Enthousiastes Carmina Burana à Radio France
Carmina Burana de Carl Orff est une œuvre à l’histoire complexe, une pièce controversée du répertoire (notamment pour ses récupérations politiques) que les musiciens et chanteurs ont donc choisi de présenter dans leur dimension profondément profane et irrévérencieuse. Au cœur de l’Auditorium de Radio France, ce sabbat musical est porté par les deux pianistes du Duo Játékok (Naïri Badal et Adélaïde Panaget), prêtresses ou magiciennes en bottes rouges comme les chaussettes de malicieux chanteurs, tandis que le pécheur (Nicolae Hategan) surgit sur scène comme un diable.
Si le chef Julien Leroy construit la narrativité des Carmina Burana, il tient aussi à bout de bras les masses volumiques du concert, entre chœur, instrumentistes et solistes chanteurs. Il est en cela aidé par la rythmique impeccable du Paris Percussion Group allié au Duo Játékok, dont la maîtrise de l’œuvre leur permet justement certaines fantaisies dans l’interprétation, tout en restant toujours stable et précis, élément essentiel dans la construction de l'opus.
Le Chœur de Radio France est un petit peu plus incertain mais notamment en raison du port du masque, qui freine le souffle et amollit la diction, tout en fatiguant les chanteurs (a fortiori dans cette œuvre qui leur demande tant d’efforts et d'intensité rythmée). L’intonation, des voix d’hommes comme de femmes, est aussi parfois un peu lâche. Mais le chœur se rattrape avec une très grande musicalité. Les chants pour voix d’hommes uniquement surprennent (dans le contexte de cette pièce) par leur délicatesse, mise en valeur par les interprétations puissantes et engagées des basses. Les ténors montrent une très grande subtilité dans leurs parties. Du côté des femmes, les sopranos assument leur rôle essentiel dans cette pièce de Carl Orff, avec de grandes envolées mettant en valeur les suraigus, dynamiques bien qu'avec parfois un peu trop de souffle. Les altos restent discrètes, bien que leur rythmique soutienne efficacement les dynamiques d’ensemble. De manière plus générale, l'effort fait sur les timbres, avec une grande unité dans les passages à bouche fermée et la projection du son inspirée par le chant religieux du Moyen-Âge vient directement de l'essence de cette partition.
Les solistes s’inscrivent harmonieusement dans l’ensemble, avec des interventions choisies et jouant souvent sur une dimension théâtrale. Le baryton Jean-Christophe Lanièce développe un timbre chaud et velouté, tout en travaillant sur une segmentation rythmique qui donne de l'intensité à ses mélodies. Il n’hésite pas non plus à ponctuer ses phrases par un vibrato subtil, qui enrichit les vocalises. La soprano Jiyoung Kim mêle la rondeur de son timbre à une pureté de son, ce qui lui permet d’envisager avec facilité les suraigus. Avec une vision ample de ses parties, elle construit gracieusement ses passages, et donne une légèreté bienvenue. Lui répond le ténor Nicolae Hategan, au timbre nasalisé surprenant, qui n’hésite pas à marier précision musicale et interprétation facétieuse.
Si la musique a un effet évident sur le public, rentré peu à peu en transe, c’est aussi l’interprétation sobre et joyeuse des musiciens et chanteurs qui initie la standing ovation menant au bis (le rafraîchissant Tempus est Iocundum). Après de longs applaudissements, l'assistance sort revigorée de cette messe, pas si sombre, faite dans l’un de nos temples, pas -seulement- si sérieux, de la musique.
Quelle belle soirée hier soir à Radio France avec la très belle équipe @ChoeurRF, duo jatekok, et le Paris percussion Group. Bravo à tous ! Salle comble #carminaburana #carlorff pic.twitter.com/DSzSLjjZP9
— julien leroy (@julienleroy_fr) 23 février 2022