La vengeance de La Chauve-Souris à l’Opéra de Lille
Pour cette production nouvelle de La Chauve-Souris, le choix s’est porté sur la présentation d’une version en langue française directement inspirée du Vaudeville initial d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy intitulé Le Réveillon, et non de la version originale de la création viennoise de 1874 en langue allemande.
De fait, l’élégante station thermale proche de Vienne disparaît au profit de la petite cité française de Pincornet-les-Bœufs avec sa bourgeoisie dont la médiocrité le dispute à la mesquinerie, tandis que l’histoire même retrouve sa place lors d’une soirée de réveillon. Agathe Mélinand, complice habituelle de Laurent Pelly, s’est chargée d’adapter le livret et les dialogues parlés en conséquence, Moshe Leiser et Patrice Caurier s’occupant pour leur part des textes chantés.
Malgré tout leur talent et le soin apporté à la meilleure cohésion possible entre texte et musique, la transposition ainsi proposée (comportant des parties un peu pesantes sinon presque gênantes dans leur formulation) ôte à la musique une partie de sa substance et de son impénétrable charme viennois. L’enchantement et le rythme même du spectacle peinent visiblement à s’imposer, et s'en trouvent affectés, Laurent Pelly ne déployant pas les scintillements qui ont fait sa renommée dans le registre de l’opérette. Le décor (signé Chantal Thomas) brille par sa simplicité, entre le salon bourgeois d’un rouge modéré chez le notable Gaillardin, la salle des Fêtes peu attractive chez le Prince Orlofsky ou la prison du troisième acte avec ses imposantes lampes suspendues. Laurent Pelly paraît ici s’inspirer des pièces de boulevard dans le style XIXe siècle que Georges Feydeau portera au pinacle. Entrées et sorties se succèdent sans cesse, les portes claquent, les interprètes se démènent au mieux, mais le champagne semble manquer de bulles et de fraîcheur. Bien entendu, les ensembles sont formidablement réglés et les anecdotes voire même la loufoquerie ne manquent pas.
Créés par Laurent Pelly comme à son habitude, les costumes se révèlent fort beaux et attractifs, semblant osciller entre plusieurs époques : les robes, pour l’ensemble des interprètes féminins, en déclinaison de toutes les couleurs et fort fendues sur la cuisse. Les maquillages par ailleurs paraissent particulièrement soignés : Gaillardin, interprété par Guillaume Andrieux (remplaçant Charles Rice qui s’est blessé durant les répétitions), lui confère une allure à la Max Linder –grande vedette burlesque française du temps du cinéma muet–, avec sa raie au milieu et ses habits du soir.
Le plateau vocal réuni est exclusivement francophone et essentiellement français, ce qui effectivement rend plus aisée la compréhension du texte. L’auditeur comprend mieux ainsi cette obscure histoire de Chauve-Souris, blague un rien déplacée infligée un soir de beuverie par Gaillardin à son ami Duparquet : ce dernier au retour de la soirée dut traverser tout le bourg de Pincornet-les-Bœufs habillé en Chauve-Souris et ce devant toute la population hilare. Ce dernier pour se venger entraînera à son tour Gaillardin dans le salon des multiples plaisirs du séduisant Prince Orlofsky sur les traces d’une mystérieuse Comtesse Hongroise masquée, en fait Caroline son épouse à la ville. La vengeance s’établira lorsque Gaillardin sera jeté en prison pour huit jours ! Guillaume Andrieux qui incarne ce personnage se trouve ridiculement malmené de toutes parts et Laurent Pelly ne lui laisse guère de répit. Mais il brûle les planches, un peu au détriment de la partie vocale, moins soutenue qu’à l’habitude. Le grain est toutefois plaisant ainsi que l’aigu.
Dans le rôle de Caroline, Camille Schnoor déploie elle-aussi une belle verve comique. Sa voix de grand soprano se déploie sans effort jusque dans des aigus quelquefois un peu durs cependant. Sa ligne de chant pourrait être beaucoup plus souple et mesurée dans les parties plus sérieuses.
Marie-Eve Munger passe de la servante à la fois "bécasse" mais rouée du premier acte à la future Adèle qui aspire aux succès scéniques avec toute la vivacité requise. Au-delà de certains aigus un peu acides, elle possède indéniablement la virtuosité souhaitée pour ce rôle voué aux vocalises.
Héloïse Mas paraît un peu en retrait en Prince, comme si sa voix de mezzo-soprano au timbre chaud et percutant se trouvait ici un peu à l’étroit. Christophe Gay campe un Duparquet retords à souhait et faux ami d’une voix agréable et mesurée, tandis que Franck Leguérinel incarne le directeur de prison et pseudo Duc, Tourillon de toute la hauteur de sa faconde habituelle.
Dans le rôle de l’amant de Caroline, l’impérieux Alfred, Julien Dran se délecte et livre une avenante leçon de chant. Raphaël Brémard campe avec tout l’aplomb possible l’avocat Bidard, mail il a peu à chanter malheureusement. Il en va de même de Claire Antoine en Ida, la sœur d’Adèle et danseuse de son état, dont la voix de soprano épanouie requiert des rôles évidemment plus importants.
Délesté de son état de griserie habituelle, le rôle de Léopold réjouit le public avec la faconde du comédien Eddy Letexier (les fans de la série Kaamelott auront reconnu l'interprète d'Hoël, Roi d’Armorique, tandis que la Reine Guenièvre, Anne Girouard, était pour sa part narratrice d'une autre mise en scène de cette Chauve-Souris).
En ce soir de première, les décalages entre les solistes, le Chœur de l’Opéra de Lille et l’Orchestre de Picardie sont très perceptibles (il n’est pas aisé dans cette partition qui requiert la plus grande précision d’ensemble de parvenir rapidement à l’idéal). Johanna Malangré a choisi une battue rapide, un peu souple, qui aura l'occasion de s’affirmer et de se réguler sur les six représentations à venir (dont la projection sur grands écrans à travers les Hauts-de-France le 13 juin).
Le public lillois fait la fête à cette Chauve-Souris, chef-d’œuvre de Johann Strauss fils, qui parvient heureusement à égayer l’ambiance morose actuelle.
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