En Bref
Création de l'opéra
Le livret de l'opéra Les Contes d'Hoffmann, écrit par Jules Barbier, avait initialement été confié au compositeur Hector Salomon, mais ce dernier remet finalement le projet à Jacques Offenbach, qui avait derrière lui une carrière couronnée de succès dans l'opéra-bouffe et dans l'opéra-comique. Offenbach avait déjà assisté à une représentation à la pièce qui sert de base à l'opéra, Les Contes fantastiques d'Hoffmann (1851) de Jules Barbier et Michel Carré. La collaboration avec Jules Barbier commence en 1873 – Carré est décédé en 1872, ce qui explique pourquoi il n'a pas participé à l'adaptation de la pièce pour la scène lyrique.
Offenbach commence la composition des Contes d'Hoffmann en 1877, en parallèle à d'autres projets. L'ouvrage est d'abord écrit comme un opéra-comique (avec dialogues parlés), mais le compositeur prévoyait également des récitatifs chantés pour qu'il puisse être représenté dans d'autres maisons d'opéra. En 1879, il présente chez lui une version réduite de l'opéra devant Léon Carvalho, le nouveau directeur de l'Opéra-comique de Paris, et Franz von Jauner, qui est alors à la tête du Ringtheater de Vienne, s'assurant ainsi une double création dans ces deux capitales.
Alors que les répétitions pour la première représentation avaient commencé, Offenbach meurt à Paris en octobre 1880. En plus d'être posthume, la création de l'opéra le 10 février 1881 à la salle Favart fut partielle : Carvalho ayant estimé que l'opéra était trop long, le troisième acte, mettant en scène l'histoire de Giulietta fut coupé après la répétition générale (quelques passages, comme la célèbre « Barcarolle », furent redistribués dans les autres actes). Ce n'est qu'au cours de la création viennoise le 7 décembre 1881 que Les Contes d'Hoffmann est représenté dans son intégralité. Ces deux créations remportent un succès triomphal. Une grande partie du matériel d'orchestre d'origine a été détruit au cours de l'incendie du Ringtheater en décembre 1881 (après la seconde représentation de l'opéra) et celui de la salle Favart en 1887. Malgré ces deux événements, Les Contes d'Hoffmann restent l'opéra qui attribuera à Offenbach, comme il l'espérait, la reconnaissance en tant que compositeur lyrique, au-delà de ses ouvrages légers et comiques.
Clés d'écoute de l'opéra
Les origines du livret
Pour le livret de ce dernier opéra d'Offenbach, Jules Barbier reprend Les Contes fantastiques d'Hoffmann, un drame qu'il avait co-écrit avec Michel Carré. Créée en 1851 au Théâtre de l'Odéon, la pièce est une mise en abîme dans laquelle le héros, Ernst Theodor Amadeus Hoffmann, relate ses trois aventures amoureuses aux étudiants de la taverne de Maître Luther. Jules Barbier et Michel Carré ont puisé l'inspiration dans plusieurs nouvelles de Hoffmann pour constituer les trois récits des amours malheureuses du poète : « L'Homme au sable », première des Contes nocturnes (1817) pour le premier acte ; « Rath Krespel » des Frères de Saint-Serapion (1819) pour le deuxième et « Les Aventures de la nuit de la Saint-Sylvestre » du quatrième volume des Fantaisies à la manière de Callot (1815) pour le troisième acte. Mais les auteurs font également allusion à d'autres œuvres de Hoffmann pour les personnages de Stella et Antonia (toutes deux créées à partir de la Donna Anna de la nouvelle « Le Don Juan de Mozart »), ou encore la ballade de Klein Zach (du conte Le petit Zachée littéralement « Klein Zaches » en allemand). Quant au personnage de Schlemil qui tente de dissuader Hoffmann de céder à Giulietta au troisième acte, il est issu d'une nouvelle de Chamisso (« L'étrange histoire de Peter Schlemil »), un auteur contemporain et ami de Hoffmann. La taverne de Maître Luther qui ouvre l'opéra d'Offenbach fait directement référence à un vrai lieu, la taverne Lutter und Werner à Berlin, où Ernst Theodor Amadeus Hoffmann et ses amis se réunissaient.
Un « Opéra fantastique » destiné à l'Opéra-comique
Bien que ce dernier ait été destiné à l'Opéra-Comique, Offenbach a intitulé son ouvrage « opéra fantastique », ce qui témoigne d'une conception différente d'un simple opéra-comique. Les Contes d'Hoffmann sont ainsi couramment représentés sous deux formes : celle d'opéra-comique avec des dialogues parlés (composé pour l'Opéra-comique de Paris) et celle d'opéra intégralement mis en musique (destiné à la création viennoise du 7 décembre 1881). Avant sa mort, Offenbach a le temps de composer l'opéra pour piano et voix. Mais l'orchestration n'est pas achevée : seule celle du prologue et du premier acte sont son œuvre. L'ouvrage tel qu'il est connu aujourd'hui est ainsi une version orchestrée et achevée par le fils du compositeur et par Ernest Guiraud (qui avait mis en musique les dialogues de Carmen de Bizet) pour qu'il puisse être joué dans toutes les maisons d'opéra.
À bien des égards, Les Contes d'Hoffmann demeurent un opéra exceptionnel dans le genre de l'opéra-comique du XIXe siècle par cette orchestration à la fois riche et subtile, mais également dans l'ensemble de la production d'Offenbach. Ainsi, le compositeur a conçu son dernier ouvrage dans un genre inédit, à la frontière entre « le Grand opéra et l'opérette bouffe, la comédie et la farce, le drame et la féerie » (Ménestrel du 20 avril 1873), ce qui justifie la grande diversité entre les scènes dramatiques et comiques, plus souvent dévolues aux personnages secondaires. À cet égard, l'acte III est sans doute le plus caractéristique du grand écart entre les styles léger et sérieux, de l'air du valet Frantz qui voudrait chanter mais n'y parvient pas (« Jour et nuit, je me mets en quatre ») à la dégénérescence d'Antonia.
Malgré les contrastes entre scènes comiques et dramatiques, Les Contes d'Hoffmann sont également caractérisés par une certaine unité dramatique, assurée au-delà de la profusion de personnages secondaires par les figures de Hoffmann et Nicklausse. Le choix du personnage central de Hoffmann pour cet « opéra fantastique » est significatif, puisqu'il s'agissait de l'une des figures les plus représentatives de la littérature romantique fantastique. D'autre part, Hoffmann était également compositeur et critique musical, ce qui explique les nombreuses références au chant et la musique qui ponctuent l'opéra. Dès la création complète de l'opéra, la distribution des interprètes s'est inscrite dans cette unité dramatique en faisant interpréter par un même baryton-basse les quatre rôles démoniaques de Lindorf, Coppélius, Miracle et Dapertutto, un ténor pour les rôles d'Andrès, Cochenille, Frantz et Pitichinaccio, mais surtout une seule soprano pour les quatre maîtresses d'Hoffmann. Ce choix, devenu une tradition interprétative (même si le rôle féminin est aujourd'hui souvent chanté par plusieurs chanteuses), relève d'un véritable défi sur le plan théâtral et vocal pour donner vie à chaque personnage, chacun étant caractérisé musicalement. Car au-delà des questions de distribution, les quatre aventures de Hoffmann ne sont-elles pas une seule et même histoire, représentée par le biais de personnages allégoriques ? Ainsi, Nicklausse donne lui-même la clef de l'intrigue dans l'épilogue : « Trois drames dans un drame. Olympia... Antonia... Giulietta... ne sont qu'une même femme : la Stella ! » (acte V).