"Otages" en création à l'Opéra de Lyon : autopsie d’une 'libération'
L’héroïne, Sylvie Meyer est une qui-dame, la cinquantaine élégante mais marquée par la banalité d’une vie ni choisie, ni vraiment haïe, mais tout de même subie. Délaissée par son mari un an auparavant, elle effectue la basse besogne de son patron procédant à un “plan social”.
Par habitude et par une sorte de loyauté, elle a fini par s’y appliquer, avec un peu de plaisir pervers, jusqu’au dégoût, et jusqu’au jour où elle a décidé de dire stop, et de mettre un terme à ce chemin de vie où elle s’était perdue. Elle séquestre alors son patron, et ira peut-être plus loin encore (un couteau est omniprésent dans les propos et les images du plateau, mais le spectateur n’en saura pas plus).
Interrogée par la police, elle va devant le public se remémorer et revivre divers épisodes antérieurs, dire sa lassitude, défendre un peu ses choix, dire surtout son dégoût, son humiliation et sa détermination. Le spectacle commence ainsi avec un interrogatoire, puis des flashbacks rejoués de son mariage, de nouveau l'interrogatoire et un long flashback sur son travail, son patron, la scène où elle le kidnappe, et enfin l'interrogatoire où l'inspecteur exhibe le couteau. Fin. Nul ne saura ce qu'il adviendra de Sylvie.
Le texte est simple mais direct, clinique, disant précisément la vérité de cette femme. La musique de Sebastian Rivas se manifeste par de longues stases sonores, tuilées, plus ou moins énergétiques, nimbant les propos tenus, figurant sans doute l’intériorité troublée de Sylvie. Des instrumentistes exécutent en fond de scène, à peine visibles, cette trame continue, amplifiée. La musique est aussi dans la voix, parlée, psalmodiée, chuchotée ou criée, et chantée. La musique est également dans le rythme d’énonciation du récit, avec ses épisodes, informatifs (neutres) et actifs (passionnés), via une progression d’intensité et de vitesse.
Cette musique dirigée par Rut Schereiner, performée en direct par des instruments acoustiques mais hors de vue, est modifiée et amplifiée électroniquement avec l'aspect de stases qui se tuilent (avec plus ou moins d'énergie selon l'action, se mouvant selon les avancées du texte et non le contraire).
Le Directeur de l'Opéra de Lyon, Richard Brunel met en scène ce récit avec un grand souci de clarté. Sylvie évolue dans un dispositif neutre (décors de Stephan Zimmerli), avec deux espaces séparés d’une baie vitrée qui peut se recouvrir d’un store vertical. Replié, il sert d’écran à des projections par Yann Philippe, d’images en temps réel ou non, permettant des gros plans. Ces espaces seront ainsi, tour à tour, le commissariat, la maison, le bureau du patron ou celui de Sylvie. Les costumes de Mathieu Trappler sont simples et soignés, accentuant la banalité des personnages. Les lumières de Laurent Castaingt sont diégétiques, dramatisant plus ou moins les espaces au fil du récit.
L’essentiel du texte est parlé, et se déploie parfois dans des mélismes expressifs plus ou moins développés. Le baryton Ivan Ludlow représente ainsi tous les hommes (inspecteur, mari, patron), avec une totale neutralité, car ce sont des archétypes. La prestation vocale efficace ne cherche pas ici la séduction sensorielle.
Sylvie Meyer est incarnée puissamment par la soprano Nicola Beller Carbone, qui lui insuffle une densité et une intensité humaines remarquées. D'une présence hypnotique saisissante du début à la fin, elle sait rendre les ambigüités du personnage, ses failles, ses colères, ses faiblesses aussi. La voix est virtuose à sa manière, avec la plus grande palette expressive qui soit : d'une belle voix sombre et habitée, le chant est expressif toujours et lyrique un bref instant nostalgique.
Le public applaudit avec chaleur et émotion cet opéra coup de poing, qui dure un peu plus d'une heure et passe en un clin d’œil.
Retrouvez également nos comptes-rendus des deux autres spectacles de ce Festival "Rebattre les Cartes" : La Fanciulla del West de Puccini par Tatjana Gürbaca et La Dame de Pique de Tchaïkovski par Timofeï Kouliabine, ainsi que notre présentation de la saison 2024/2025 à Lyon.