Lakmé à Tours : des réponses et des promesses
Lakmé de Léo Delibes trouve dans la mise en scène sans surprise de Paul-Emile Fourny présentée à Tours une dimension intimiste qui place la musique au centre de l’attention. Le décor unique imaginé par Benoit Dugardyn est constitué d’un huis-clos qui centre la dramaturgie autour du couple formé par Lakmé et Gérald, évinçant les images d’Épinal orientalisantes que peuvent représenter le temple, le marché et la cabane prévus par le livret. L’espace restreint (qui oblige les protagonistes de la scène du marché à tourner en rond) est séparé par une grille à trois vantaux qui se meut pour caractériser les différents lieux, enfermer un personnage dans ses obligations ou ses conventions, confronter les mondes, des hindous d’un côté, et des anglais de l’autre. Seuls les élégants costumes, dessinés par Giovanna Fiorentini, et le ballet chorégraphié par Elodie Vella et dansé avec grâce par Irène Savary, Elodie Allary et Marine Vinay, désignent une géographie ou une époque.
Ballet de Lakmé par Paul-Emile Fourny (© Marie Pétry)
Cette soirée de Première marque les débuts de Jodie Devos dans le rôle-titre. Scéniquement, elle interprète une fille de Brahmane timide et ramassée, marchant sur la pointe des pieds, tête baissée, loin de l’image immédiate que l’on se fait d’une fille des dieux. Vocalement, la jeune soprano belge dispose d’une voix fine et pure, très adaptée au rôle. Ses trilles et vocalises sont précis et son souffle est long, ce qui lui permet de soutenir ses fins de phrases. Son vibrato léger est au service d’une prosodie appliquée, qui sait alléger certaines syllabes pour en renforcer la musicalité, mais provoque par instant des décalages rythmiques. Son air des clochettes est très applaudi par un public enthousiaste à juste titre. Le stress des débuts passés, son interprétation de ce célébrissime extrait gagnera probablement encore en légèreté.
Jodie Devos chante l'air des clochettes dans Lakmé (© Marie Pétry)
Face à elle, Julien Dran (que nous avions diablement apprécié en Alfred dans La Chauve-Souris à Marseille voici trois semaines) interprétait également son premier Gérald. Leur duo fonctionne comme une évidence tant leur complicité saute aux yeux. Doté d’une haute stature et d’un port élégant, il campe un amoureux fougueux, apparaissant parfois statique toutefois. Son phrasé est éloquent et sa projection bien dirigée. Son timbre moiré offre de belles promesses jusqu’à la toute fin du second acte, lorsqu’un aigu déraille, annonçant un véritable chemin de croix pour la dernière partie. Il assure pourtant avec professionnalisme un exigeant troisième acte, bien que la souffrance se lise sur son visage à l’émission de chaque note, afin que le spectacle puisse aller jusqu’à son terme. Les applaudissements nourris du public au moment des saluts montrent que l'auditoire lui en est reconnaissant, conscient de la fragilité de l’instrument vocal (que rappelait Cyrille Dubois cette semaine dans son interview à Ôlyrix). Le ténor aura l’occasion de prendre sa revanche dans quelques semaines à Marseille.
Prises de rôles pour Julien Dran et Jodie Devos dans Lakmé (© Marie Pétry)
Vincent Le Texier offre un Nilakantha sûr de lui et autoritaire, le visage fermé. Sa voix puissante et ample exhausse son charisme naturel. Majdouline Zerari campe Mallika pour un joli duo avec Jodie Devos : les deux chanteuses associent à merveille leurs voix et leurs intonations, même si des nuances plus appuyées auraient parfois permis à la mezzo-soprano d’offrir à sa partenaire une structure harmonique plus solide. Le Hadji de Carl Ghazarossian est éclatant grâce à une voix au timbre agréable disposant d’un intense vibrato.
Vincent Le Texier, Majdouline Zerari et le Chœur de l'Opéra de Tours dans Lakmé (© Marie Pétry)
Les quatre compagnons anglais de Gérald sont parfaitement en place lors du quintette d’entrée. Guillaume Andrieux est un Frédéric très lyrique dont les aigus sont cependant serrés. Les graves sont en revanche brillants et son jeu, en particulier à l’acte III, est très convaincant. Jennifer Courcier chante Ellen, la fiancée de Gérald, avec son air mutin, sa voix charmante et son phrasé raffiné. Anna Destraël est une Gouvernante austère et despotique et Yumiko Tanimura remplit son rôle en Miss Rose.
Le quintette des anglais dans Lakmé (© Marie Pétry)
Benjamin Pionnier, le Directeur de l’institution, est à la tête de l’Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire-Tours. Si les passages vivaces manquent souvent de tranchant (et notamment les premières mesures de l’œuvre), il trouve de jolies pages poétiques : le temps s’arrête parfois, suspendu à une tenue d’archet langoureuse, avant de s’accélérer au chant enjoué des piccolos soutenu par la générosité des violons.
Retrouvez ici notre interview croisée de Jodie Devos et Julien Dran !
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