Cenerentola à Limoges : Allemandi transmet sa maîtrise aux révélations lyriques
Avant même que le premier son n'émane de la fosse, le chef déploie déjà des avant-gestes souples et assurés. Antonello Allemandi est un spécialiste en Rossini (comme le démontrait son interview). Il avait porté à bout de baguette La Cenerentola de Lille en début de saison (notre article). Cette prestation à Limoges est une nouvelle occasion pour lui de démontrer sa maîtrise dans Rossini, depuis le tressaillement sonore obtenu du bout des doigts et de la baguette jusqu'aux grands éclats. La direction limpide marque tous les accents et les intentions aux instrumentistes et aux chanteurs. Les effets orchestraux s'enchaînent parfois subitement, toujours avec justesse. Surtout, l'Orchestre de l’Opéra de Limoges réussit à suivre Allemandi et Rossini jusque dans les cavalcades qui font tout le miracle étourdissant de cette musique. Allemandi sait aussi ralentir pour souligner le caractère pitoyable de l'histoire, notamment les émouvantes complaintes de Cendrillon.
La Cenerentola par Sandrine Anglade (© Julien Dodinet)
Dans le plateau vide et parqueté utilisé par Sandrine Anglade (sa mise en espace de Chimène ou le Cid à Massy est chroniqué ici) dans sa mise en scène, les seuls éléments de scénographie sont des confessionnaux en bois laqué. Le Chœur d'hommes de l’Opéra de Limoges affublés de fraises (qui s'allument dans le noir) exécute des déplacements géométriques et des ballets parodiques en déployant leurs voix sonores (très tendues chez les ténors), même dans les rumeurs. La direction d'acteur demande des postures lascives ponctuées de déhanchés, voire de violents coups de pelvis. L'ambiance est au bouffon, aux pantomimes, aux portes qui claquent.
Cenerentola (Cendrillon) est interprétée par Julie Boulianne (à l'affiche de la création événement d'Aix-en-Provence cet été : Pinocchio de Philippe Boesmans, à réserver ici) avec sa chaleur de velours et un vibrato rapide dans tout le registre. Sa voix d'un caractère presque dramatique (gorge à peine serrée) est pourtant très à l'aise dans les vocalises. La voix est large, en intensité et matière, mais aussi dans l'amplitude de son ambitus depuis des graves aux fondements de la mezzo jusqu'à de puissants aigus d'argent. Éblouissant, son dernier air exulte de bonheur et d'amour princier. Le chant feutré dans le grave monte par paliers ou en fusées vocales, toujours rond dans l'aigu, mais éclatant.
Marco Filippo Romano a la maturité vocale attendue d'un Don Magnifico, ce qui est remarquable pour son âge. Riche en souffle et en volume, il sait projeter de grands accents mais sans oublier de nourrir toute la ligne vocale. Délicieusement facétieux et même franchement drôle, il dialogue avec lui-même, mimant les suppliques que lui feraient les solliciteurs une fois qu'il serait père d'une princesse. Interprète crédible, il est savoureux, prétentieux, savamment ridicule mais jamais excessif (même lorsque la mise en scène lui retire littéralement la chaise quand il s'assoit).
Marco Filippo Romano dans La Cenerentola par Sandrine Anglade (© Julien Dodinet)
Le prince Don Ramiro a la voix pincée et tonique de Juan Jose De Leon (il reviendra dans ce rôle à l'Opéra de Paris dans deux mois : vos places sont ici). Il chante d'abord du bout des lèvres et détimbre même dans les récitatifs, mais il déploie soudainement un aigu fortissimo ébouriffant (qu'il ne peut, hélas, orner de fioritures sans serrer la voix), suivi de pianissimi effleurés qui parachèvent l'effet. S'il ne parvient pas à imposer le silence dans son médium, il cloue le bec de tout le monde dans "juro" et "faro tremar" en aigus éclatants.
Julie Boulianne et Juan Jose De Leon dans La Cenerentola par Sandrine Anglade (© Julien Dodinet)
Valet Dandini devenu maître, Florian Sempey (qui donnera un Récital solo cet été à Orange et dont vous pouvez relire l'entretien) ne met que quelques phrases à déployer sa pleine puissance. À peine moins à l'aise dans le grave et les passages rapides, il orne ses lignes en vibrant de la mâchoire. Les passages amples lui donnent l'occasion de déployer une voix magistrale, puissante et belle. Son jeu jeune est encore candide, mais c'est là une éloquente marque de sa générosité d'implication.
Alidoro, campé par Gabriele Sagona, est un protecteur tuteur grave en registre et en caractère. La voix de basse bien trempée et sonore manque toutefois d'agilité et s'agite d'un vibrato tremblant.
Jennifer Michel, Julie Boulianne et Catherine Trottmann dans La Cenerentola par Sandrine Anglade (© Julien Dodinet)
Les deux sœurs trépignent et dandinent en tenue de sport. Toniques, elles suivent le rythme Rossinien mais, comme souvent dans ce répertoire, le volume s'étiole à mesure des accélérations. Pour aller au Bal, elles revêtent des robes à fleurs, rose et verte, mais Cendrillon fait encore mieux (ou plutôt encore pire) avec une robe froufroutante qui frappe de stupeur les personnages. Jennifer Michel (récemment vue dans Une Chauve-Souris colorée à Marseille et L'Heure espagnole / Gianni Schicchi à Nancy) est une Clorinda généreuse, qui accomplit tout ce que lui demandent la partition et la mise en scène. La Tisbe de Catherine Trottmann (qui nous avait confié toute la difficulté de ce rôle de peste, avant d'incarner, à l'inverse, le jeune enfant rêveur Tistou à Rouen) s'asperge de déodorant en articulant rapidement. Sa voix impressionne et lui promet de tenir des rôles bien plus importants, dès que le volume sonore correspondra à son caractère dramatique.
Les artistes sont remerciés par les bravi et les longues acclamations d'un public Limougeaud chaleureux et venu en nombre malgré le soleil éclatant.