Bayreuth).
Dimensions bibliques
Dès le 12 novembre 1880, Wagner offre le Prélude de Parsifal en avant-première au Théâtre de la cour à Munich pour Louis II de Bavière, son mécène qui construisit pour lui le Palais des Festivals de Bayreuth (Festspielhaus). L'opéra intégral est ensuite créé le 26 juillet 1882 lors de la deuxième édition du Festival de Bayreuth. Wagner suit de près le travail de tous les interprètes, une habitude pour ce compositeur attaché à ce que le résultat soit à la hauteur de ses partitions très exigeantes, d'une dimension inédite à l'époque. La fosse est dirigée par le chef d'orchestre allemand Hermann Levi (même si Wagner s'était compromis par des textes antisémites, il fut contraint d'accepter ce chef d'orchestre, qui travaillait à l'Opéra de Munich, auquel Wagner avait cédé des droits). Wagner prend même la baguette pour la seizième représentation (la dernière de cette première série en juillet-août 1882 à Bayreuth) afin de mener l'impressionnant effectif de 107 musiciens, 135 choristes et 23 solistes (Levi reprend la baguette pour la scène finale) pour cet opus durant environ 5 heures avec les entractes. Wagner représente ainsi le paroxysme du romantisme, notamment en faisant croître l'orchestre jusqu'à des effectifs inédits (c'est notamment pour pouvoir héberger tous ces instruments que Wagner fait construire Bayreuth et son imposante fosse, cachée du public pour davantage d'immersion). La richesse de l'harmonie et l'amplitude sonore s'en ressentent.
La mise en scène est confiée à Max Brückner et Paul von Joukowsky, qui prennent conseil auprès de Wagner lui-même. La salle du Graal s'inspire ainsi de la Cathédrale de Sienne (que Wagner avait visitée en 1880), le jardin magique de Klingsor prend pour modèle celui du Palazzo Rufolo à Ravello. Le rapport entre la musique et la mise en scène est très construit, minuté. Ainsi, lors de la première représentation, un retard dans le mouvement du plateau entre les deux premières scènes entraîna un décalage avec la musique, l'interlude orchestral de Wagner étant déjà terminé.
Monopole
Plus marquant encore, il restera interdit de monter Parsifal en-dehors de Bayreuth. Hormis huit représentations privées pour Louis II à Munich en 1884 et 1885 (autorisées par contrat), Parsifal n'est joué qu'à Bayreuth pendant 20 ans, suivant en cela les volontés expresses de Wagner qui souhaitait que l'opéra conserve son prestige (mais aussi assurer une rente pour sa famille avec les bénéfices des représentations exclusives). Wagner meurt certes en février 1883, moins d'un an seulement après la création de Parsifal (son ultime opus), mais son épouse Cosima devient alors la gardienne du temple et du monopole. Les ayant-droits autorisent certes quelques représentations (mais uniquement en version concert) après la mort du compositeur : à Londres en 1884, à New York en 1886 et à Amsterdam en 1894, mais l'embargo demeure absolu. Il faut attendre la décision d'un tribunal américain le 24 décembre 1903 pour qu'un théâtre ose représenter Parsifal. Le Metropolitan offre ainsi une mise en scène de l'œuvre complète avec de nombreux chanteurs formés à Bayreuth (que Cosima bannit du Festival en représailles). D'autres représentations non autorisées sont toutefois produites à Amsterdam, en 1905, 1906 et 1908 ainsi qu'au Théâtre du Colisée de Buenos Aires en 1913. L'œuvre de Richard Wagner tombe alors dans le domaine public, précisément le 1er janvier 1914. L'attente était telle que des opéras programment l'œuvre dès le 31 décembre 1913 à minuit (le Liceu de Barcelone débute même à 22h30, comptant l'heure de décalage avec Bayreuth). Au total, pas moins de 50 maisons d'opéra européennes programment Parsifal durant le premier semestre de l'année 1914 (dès le 4 janvier à Paris, le 21 à Bruxelles).
