En Bref
Création de l'opéra
L'Elixir d'amour (Elisir d'amore) est une commande d'Alessandro Lanari, impresario du Théâtre de la Canobbiana de Milan, qui demande à Donizetti d'écrire l'opéra en un temps réduit à six semaines pour remplacer le projet avorté d'un autre compositeur. Le livret de Felice Romani s'inspire de celui d'Eugène Scribe, écrit pour Le Philtre (1831) de Daniel-François-Esprit Auber.
Donizetti est âgé de trente-cinq ans lorsqu'il compose L'Elixir d'amour, son quarantième opéra, après avoir connu son premier grand succès avec Anna Bolena (1830) à Milan. L'Elisir d'amore est créé le 12 mai 1832 dans la même ville : ovationné par le public lors de la première représentation, l'opéra sera donné trente-trois fois pendant la première saison. Entre 1838 et 1848, c'est l'opéra le plus joué en Italie. Avec Rossini et Bellini, Donizetti devient un emblème de l'opéra romantique italien de la première moitié du XIXe siècle.
Clés d'écoute de l'opéra
L'Elisir d'amore, un « drame joyeux » belcantiste
Donizetti mêle constamment les caractères comiques et sérieux dans l'Elixir d'amour (Elisir d'amore), suivant l'ambiguïté inhérente au genre opératique du melodramma giocoso, ou dramma giocoso, qui désigne littéralement un « drame joyeux ». C'est un genre que l'on trouve dès le XVIIIe siècle sous la plume de Mozart (Don Giovanni, Cosi fan tutte), de Cimarosa (Le Mariage secret), puis au début du XIXe siècle chez Rossini (La Cenerentola), où se côtoient les dimensions légère et caustique d'un côté, mélancolique et sentimentale de l'autre. Ainsi, malgré la dominante comique de l'intrigue et son issue heureuse, ce mélange des genres ouvre la voie aux opéras romantiques italiens de la seconde moitié du XIXe siècle qui tendent à s'émanciper progressivement de la catégorisation stricte des genres opératiques.
Avec Donizetti, l'introduction dans le comique de la sentimentalité et de la mélancolie romantiques devient plus manifeste encore avec les colorations harmoniques minorisées (bien que les airs restent dans un mode majeur) comme dans l'air d'Adina « Prendi, per me sei libero » (acte II) où elle révèle enfin à Nemorino ses vrais sentiments. Mais on trouve également des moments où le pathos amoureux prend toute son ampleur, comme dans la romance de Nemorino « Una furtiva lacrima » (acte II) où le bel canto et le lyrisme portent l'effusion sentimentale de Nemorino à son comble.
Humour et bel canto
Bellini meurt en 1835 et Rossini ne compose plus d'opéras après Guillaume Tell (1829), ce qui laisse le champ libre à Donizetti pour devenir l'un des emblèmes de l'opéra italien du XIXe siècle, autant dans le bel canto que dans le rythme théâtral de ses opéras. Donizetti inscrit bel et bien son Elixir d'Amour dans une verve de gaîté et de légèreté grâce au rythme du livret de Felice Romani, en conservant une caractérisation des rôles propres à l'opéra bouffe, en particulier avec le rôle du docteur Dulcamara. La grandiloquence du commerçant charlatan, dont témoigne l'accumulation de qualités qu'il attribue à ses filtres dans son air « Udite, o rustici » (acte I), ainsi que les caractéristiques musicales de l'écriture de basse-bouffe (débit rapide des paroles, notamment) qui se retrouvent dans le duo ironique « Quanto amore ! » (acte II) avec Adina, sont caractéristiques de ce genre comique. L'évolution des personnages est assez hétéroclite. L'évolution la plus flagrante concerne Adina qui, d'une jeune fille coquette et cynique, devient une amoureuse sincère et désintéressée. Le personnage de Belcore évolue également, acceptant sans rancune le revirement d'Adina. En recanche, l'évolution est plus ténue en ce qui concerne Nemorino, celui-ci poursuivant son but malgré toutes les péripéties : il est le véritable fil conducteur de l'opéra. Dulcamara est finalement le seul personnage à camper sur ses positions, ce qui le cantonne définitivement dans la sphère comique de cet opéra.
S'il adopte volontiers des formes conventionnelles dans les airs, Donizetti s'inscrit dans la lignée de ses confrères italiens en atténuant les ruptures stylistiques entre récitatifs, airs et ensembles et en créant les différents caractères musicaux selon le strict déroulement de l'intrigue, avec un élan théâtral constamment renouvelé. Ainsi, l'orchestre constitue un témoin clef et complice entre les personnages par des formules d'accompagnement typiques du bel canto du XIXe siècle (l'orchestre n'ayant pas de rôle expressionniste, ses mélodies n'ont d'intérêt qu'en tant qu'accompagnatrices de la voix). Il contribue à l'unité et à la fluidité musicale des scènes, notamment dans l'arrivée progressive des personnages. Pour autant, le compositeur joue sur les atmosphères orchestrales et romps cette continuité selon les nombreux rebondissements du livret de Felice. L'Elixir d'amour est l'un des derniers melodrammi giocosi de Donizetti et démontre tout le génie théâtral du compositeur, qu'il démontrera à nouveau dans ses ouvrages suivant, tels que Lucia di Lammermoor (1839), La Fille du régiment (1840) ou Don Pasquale (1843).