L'Odyssée à l'Opéra
Ulysse roi d'Ithaque, qui sera le héros de ce dossier dédié à L'Odyssée après celui sur L'Iliade, n'est toutefois pas le seul à connaître un retour tragique. Idoménée, pour se tirer d'une tempête maritime sur le chemin qui le ramène en Crète, jure à Neptune qu'il lui sacrifiera la première personne qu'il verra en débarquant : ce sera son fils Idamante (exactement la même tragique histoire que celle de Jephté faisant la même promesse, pour remporter une guerre, et devant de fait sacrifier sa propre fille, Iphis, venue en tête de cortège le saluer). Iphis sera sauvée, Idamante aussi et même par l'amour de son ennemie jurée, celle dont son père a détruit la patrie : Ilia, princesse de Troie (fille de Priam) qui est prisonnière en Crète. Tout sépare Idamante et Ilia, mais l'amour les réunira et les fera même triompher : Neptune touché par le couple, les couronne et fait abdiquer Idoménée.
Le rôle d'Idoménée, roi de Crète dans l'opéra seria de Mozart créé en 1781 sur un livret de Giambattista Varesco a notamment été incarné par Richard Lewis et Luciano Pavarotti (et cet été au Festival d'Aix-en-Provence par Michael Spyres) mais l’extrait donne la voie à l'héroïne sacrificielle finalement sauvée et couronnée (un motif récurrent des mythes tragiques et des opéras des dossiers sur les mythes grecs dans l’opéra).
La soprano Nadine Sierra incarne Ilia, faisant de symboliques adieux aux siens en se reprochant ses propres sentiments envers son ennemi "Padre, germani, addio !" ("Père, frères, adieu !"). Dans tous ses tourments, elle interroge ses émois, tragiques, cornéliens "Vous n'êtes plus ; Je vous ai perdus. Grèce, tu es la cause ; et aimerai-je maintenant un Grec ?".
Ulysse et ses compagnons sur le chemin du retour, explorant une île en espérant qu'elle leur permette de se ravitailler sur leur long chemin du retour, sont faits prisonniers par le cyclope Polyphème, fils du Dieu des océans Poséidon (Neptune chez les romains).
Toutefois, dans cet opéra Polifemo (1735) de Nicola Porpora sur un livret de Paolo Antonio Rolli, le cyclope perd son caractère laid et maléfique, pour devenir un personnage aux dimensions multiples, notamment via son amour pour Galatée (sujet ayant inspiré Haendel, Haydn et Lully) et son terrible accablement d'avoir été aveuglé par Ulysse.
Le cyclope (ici chanté par Pavel Kudinov) exprime dans cet air "Furie che mi straziante" toute sa rage d'avoir ainsi été aveuglé et délaissé (oubliant de rappeler tous les torts qu'il aura causé à Ulysse, à ses compagnons, ainsi qu'à Acis, l'aimé de Galatée). Tous les autres personnages chantent leur bonheur de voir leur vie et amours sauves.
L'Odyssée peut donc se poursuivre, Ulysse et ses marins reprenant leur route (en commençant par éviter les rochers que Polyphème furieux leur lance à l'aveuglette). Mais ils se sont fait un terrible ennemi : le père du cyclope, Dieu des océans, le leur fera payer dans leur long voyage.
Après sa mésaventure chez le cyclope Polyphème qui coûta bien des vies chez les compagnons d'Ulysse, il tente un nouvel accostage qui se révélera tout aussi problématique : celui sur l'île de la magicienne Circé, fille d'Hélios (dieu Soleil) et de l'océanide Perséis. Circé est polypharmakos, sa "pharmacie" contenant des philtres et breuvages permettant métamorphoser en chiens, en lions et même en porcs les amis d'Ulysse naufragés sur son domaine. Ulysse, protégé par le « moly », herbe qu'il avait reçue du dieu des messagers et des voyageurs Hermès, oblige finalement Circé à rendre leur forme humaine aux marins.
Cet opéra composé par Henry Desmarest en 1694 sur un livret de Louise-Geneviève Gillot de Saintonge donne à Circé un rôle central, rappelant l'importance des héroïnes chez Lully.
L'une des scènes les plus marquantes de cet opéra est celle du sommeil d’Ulysse (résonnant avec d'autres épisodes de héros endormis, notamment Renaud connu en italien sous le nom de Rinaldo). Le personnage d'Ulysse, ici interprété par le haute-contre Reinoud van Mechelen, chante le mal du pays, les tentations de Circé et son désir de sombrer dans un sommeil tranquille, auquel il est si difficile d'accéder si loin de son aimée Pénélope.
