Anna Netrebko débute à Naples en Aida
L'arrivée de Stéphane Lissner à la tête du San Carlo marque un renouveau dans le domaine des distributions vocales stellaires, comme en attestent les venues de Jonas Kaufmann, Nadine Sierra, Jessica Pratt, Pene Pati, Pretty Yende, Sondra Radvanovsky ou encore Ildar Abdrazakov, et c'est désormais le couple Netrebko/Eyvazov qui fait ses débuts conjoints sur la scène napolitaine. Yusif Eyvazov, un mois après avoir renoncé à ces débuts (prolongeant de fait le séjour napolitain de Jonas Kaufmann pour l’Otello en ouverture de saison), a chanté la première de cette Aida, mais doit ce soir de nouveau renoncer et, souffrant, céder sa place à Stefano La Colla (programmé dans la deuxième distribution avec Liudmyla Monastyrska).
In palcoscenico ci stiamo godendo la seconda recita di #Aida...ma intanto ecco qualche scatto dalla #Prima dei nostri meravigliosi protagonisti @AnnaNetrebko e @eyvazov_yusif. Qui tutte le info sullo spettacolo https://t.co/vXuGUiHPnP Luciano Romano pic.twitter.com/TfPY5EmbHX
— Teatro San Carlo (@teatrosancarlo) 17 février 2022
La production de Mauro Bolognini créée en 1978 pour La Fenice, est reprise au San Carlo par les soins de Bepi Morassi, metteur en scène et directeur de la Fondation de la maison lyrique vénitienne. Le plateau est divisé en deux parties, délimitées par un pont horizontal et encadrées par les grandes effigies masculines issues de l'imagerie égyptienne. Même si la beauté et la richesse des costumes traditionnels renvoient explicitement à l'Égypte antique, les décors n'égalent pas la monumentalité musicale que procure la partition. Les statues de sphinx pixelisés ornent la partie supérieure, illuminée et bordée de toiles censées donner de la profondeur, le plateau étant rempli de gradins sur lesquels trônent orgueilleusement les royaux représentants égyptiens (roi, prêtres, guerriers) : à savoir, les vainqueurs. La partie inférieure et sombre est dédiée aux vaincus (prisonniers éthiopiens et civils). En l'absence de grands accessoires décoratifs, ce sont les corps dénudés et sculptés des figurants (membres de la garde royale) qui incarnent des cariatides vivantes et des figures de l’imagerie traditionnelle. Or, malgré la pertinence de cette décomposition scénique (et certes car cette mise en scène accorde la priorité au chant), le dynamisme et la conviction font défaut dans le mouvement et le jeu des acteurs. À cela s'ajoutent des numéros de ballet assez désynchronisés qui renforcent cette impression.
Les débuts napolitains d'Anna Netrebko dans ce rôle particulier sont auréolés d'un important symbolisme, étant donné qu'il s'agit du mois marquant le 150ème anniversaire de la création européenne (et grand public) de cette œuvre à La Scala de Milan (en 1872). Le jeu scénique de la diva russe est travaillé, notamment la gestuelle et la démarche, élégantes et mesurées. Par contraste, la voix dispose de la maturité requise pour ce rôle exigeant sur le plan musical. Les aigus sont forts, stables et perçants (au point qu'ils deviennent quelque peu stridents dans le domaine des suraigus). Le timbre est aussi sombre que l'environnement carcéral qui l'entoure, notamment les graves charnus qui creusent toute la largeur de sa grande étendue vocale. L'italien est soigné et bien articulé, mais la puissance des cimes voile souvent la netteté des paroles. L'air "O Patria mia" avec son émission ronde mais vibrée, alliée à sa fine maîtrise des nuances dynamiques, lui vaut une longue salve d’applaudissements, mêlée pourtant à quelques sifflets bruyants parmi cet auditoire -aussi- connu pour son purisme.
I'm so happy to be making my debut at one of the oldest and most beautiful theaters in the world, @teatrosancarlo di Napoli. I will perform Verdi's Aida! ❤️ pic.twitter.com/SW0cfzWVT3
— Anna Netrebko (@AnnaNetrebko) 9 février 2022
Stefano La Colla (malgré l’enchaînement des prestations pour les deux distributions) campe un Radamès énergique et guerrier, très belcantiste dans le style vocal, avec une respiration marquée qui morcèle les phrasés. Rythmiquement nerveux et décalé avec la fosse au début, mais d’emblée assuré dans le déploiement précis de ses couleurs dramatiques et veloutées, il attaque les aigus immédiatement sur la note. Cependant, à mesure que le spectacle s’avance vers le finale, l'intonation perd en stabilité dans les attaques du médium et dans les sommets de sa tessiture (avec des conclusions en-dehors de la justesse). Néanmoins, les sections piano demeurent suaves et continues, appuyées sur un long souffle.
La mezzo-soprano Ekaterina Gubanova chante Amneris en exploitant sa luminosité vocale dans les cimes, avec ardeur et puissance. En revanche, les graves manquent d'étoffe et perdent en matière face à la grandeur orchestrale. La prononciation est correcte, bien que l'éloquence prosodique s'avère inconstante.
Anna Netrebko - Aida par Mauro Bolognini | © Luciano Romano |
Nicolas Testé interprète Ramfis avec beaucoup de rondeur et de finesse dans l'émission et le phrasé. Le timbre est sombre mais chaleureux, étoffé et en phase avec son personnage de grand-prêtre et conseiller fort avisé, doté de sagesse et d'autorité. Les confins supérieurs de sa ligne sont toutefois un peu serrés et forcés.
L’Amonasro de Franco Vassallo présente une sonorité nourrie et noircie, légèrement nasale mais enrichie d'un legato lisse et mélodieux. La projection est plutôt douce et solidement résonnante, mais parfois derrière l'orchestre.
Mattia Denti chante les annonces solennelles du Roi d'Égypte avec une ligne mince, vacillante et fragile sur un ambitus limité, rendant sa prestation moins royale et souveraine qu'attendu. La prêtresse Desirée Migliaccio (accompagnée par la harpe en coulisses) arbore une voix tendre et précise, modérément vibrante mais qui ne manque pas de force. Enfin, Riccardo Rados en messager chante avec l’élan très coloré d'un phrasé italianisant.
Les débuts sont aussi en fosse : Michelangelo Mazza dirige pour la première fois l'Orchestre du San Carlo. Le tissu instrumental est harmonieux, sonore et net, avec quelques brillants numéros solistes (dont la harpe en particulier). Quelques décalages rythmiques avec les solistes se glissent parfois mais se recalent ensuite. Le Chœur de la maison est préparé pour ne jamais perdre le pas avec la fosse dans les tempi fougueux, faisant preuve par ailleurs d'une grande cohésion dans les sections fuguées. Ils demeurent constamment et pleinement imposants et poignants dans les forte, émouvants et élégants dans les piani.
Le rideau tombé, le public offre de longs rappels à l'ensemble des solistes et ovationne Anna Netrebko qui chante ce soir sa dernière date dans cette production.
Ieri sera, con un'altra emozionante recita di #Aida, abbiamo salutato @AnnaNetrebko e @eyvazov_yusif... Un #grazie a questi splendidi artisti: è stato bellissimo avervi con noi! Intanto Aida continua con altre due recite, il 23 e il 26 #febbraio, e altri magnifici artisti! pic.twitter.com/SLZ7V5fjDJ
— Teatro San Carlo (@teatrosancarlo) 22 février 2022