Clara Schumann et Rebecca Clarke en Lundi Musical à l'Athénée avec Mark Padmore et le Julius Drake
Compagnons de route de longue date, les deux musiciens partagent un même amour de la musique et de la poésie, qui s'entend à chaque instant. Le programme ici proposé s’étend du Lied allemand de Robert et Clara Schumann aux mélodies françaises de Gabriel Fauré et Reynaldo Hahn, aux Songs anglaises également avec Benjamin Britten et Rebecca Clarke. Cette dernière, compositrice et altiste a écrit pour son instrument de nombreuses pages inspirées, son legs mélodique s’avère beaucoup moins exploré en France. Sa musique vocale fait toutefois un lien impressionnant entre les impressionnismes sonores ayant inspiré les deux côtés de la Manche, avec des vigueurs maritimes et certaines transparences de ton. The Sealman, sa plus célèbre mélodie, évoque de façon imagée et puissante la mort tragique d’une jeune femme entrainée dans les flots par un monstre marin, mi-homme mi-animal (la compositrice explore ici des mondes sombres et cruels). Tiger Tiger sur un texte particulièrement tourmenté de William Blake tranche également sur sa production (et au-delà) avec ses dissonances chromatiques et sa partie pour piano comme indépendante de la mélodie. Avec Clara Schumann et Lorelei en particulier, il est encore question de jeune fille trahie ou de nymphe du Rhin avec une musique magnifique et mélancolique qui puise aux racines du romantisme allemand. Avec les Cinq Lieder opus 40 de Robert Schumann sur des textes traduits en allemand par Adelbert von Chamisso -d’Hans Christian Andersen pour les quatre premiers, de Claude Charles Fauriel pour le cinquième-, l’auditeur aborde le thème de l’intime et de la sensibilité à fleur de peau sans toutefois perdre de vue le domaine de l’eau dans tous ses états.
Ténor anglais et interprète remarqué des Passions de Jean-Sébastien Bach, mélodiste célébré, Mark Padmore a désormais franchi le cap de la soixantaine. Si la voix demeure claire de timbre et souvent vaillante, elle révèle aussi les griffures opérées par le temps avec un soutien qui a tendance à se dérober sur les phrases longues, un moelleux moins affirmé et des sons fixes ou détimbrés dans l’aigu : pour les mélodies françaises de Gabriel Fauré (Mandoline et En Sourdine), mais aussi celles de Reynaldo Hahn (Chanson d’automne, En Sourdine également, et L’heure exquise), ce malgré un accent anglais bien canalisé qui n’affecte pas les poésies de Paul Verlaine. Le ton global ne déploie pas la maîtrise et l’immédiateté poétique dans le rendu. Par contre, dès que Mark Padmore aborde le cycle Winter Words de Benjamin Britten (composé en 1953 sur des textes de Thomas Hardy qui fleurent la passion et la singularité), l’interprète renoue avec ses racines. La voix retrouve alors des couleurs plus variées, sa largeur et surtout un mordant exact. L’émotion affleure au sein des huit mélodies du cycle avec parfois une note d’humour et de distance ("The Little Old Table"-La Vieille Petite Table ou, plus grave, "Before Life and After"-Avant et après la vie). Julius Drake apporte un soutien fort attentif à son partenaire, déployant une musicalité affirmée et un sens du toucher qui sied particulièrement à la voix. Le public du Théâtre de l’Athénée réserve un accueil très chaleureux aux deux interprètes qui font preuve d’une totale sincérité dans leur approche combinée.