Les Sirènes sont célèbres pour leur chant séduisant, attirant les marins à leur perte. Ulysse ayant déjà assez subi de naufrages (même si d'autres l'attendent sur le chemin), il ordonne donc à son équipage de s'obstruer les oreilles mais lui, trop curieux de pouvoir entendre ces voix séductrices, se fait attacher au mât de son bateau. Les sirènes inspirent bien entendu les compositeurs mais leur posent aussi le plus terrible des défis : celui de produire une musique au charme incomparable. Claude Debussy relève le défi dans ce morceau intitulé Sirènes, parmi ses trois Nocturnes pour voix de femmes.
« C'est la mer et son rythme innombrable, puis, parmi les vagues argentées de lune, s'entend, rit et passe le chant mystérieux des sirènes » écrira le compositeur.
Dans cette pièce en cinq parties, les mélismes des chanteuses (ici du Chœur Vivaldi) évoquent le chant onirique et envoûtant, hypnotique même de ces créatures, si belles en apparence mais mortelles, le tout avec une touche de doute et d'impressionnisme dans les accords du piano joué ici par Òscar Boada : comme aussi pour prévenir les marins assez lucides encore du danger qui les attend.
Et pendant ce temps, Pénélope attend Ulysse à Ithaque d'une manière non moins héroïque : pour preuve, elle est l'héroïne de plusieurs opéras dont celui-ci de Jean-Féry Rebel (1666-1747). Pendant qu'Ulysse vit ses terribles aventures, Pénélope se lamente et doit supporter les avances de prétendants qui profitent de l'absence du roi pour envahir le palais et convoiter le trône (et elle avec). Dans la légende, elle tisse et retisse (mais aussi détisse) une tapisserie immense qui une fois terminée signera son avis de mariage. Rusée comme son époux, elle défait chaque nuit ce qu'elle a fait le jour, pour ne jamais terminer l'ouvrage : elle arrivera finalement à tenir tête aux prétendants jusqu'au retour vengeur de son bien-aimé.
Jean-Féry Rebel, compositeur français peu connu et qui a pourtant été remarqué très jeune pour ses dons, par Lully qui le forme, donne à sa première œuvre le nom d'Ulysse mais elle est aussi nommée Ulysse et Pénélope. Cet opéra baroque, tragédie en musique en 5 actes et un prologue sur un livret d'Henry Guichard d’Hérapines s'ouvre à Ithaque et le drame poignant commence par les souffrances de Pénélope.
Pénélope, ici incarnée par la soprano Stéphanie Révidat, se lamente et se languit, se plaignant du destin rigoureux, attendant le retour de son bien-aimé Ulysse, le tout alors que leur fils Télémaque est parti en quête de son père.
Pénélope attend Ulysse mais leur fils Télémaque part à sa recherche. Pendant la décennie de L'Odyssée, durant laquelle Ulysse tente de retrouver Ithaque, sa femme Pénélope et son fils Télémaque, celui-ci a bien grandi et il suit les traces de son père : intelligent et débrouillard, il part lui-même à sa recherche (pour au moins tenter de savoir ce qui est advenu). Comme son père, il se retrouvera en errance, retombant même sur des lieux déjà parcouru par Ulysse, mais il peut compter sur la compagnie de "Mentor" (personnage qui deviendra un nom commun pour tout guide pédagogue).
Dans cet opéra Telemaco nell'isola di Calipso (Télémaque sur l'île de Calypso) de Johann Simon Mayr sur un livret d'Antonio Simone Sografi créé à La Fenice de Venise en 1797, le fils à la recherche désespérée de son père, se retrouve comme celui-ci confronté au dilemme de l'amour et doit choisir entre céder à son désir ou suivre le chemin plus noble du devoir.
Cet air se situe au début de l'opéra, Calypso (ici interprétée par la soprano Andrea Lauren Brown) qui avait retenu Ulysse durant sept années, se complaint d'avoir été par lui abandonnée, mais est interrompue dans son chagrin par l'arrivée de Télémaque.
Le compositeur italien Luigi Dallapiccola né dans ce qui est alors l'Autriche-Hongrie, crée en 1968 son opéra Ulisse en version allemande à Berlin (le livret du compositeur est bien entendu basé sur L'Odyssée d'Homère mais s'inspire aussi de Dante et Pascoli). Cet opéra débute au moment où le héros quitte Calypso. Ulysse quitte cette nymphe qui l'avait recueilli d'un naufrage,... pour subir un nouveau naufrage.
Le héros d'Ithaque aura ainsi surmonté bien des épreuves et connu de nombreuses péripéties, mais c'est l'amour de Calypso qui lui aura fait perdre le plus de temps dans son chemin retour.
