L’Arpeggiata de Christina Pluhar : une soirée entre amis au TCE pour le Stabat Mater
L’esprit Pluhar plane lors de la première partie du concert qui dégage une ambiance conviviale et décontractée. Quand elle ne dirige pas, Christina Pluhar est assise, dos au public avec son théorbe, formant un cercle avec les 12 instrumentistes. Cette disposition évoque ainsi une soirée entre amis, pendant laquelle les musiciens vont jouer, improviser, se surprendre, échanger des regard. Les deux chanteurs, la soprano Emöke Barath et le contre-ténor Tim Mead, se joignent au groupe ou retournent en fond de scène, comme s’ils étaient invités à participer à cette soirée musicale.
Après l’ouverture de l’Orfeo de Monteverdi, que l’on pourrait souhaiter plus puissante, Emöke Barath excelle dans le prologue (La Musica). Son phrasé déclamé, sa voix bien timbrée, ses ornements très précis, ses différentes couleurs au cours des strophes sont en adéquation avec le style. Les trois pièces suivantes sont enchaînées sans pause : la Ciaccona de Cazzati, le fameux duo « Pur ti miro » extrait du Couronnement de Poppée de Monteverdi et « Damigella, tutta bella » du même compositeur. La Ciaccona devient le prologue au duo. Cette pièce instrumentale sur une basse obstinée permet aux musiciens de s’exprimer à tour de rôle, avec virtuosité, expressivité, en allant chercher des nuances extrêmes. Les deux chanteurs s’avancent alors pour le duo entre Poppée et Néron, heureux d’être réunis. Leurs voix se marient merveilleusement et font ressortir les longues dissonances, telles les tensions amoureuses, et leurs résolutions, telle la volupté de l’assouvissement, avant de conclure par un unisson parfait (retrouvez notre Air du jour récemment dédié à ce sublime duo, dans le cadre de notre série anniversaire pour Monteverdi). Le duo festif qui suit reste dans la tradition des chansons populaires, dont le caractère dansant est souligné par l’utilisation de la percussion et des battements à la guitare baroque.
Tim Mead (© Benjamin Ealovega)
Le concert se poursuit avec quatre pièces de Monteverdi : « Si dolce é’l tormento », l’air d’Arnalta du Couronnement de Poppée, le Lamento della Ninfa et Zefiro torna. Dans la première pièce, Emöke Barath affirme son expressivité, ses talents de déclamation, n’hésitant pas à mettre de l’air sur la voix afin de renforcer l’intensité dramatique. Tim Mead est Arnalta berçant Poppée sur un doux balancement de l’ostinato de la basse. Il use de toute la douceur de sa voix et fait entendre de belles notes tenues en fin de phrases. Dans le Lamento della Ninfa, la soprano atteint un sommet d’expressivité : par des sons projetés au timbre très centré quand elle se révolte face à l’infidélité de son amant et des sons piano, à la limite de décrocher lorsqu’elle se résigne. L’atmosphère se détend ensuite avec le rythme de danse de Zefiro torna. Les chanteurs nous réjouissent dans de beaux élans musicaux, des vocalises précises et dentelées alternant avec des passages plus intimes aux sons pianissimo, comme s’ils chantaient à notre oreille, pour finir dans un rythme de danse enjouée. La première partie se termine avec une pièce orchestrale de Mealli au cours de laquelle le violon se transforme en récitant, passant de sons extrêmement piano, à la limite de l’audible, à des passages de grande virtuosité. Puis le Stabat Mater de Sances et Laudate domine de Monteverdi chantés par la soprano enthousiasment le public avant l’entracte.
Emöke Baráth (© DR)
Vient ensuite le célèbre Stabat Mater de Pergolèse. Jouissant d’un grand prestige dû à sa beauté, cet hymne à la Vierge qui souffre au coté de son fils crucifié exprime à la fois la douleur de la mère et la compassion du simple mortel. Les neuf instrumentistes de L'Arpeggiata et les deux chanteurs dirigés par Christina Pluhar parviennent à faire ressortir la simplicité et la grande variété de l’œuvre. Cette variété est aussi celle du style : certains airs sont proches de l’air d’opéra (Quae moerebat, Eja Mater), d’autres davantage contrapuntique (les fugues du Fac ut ardeat et de l’Amen final) et d’autres encore adoptent un style plus personnel (Stabat Mater, et Vidit sum). Les tempi choisis par Christina Pluhar mettent en évidence cette variété. Cependant, dans cette grande salle du Théâtre des Champs-Élysées, la formation instrumentale réduite sonne lointaine, manquant un peu d’ampleur.
Par contre, les chanteurs s’entendent à merveille, leurs voix se mêlent, se répondent, frottent, et s’unissent. Tim Mead semble très à son aise pour s’exprimer librement. Sa posture est haute, son regard vers le premier balcon, il est imperturbable. Pour sa part, Emöke Barath, toujours très expressive, semble certes en difficulté dans les phrases soutenues, où la nuance proposée par l’ensemble instrumental est pianissimo. Malgré cette fragilité, le « Vidit sum » est bouleversant. Ses derniers mots entrecoupés de silences créent une grande tension, tenant l’auditoire en haleine. Le relâchement qui suit est hélas accompagné de nombreuses toux (pourtant contenues jusque là). L’Amen clôt avec énergie un concert très applaudit.