Le Comique au Châtelet : Fantasio met un point sur son i
Après un an et demi de fermeture pour travaux, l’Opéra Comique faisait son retour ce dimanche après-midi… au Châtelet, avec Fantasio, un opéra méconnu du maître du genre, Offenbach. L’œuvre, composée au sortir du conflit franco-prussien de 1870, transpire les états d’âme de son compositeur, et en particulier ses interrogations sur l’absurdité de la guerre et son désir d’être accepté comme un compositeur sérieux (qui le conduira à écrire les Contes d’Hoffmann neuf ans plus tard). En découle une œuvre étonnante, aux reflets humoristiques (le duo formé par le Prince de Mantoue et son fidèle Marinoni porte l’essentiel de ce ressort), mais dont la mélancolie imprègne la totalité des airs, ainsi que le prélude à l’acte III, qui convoque des accents wagnériens.
Marianne Crebassa et Marie-Eve Munger dans Fantasio (© Pierre Grosbois)
C’est un élément sur lequel s’appuie Thomas Jolly pour sa scénographie : le décor (imaginé par Thibaut Fack) et les costumes (de Sylvette Dequest) sont sombres jusqu’à la fin de l'ouvrage, lorsque le chœur revêt des couleurs fluo, annonçant un nouvel espoir. Durant l’ouverture, la neige tombe sur le plateau, uniquement éclairé d’un lampadaire (dont l’ampoule a été soufflée par le créateur lumière lui-même) : cette lampe constitue le point sur le i de Fantasio dont les lettres du nom se balancent dans les airs. Les éclairages (d’Antoine Travert et Philippe Berthomé) et les éléments mobiles qui vont et viennent structurent les espaces, comme c’était déjà le cas pour la première mise en scène d’opéra de Jolly (lire le compte-rendu de son Eliogabalo). Son sens aigu du théâtre est palpable de bout en bout et se révèle notamment dans la scène de la chanson des fous, durant laquelle les trouvailles jaillissent en geyser, dans une mise en abîme quasiment chorégraphiée. Le jeune metteur en scène montre également de réelles capacités à intégrer les mouvements musicaux à sa direction d’acteurs, comme lorsque Fantasio dévale en courant le grand escalier central tandis que l’orchestre exécute une descente chromatique : gageons que le public le reverra à l’opéra dans les prochaines saisons.
Fantasio par Thomas Jolly (© Pierre Grosbois)
Le rôle-titre est interprété par Marianne Crebassa, tout juste auréolée de sa Victoire de la Musique classique. La mezzo-soprano affiche une voix joliment timbrée, et projetée efficacement avec une prononciation parfaitement compréhensible du texte de Paul de Musset (le frère d’Alfred). Si son médium est velouté et parfaitement expressif, ses aigus sont agiles et vibrent avec légèreté. Sa démarche, joyeusement dilettante lorsqu’elle porte le costume de Fantasio, devient clownesque, faite de courbettes et de mains volantes et dansantes lorsqu’elle revêt le costume jaune de bouffon du roi. Le pamphlet contre la guerre, qu'elle prononce à la fin de l'opéra, est adressé directement au public, et non au chœur comme attendu. La Princesse Elsbeth est confiée à la soprano canadienne Marie-Eve Munger. Parfaitement à l’aise avec les vocalises, elle confie un sens à chaque son, ajoutant ainsi l’expressionnisme théâtral à la musicalité du chant. Son timbre légèrement métallique dans les aigus est émis avec clarté grâce à souffle long et une maîtrise technique indéniable. Elle apporte à son personnage une candeur hésitante, retenue par le devoir mais terriblement attirée par la transgression.
Marianne Crebassa et Marie-Eve Munger dans Fantasio (© Pierre Grosbois)
Figurant parmi les artistes les plus applaudis au moment des saluts, Jean-Sébastien Bou (lire ici son interview à Ôlyrix) interprète le Prince de Mantoue. Il donne pour cela de sa personne, comme lorsqu’il s’écroule dans l’escalier, produisant un effet comique garanti. Son personnage (qui échange son costume avec son aide de camp mais continue d’agir en prince) lui offre l’opportunité de nombreuses facéties, auxquelles il prend un plaisir évident. Vocalement, il affiche un registre grave puissant et brillant, et des médiums soyeux. Son phrasé est raffiné et articulé, que ce soit dans les parties chantées, où il transcende la mélancolie de son air, ou dans les passages parlés. Il fonctionne en duo avec Marinoni, son aide de camp, qui prend la voix du ténor Loïc Félix, démontrant lui aussi ses talents de comédien. Son aria est interprétée d’une voix brillante et puissante.
Marie-Eve Munger et Alix Le Saux dans Fantasio (© Pierre Grosbois)
Dans le rôle de la suivante de la Princesse, Flamel, Alix Le Saux offre un jeu léché aux expressions faciales drolatiques. Sa voix ronde ressort parfaitement dans les ensembles et se marie à merveille avec la voix de Munger. Philippe Estèphe chante l’ami de Fantasio, Sparck, d’une voix brillante qui peine cependant à dépasser l’orchestre. Il est entouré des joyeux Enguerrand de Hys, Flannan Obé et Kévin Amiel, respectivement Facio, Hartmann et Max, qui cabriolent, rient et dansent avec impertinence. Ces quatre larrons font tinter leurs chopes de bière durant le premier ensemble dans une chorégraphie bien huilée. Enfin, Franck Leguérinel est un Roi de Bavière tout à fait convainquant, bien aidé par une élocution soignée et une voix puissante.
Fantasio par Thomas Jolly (© Pierre Grosbois)
Le chœur est assuré par l’Ensemble Aedes (préparé par Mathieu Romano) : dirigé par un assistant à la mise en scène dédié (Pier Lamandé), il offre en arrière-plan des intrigues cachées, comme un couple amoureux qui trace des cœurs dans la neige, ou un cuisinier rattrapé par sa femme. L’Orchestre Philharmonique de Radio France est dirigé par Laurent Campellone qui assure la parfaite cohérence des ensembles et du rapport scène-fosse. Il fait ressortir les différentes couleurs de la partition, appuyant toutefois fortement sur les sonorités sombres et pesantes. La création de La Princesse légère prévue au mois de mars ayant été reportée à la saison prochaine, il faudra attendre avril pour découvrir Alcyone (à réserver ici), la prochaine production de l’Opéra Comique. À condition que les travaux de rénovation de la Salle Favart soient achevés d’ici là. En attendant, le public aura apprécié cette première production : le rideau (empêtré dans un élément de décor) aura même eu du mal à redescendre !
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