De la révolution de Verdi au salon de Rossini à La Monnaie
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A contrario des rôles qu’ils incarnent au sein de la première partie du Diptyque de La Monnaie, les solistes Nino Machaidze, Enea Scala et Vittorio Prato se retrouvent ici entre opulence et volupté, accompagnés par le piano d’Ouri Bronchti. Au programme du récital, des extraits des Péchés de Vieillesse (1857-1868) et Soirées Musicales (1830-1835) de Rossini. Finis les jets de pavés cachés derrière les barricades, la musique de salon s’impose avec grâce pour le trio.
Les textes des Soirées musicales (1830-1835), tirés de poètes italiens tels que Pietro Metastasio et Carlo Pepoli, traitent de thèmes variés allant de l'amour et de la séduction à la nature et la vie quotidienne. Ces œuvres, bien qu'éloignées des grandes formes dramatiques de l'opéra, démontrent le génie mélodique de Rossini et sa capacité à exprimer une vaste gamme d'émotions à travers des compositions plus intimes.
Opus de maturité, ses Péchés de Vieillesse (1857-1868) souvent teintés d'humour et de légèreté, portent un regard à la fois ironique et tendre sur le passage du temps et l’âge avancé. Rossini lui-même a donné à cette collection le titre humoristique de Péchés de vieillesse, reflétant son approche d'auto-dérision et sa volonté de ne pas se prendre trop au sérieux.
Ces deux registres semblent ainsi faire clin d'œil au dytique de Verdi, partagé entre la Révolution (et sa jeune intensité musicale) et la Nostalgie (plus proche d’un péché de vieillesse).
Traduisant ce double état d’esprit du compositeur, le trio se présente complice et léger auprès du public emplissant la salle. En solo ou en duo, les interprètes se relaient au service des textes chantés. Ouvrant le bal, Nino Machaidze marque par une sensualité de jeu et de voix. Riche, vibrante et généreuse, la prosodie italienne est précise, fine. La Promessa (la promesse), Il rimprovero (Le reproche), L’invito (L’invitation) sont ainsi livrés par la soprano avec prestance. Partageant La Serenata (La sérénade) avec le ténor Enea Scala (qui joue son amant dans Rivoluzione), le belcanto est de mise, très latin et romantique. Le ténor italien s’assure une présence remarquée, jouant de grimaces séductrices. L’arrietta ‘L’esule’ (l’exilé) raisonne avec le rôle de Carlo qui ouvrait le diptyque de Verdi. Nostalgique, brillant et légèrement poussé dans les élans populaires, Enea Scala se livre entièrement, inondant l’auditoire de décibels. Plus loquace encore pour L’orgia (l’orgie), il joue pleinement l’ivresse et la désinhibition. Il offre en outre une précision redoutable du phrasé francophone notamment avec La Romance “Le Sylvain”.
Plus austère, Vittorio Prato fait résonner sa voix abyssale et puissante, en italien comme en français, en mélodie comme en chansonnette de cabaret. Les graves sombres, vibrants et calmes du baryton offrent au romantisme une couleur plus intime et ternie, plus pudique que pour le ténor. Austère et élégante, la prosodie italienne est déclamée sans difficulté, plus « mâchée » pour le registre français. C’est finalement pour Un sou, complainte à deux voix que le duo ténor et baryton est rassemblé avec éloquence : véritable accord d’écoute, la complicité amicale des deux chanteurs se retrouve dans leur complétude vocale.
Responsable des études musicales de La Monnaie, tout semble facilement déconcertant pour Ouri Bronchti qui porte les partitions au piano et réussit à tenir une place particulière face au trio de chanteurs. Complice, le pianiste assure une précision remarquée, comme à son habitude, ajoutant une touche d’aisance et de liberté.
Face à l’ovation du public, le trio complice clôture le récital avec une petite récompense : le duo des chats pour sopranos de Rossini, présenté exceptionnellement en trio. Souvent joué en bis lors des concerts, ce sont ici les vieux matous qui se disputent la beauté de Nino Machaidze.