L'Alceste d'Olivier Py revient au Palais Garnier en grande forme
Une distribution éblouissante
Véronique Gens (Alceste) et Stanislas de Barbeyrac (Admète) © Julien Benhamou
Créé au Palais Garnier il y a tout juste deux ans, Alceste est de retour avec une distribution magistrale ravissant les augures les plus morbides du Styx. Campé en 2013 par Sophie Koch, le rôle-titre s'incarne aujourd'hui dans les tripes de Véronique Gens. Sublime Alceste à couper le souffle, Véronique Gens magnifie le rôle entre retenue et libération dramatique, en déployant progressivement devant l'auditoire le sortilège de ses talents de cantatrice. Ce rôle, la soprano l'avait déjà endossé au Festival International d'Aix-en-Provence en 2010 dans une mise en scène de Christof Loy, puis à l'Opéra de Vienne en 2012 aux côté du ténor canadien Joseph Kaiser. Pendant les répétitions qui précédaient ses débuts dans l'institution viennoise, dans un entretien à l'AFP, elle confiait déjà son amour pour le rôle : "J'aime beaucoup le personnage d'Alceste, une femme qui me touche beaucoup : elle est tellement forte dans sa volonté de mourir par amour, même si elle doute, et j'aime aussi son fort côté maternel, son altruisme". Le répertoire de Gluck, la mozartienne commence à en être la fervente artisane. Véronique Gens est Iphigénie pour Iphigénie en Tauride à Bruxelles en 2009 et en 2011 à Amsterdam, puis pour Iphigénie en Aulide au Theater an der Wien en février 2013.
Face à elle, Stanislas de Barbeyrac. Le ténor qui était Évandre à l'Opéra de Paris en 2013, irrigue le rôle d'Admète de sa voix ténébreuse et d'un talent scénique confondant. Convaincu et convaincant, il forme avec Véronique Gens l' « exemple universel de l'amour conjugal » dans le dialogue saisissant de la scène 3 de l'Acte II, comme dans celui de la scène 4 de l'Acte III.
Le baryton Stéphane Degout campe avec brio deux rôles à l'aura antipodique : un Grand Prêtre d'Apollon clérical aux allures austères mais à la puissance imposante « Perce d'un rayon éclatant le voile affreux qui l'environne », et un Hercule illusionniste qui parvient à restaurer le dénouement heureux voulu par le compositeur. Les rôles des Coryphées sont illuminés par les performances salutaires de Manuel Nunez Camelino (Évandre), Tomislav Lavoie (Héraut), Kévin Amiel, et de la soprano belgo-suisse Chiara Skerath, qui fait son entrée à l'Opéra de Paris, et retrouvera prochainement Mark Minkowski et Les Musiciens du Louvre pour La Création de Haydn au Festival de Salzburg.
La sobriété de Gluck resplendit dans la performance du Chœur et de l'Orchestre des Musiciens du Louvre Grenoble, dirigé par la baguette experte de Marc Minkowski, qui mettent à leur tour « le plus grand soin pour atteindre une belle simplicité ».
L'éphémère poétique en guise de décor
Le Chœur des Musiciens du Louvre Grenoble © Julien Benhamou
La mise en scène d'Olivier Py, rehaussée par les décors et les costumes de Pierre-André Weitz, offre à cette distribution de choix une fresque à la Soulages sans cesse revitalisée. À l'épreuve de l'oubli et du vide, d'immenses tableaux noirs sont recouverts inlassablement de dessins à la craie blanche. Ils semblent écrire de manière éphémère l'architecture de nos existences fragiles, que les dieux envient, rentrent à l'intérieur de l'Opéra et sondent jusqu'aux entrailles même de ses chanteurs : ils croquent tantôt les lieux -une cité lacustre, les bois, les vagues du fleuve des Enfers, le styx, les étoiles d'une voûte céleste-, tantôt les états d'âme des protagonistes -un électrocardiogramme, une âme qui s'échappe, un cœur, une tête de mort. En filigrane, ils sont comme un décor dans le décor, une mise en abîme réflexive sur notre condition de mortel. Dès l'ouverture, c'est bien l'ébauche du Palais Garnier que l'on découvre, et qui se décharne au fur et à mesure : son rideau se tire pour in fine faire briller la lyre qui trône sur son toit. La musique sort donc triomphante de ce trépas illusoire, puisque, comme Olivier Py le fait écrire noir sur blanc « La Mort n'existe pas ». Avec des néons encadrant la scène comme un véritable tableau, il construit la scène à l'image d'une gigantesque peinture minimaliste, dont les protagonistes constituent la matière et organisent le mouvement. Lavées, les imposantes façades obscures de Py semblent devenir l'Outrenoir de Soulages.
(Cover : Véronique Gens (Alceste) et Stéphane Dégout (le Grand Prêtre) © Julien Benhamou)
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