Dans ce prologue, la nymphe Calypso, ici interprétée par la soprano Annabelle Bernard, reste inconsolable, désolée qu'Ulysse l'ait abandonnée. Poséidon (toujours courroucé contre le héros depuis qu'il a aveuglé le cyclope Polyphème dans la deuxième partie du dossier) appelle alors une tempête -orchestrale- et Ulysse finit par faire à nouveau naufrage, sur l'île des Phéaciens, où il rencontrera Nausicaa. C'est là qu'il contera ses (més)aventures.
Ulysse est accompagné par tout son équipage dans cette Odyssée, mais tragiquement il perdra un à un tous ses matelots. Dans sa dernière escale, d'autres navigateurs viendront à son aide, ils trouveront une fin tragique en se sacrifiant pour le retour du héros :
Après avoir quitté Calypso et après avoir de nouveau subi la colère de Neptune provoquant un nouveau naufrage, Ulysse échoue seul et se retrouve accueilli à bras ouverts sur une île par la princesse Nausicaa, fille du Roi Alcinoos, très curieux d'écouter le héros raconter ses péripéties (permettant à Homère d'en faire de même dans cette Odyssée, par un récit dans le récit).
L'opéra Nausicaa composé par Reynaldo Hahn sur un livret de René Fauchois (qui signera également le livret du dernier épisode de ce dossier) se conclut par une nouveau départ : celui d'Ulysse vers Ithaque, enfin, grâce aux marins Phéaciens (sujets d'Alcinoos sur l'île de Schérie).
L'œuvre se referme par le chant des matelots, ode aux vainqueurs de Troie, à la protection d'Ulysse qui quitte les terres d'Alcinoos et de Nausicaa, à la tristesse de celle-ci de le voir partir à tout jamais.
Cette conclusion douce-amère précède le naufrage des marins au retour chez eux, et l'heureux retour d'Ulysse chez lui, à vivre dans nos deux derniers épisodes.
Le Retour d'Ulysse dans sa patrie est enfin arrivé, et tel est le titre de l'opéra de Monteverdi de cet extrait. L'Odyssée retracée en opéras touche à sa fin, au moment où Ulysse touche du pied le rivage d'Ithaque mais il lui reste encore une mission à accomplir :
Enfin arrivé ! mais tout n'est cependant pas fini. Parce qu'il ne suffit pas de montrer son visage après 20 années de Guerre et de périple pour être reconnu, et parce que le sage Ulysse préfère d'abord observer avant d'agir, il est aidé par la déesse de la sagesse Athéna (qui le transforme en mendiant afin qu'il retourne incognito chez lui, pour frapper au meilleur moment).
Le Retour d'Ulysse dans sa patrie composé par Claudio Monteverdi sur un livret italien de Giacomo Badoaro raconte les péripéties d'Ulysse, l'attente de sa femme Pénélope et de son fils Télémaque alors même qu'il débarque à Ithaque.
Dans cet extrait situé à la fin du premier acte, Ulysse (ici interprété par le ténor allemand Christoph Prégardien sous la direction de René Jacobs), se réveille sur sa terre natale mais ne reconnait pas son île d’Ithaque et maudit les Phéaciens d'avoir manqué à leur parole, croyant (fautivement) qu'ils ne l'ont pas ramené jusqu’à son royaume comme ils l’avaient promis (« Dormo ancora o son desto ») "Suis-je endormi ou éveillé". Minerve / Athéna, déguisée en berger, lui apparaît alors. Elle lui révèle qu’il est enfin de retour chez lui. Puis, dévoilant sa véritable identité, elle lui conseille de prendre l’apparence d’un vieillard afin d’aller constater et punir au Palais l’insolence des prétendants qui poursuivent sa fidèle Pénélope de leurs assiduités.
L'Iliade et L'Odyssée retracées en opéras se concluent avec une fin heureuse : Ulysse rentre enfin chez lui, retrouve son trône, son fils et son épouse dans le finale de cet opéra "Pénélope" de Gabriel Fauré
Après vingt ans d'absence, après tant et tant d'errances, Ulysse est enfin de retour à Ithaque et il arrive en vengeur pour retrouver son royaume.
L'unique opéra du compositeur Gabriel Fauré, intitulé Pénélope (créé sur un livret de René Fauchois en 1913 à l'Opéra de Monte-Carlo) relate Le Retour d'Ulysse dans sa patrie et se conclut dans le sang et les larmes : les prétendants punis (tués par les flèches d'Ulysse dans son palais) et la joie d'une famille réunie.
Cet extrait constitue l'achèvement du périple, Ulysse incarné par Roberto Alagna et Pénélope par Anna Caterina Antonacci chantent leurs noms et leur amour réciproque, maintenu brûlant malgré les périls subis tout au long de leur aventure. Hymne à la joie et à la vie l'air "Nous allons vivre" referme cet épopée dans la félicité.
Reprenez le parcours avec notre dossier consacré à L'Iliade et poursuivez le voyage avec notre prochain périple consacré à L'Énéide