Clés d'écoute de l'opéra
Festival scénique sacré
Parsifal n'était pas qu'un opéra pour son compositeur Richard Wagner, qui l'a nommé "Festival scénique sacré" (Bühnenfestspiel). Pour le public aussi, cette œuvre bénéficie d'une aura particulière : l'assistance de Bayreuth (le temple que Wagner s'est fait construire pour la gloire de ses œuvres) reste ainsi silencieuse à la fin du premier acte de Parsifal, manifestant son recueillement absolu et respectant un rituel d'admiration devant cette œuvre mythique. Cette tradition vient toutefois d'un malentendu. Parsifal ayant reçu de très longs applaudissements après le premier et le deuxième acte, Wagner annonça que les chanteurs ne reviendraient plus saluer, hormis à la toute fin de l'opéra. Désarçonné, le public n'osa plus applaudir du tout (contrariant beaucoup Wagner, qui souhaitait que le public manifeste tout de même son enthousiasme : preuve en est, Wagner adressa lui-même de sonores Bravos ! aux filles-fleurs, le compositeur se voyant d'ailleurs intimer le silence par le public durant son propre opéra !). Un juste milieu fut donc choisi, consistant à ne pas applaudir à la fin du premier acte, mais après le deuxième et le troisième (tradition conservée dans certains théâtres et bien évidemment à Bayreuth).
Servi par soi-même
Wagner est son propre librettiste. Depuis son tout premier essai lyrique (La Défense d'aimer) et tout au long de sa carrière, il rédige ses propres textes pour les mettre en musique. Les vers de Parsifal sont parmi ses plus libres, les passages mesurés s'emportant en tumultes. La ligne vocale suit évidemment cet élan avec un arioso (proche de l'aria) empruntant à la déclamation narrative.
Leitmotivs et chromatisme
Parsifal contient pas moins de 36 "leitmotivs", ces thèmes musicaux qui reviennent au fil du spectacle et qui font la signature de Wagner. Comme dans les autres opus, ils sont associés à des personnages, des objets ou des concepts (dans Parsifal, il s'agit de la lance et du dernier repas), mais les liens y sont moins stricts que dans les opéras précédents (les thèmes servent davantage de matériau symphonique à développer que d'indicatifs sonores énoncés tels quels).
L'autre élément typique dans l'écriture musicale de Wagner est le chromatisme (succession de notes par demi-tons, le plus petit intervalle de la gamme). Cette écriture par demi-tons lui permet traditionnellement de donner une couleur à certains éléments de l'intrigue, mais cette association est plus souple dans Parsifal que dans ses précédents opéras (exactement comme pour les leitmotivs). Le chromatisme est associé à Klingsor et s'oppose au Graal (qui n'est pas illustré de manière chromatique), mais de nombreux thèmes viennent s'intercaler entre ces deux pôles et même les dissoudre (en même temps que la division stricte entre majeur et mineur ainsi que les polarités de cette œuvre entre les tonalités de La bémol et Ré).
Révolution scénique
Parsifal est doté pour beaucoup d'une aura mystique, telle une relique qui ne devait pas même sortir de son temple à Bayreuth. Pourtant, paradoxalement, Parsifal a été au cœur d'une révolution avant-gardiste, à Bayreuth même et par un membre de la famille Wagner : celle des mises en scène modernes n'hésitant pas à réinterpréter complètement les œuvres elles-mêmes. Parmi les nombreuses représentations de cet opéra dans son sanctuaire, l'une des productions qui fera date dans l'histoire lyrique est celle mise en scène en 1951 par Wieland Wagner, petit-fils du compositeur (il fallait sans doute un membre de la famille pour oser réinterpréter l'œuvre, notamment car les héritiers sont propriétaires des droits moraux d'une œuvre et peuvent faire interdire les versions qui "ne respectent pas l'intégrité de l'œuvre"). Wieland initie alors depuis Bayreuth et avec Parsifal, un mouvement de mises en scène modernes, s'affranchissant des volontés du compositeur. Wieland supprime ainsi la salle du Graal et l'écrin des filles-fleurs, les lumières et les décors étant réduits autant que possible (suivant les idées du scénographe suisse, Adolphe Appia). Cette vision recueille des réactions extrêmes, une partie du public portant aux nues cette nouvelle vision, une autre se révoltant et dénonçant une mascarade scandaleuse. Une anecdote restée célèbre rapporte la réaction d'Hans Knappertsbusch, le chef d'orchestre qui officiait sur cette production de 1951 et qui pensait que les décors n'étaient pas encore arrivés. Une autre histoire raconte que Knappertsbusch ayant exigé que soit tout de même présente la colombe qui descend du ciel à la fin de l'opéra, Wieland fit mine d'accepter mais le dupa en fait, en faisant descendre la colombe assez pour que le chef l’aperçoive, mais pas le public.